Le Célèbre était un bâtiment moyennement artillé mis sur cale selon les normes définies dans les années 1730-1740 par les constructeurs français pour obtenir un bon rapport coût/manœuvrabilité/armement afin de pouvoir tenir tête à la marine anglaise qui disposait de beaucoup plus de navires[6]. Il faisait partie de la catégorie des vaisseaux dite de « 64 canons » dont le premier exemplaire fut lancé en 1735 et qui sera suivi par plusieurs dizaines d’autres jusqu’à la fin des années 1770, époque où ils seront définitivement surclassés par les « 74 canons[N 2]. »
Sa coque était en chêne, son gréement en pin, ses voiles et cordages en chanvre[8]. Il était moins puissant que les vaisseaux de 74 canons car outre qu'il emportait moins d'artillerie, celle-ci était aussi pour partie de plus faible calibre, soit :
vingt-six canons de 24 livres sur sa première batterie percée à treize sabords,
vingt-huit canons de 12 sur sa deuxième batterie percée à quatorze,
Cette artillerie correspondait à l’armement habituel des 64 canons. Lorsqu'elle tirait, elle pouvait délivrer une bordée pesant 540 livres (soit à peu près 265 kg) et le double si le vaisseau faisait feu simultanément sur les deux bords[9]. Chaque canon disposait en réserve d’à peu près 50 à 60 boulets, sans compter les boulets ramés et les grappes de mitraille[8].
Pour nourrir les centaines d’hommes qui composait son équipage, c’était aussi un gros transporteur qui devait avoir pour deux à trois mois d'autonomie en eau douce et cinq à six mois pour la nourriture[10]. C'est ainsi qu'il embarquait des dizaines de tonnes d’eau, de vin, d’huile, de vinaigre, de farine, de biscuit, de fromage, de viande et de poisson salé, de fruits et de légumes secs, de condiments, de fromage, et même du bétail sur pied destiné à être abattu au fur et à mesure de la campagne[10].
L'engagement et la perte du navire pendant la guerre de Sept Ans
Le Célèbre entra en service alors que la guerre avec l'Angleterre était commencée depuis deux ans et reçut pour premier commandant La Jonquière Taffanel. Le , il quittait Brest dans l'escadre de neuf vaisseaux et deux frégates commandée par Dubois de La Motte et qui devait fait sa jonction avec deux autres forces afin de défendre Louisbourg[11]. Mission accomplie le , lorsque l'escadre entra dans le port, y formant l'importante concentration navale qui sauva la place de l'invasion cette année-là[11]. En août, Dubois de La Motte, qui commandait les trois escadres réunies, jugea que sa force navale était assez puissante pour tenir en échec toute attaque britannique. Sur ce, il envoya à Québec en renfort le 2e et le 3e bataillons du Régiment de Berry à bord du Bizarre et du Célèbre. Les deux navires rentrèrent ensuite seuls sur Brest[12].
En 1758, il passa sous les ordres du chevalier de Marolles[13]. Sa mission était semblable à celle de l'année précédente puisqu'il devait de nouveau se rendre à Louisbourg pour participer à sa défense. Il fut armée en flûte pour embarquer des renforts et prit la mer dans la division de Beaussier de l’Isle (cinq vaisseaux, une frégate)[14]. La mission, qui débuta dans les premiers mois de l'année, se passa sans encombre et arriva à Louisbourg à une date indéterminée.
C’est alors que se présenta le 2 juin devant Louisbourg une puissante flotte anglaise de vingt ou vingt-deux vaisseaux et dix-huit frégates. Elle escortait plus de cent navires de transport qui débarquèrent 12 000 hommes de troupe chargés d'attaquer la place[13]. Ne pouvant raisonnablement pas affronter l'escadre adverse, le Célèbre fut contraint, avec les autres navires, de se réfugier dans le port[15]. Le siège se resserrant de plus en plus, les bâtiments finirent par se retrouver à portée de tir de l’artillerie anglaise basée tout autour de la place.
Le 21 juillet 1758, sur la fin de la journée, une bombe tomba sur le Célèbre et perça la soute aux poudres[16]. L’explosion qui s'ensuivit fit voler en éclats ses œuvres mortes et jeta une grande quantité de débris enflammés sur l’Entreprenant et le Capricieux mouillés tout près[16]. En un instant, les cordages et les voiles de ces navires s’embrasèrent. La plus grande partie des équipages ayant été mis à terre pour participer à la défense de la place, il fut impossible de maîtriser l’incendie, d’autant que les Anglais, voyant la scène, se mirent à tirer à boulets rouges sur les trois bâtiments pour précipiter leur perte[16].
C’est à grand peine que les marins purent sauver les deux vaisseaux encore intacts, le Prudent et le Bienfaisant car les canons chargés des navires en feu tiraient en tous sens au fur et à mesure que le feu les atteignait[16]. Le vent d’est fit dériver les carcasses jusqu’au barachois (lagune), où elles brulaient encore au lever du soleil sous le regard des habitants et des défenseurs qui avaient suivi le drame depuis les remparts[16]. Le Célèbre est l'un des trente-sept vaisseaux de ligne perdus par la France pendant la guerre de Sept Ans[17].
Notes et références
Notes
↑Le ratio habituel, sur tous les types de vaisseau de guerre au XVIIIe siècle était d'en moyenne 10 hommes par canon, quelle que soit la fonction de chacun à bord. L'état-major est en sus. Cet effectif réglementaire pouvait cependant varier considérablement en cas d'épidémie, de perte au combat, de manque de matelots à l'embarquement ou de désertion lors des escales[2].
↑Les 74 canons en étaient par ailleurs un prolongement technique apparu neuf ans après le lancement du premier 64 canons, le Borée[7],[6]. Sur la chronologie des lancements et les séries de bâtiments, voir aussi la liste des vaisseaux français.
Références
↑ ab et c« Le Célèbre », sur threedecks.org (consulté le ).
↑Selon les normes du temps, le navire, en combattant en ligne de file, ne tirait que sur un seul bord. Il ne tirait sur les deux bords que s'il était encerclé ou s'il cherchait à traverser le dispositif ennemi. Base de calcul : 1 livre = 0,489 kg.
↑Seul le Bizarre reçut l'autorisation de quitter la place dans les premiers jours de l'attaque pour signaler à Québec l'arrivée de la flotte anglaise. Troude 1867-1868, p. 368-370.
↑Dans le détail : dix-huit vaisseaux pris par l'ennemi ; dix-neuf vaisseaux brûlés ou perdus par naufrage. Vergé-Franceschi 2002, p. 1327.
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(en) W.J. Eccles, France in America, New York, Harper & Row, Publishers, (présentation en ligne)
(en) John Stewart McLennan, Louisbourg, from its foundation to its fall, 1713-1758, Londres, Macmillan, , 528 p. (lire en ligne)
Michel Vergé-Franceschi (dir.), Dictionnaire d'Histoire maritime, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
Jean-Michel Roche (dir.), Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours, t. 1, de 1671 à 1870, éditions LTP, , 530 p. (lire en ligne)
Martine Acerra et André Zysberg, L'essor des marines de guerre européennes : vers 1680-1790, Paris, SEDES, coll. « Regards sur l'histoire » (no 119), , 298 p. [détail de l’édition] (ISBN2-7181-9515-0, BNF36697883)