Il a été en usage dans la presse écrite jusqu'à son remplacement par le télécopieur, fonctionnant sur le même principe, dans le dernier quart du XXe siècle.
Histoire
Au début du XXe siècle, Édouard Belin travaille sur la transmission de l'image réelle par l'électricité — c'est-à-dire la télévision — lorsqu'il apprend qu'Arthur Korn va présenter à Paris un système de transmission de l'image photographique par télégraphe[2]. Il abandonne alors son projet initial pour préparer un appareil concurrent de celui de Korn[2] : ce sera le télestéréographe[3].
Cet appareil dont le nom signifie « écriture à distance du volume » se base sur une propriété mécanique de la gélatine bichromatée utilisée en photographie, que l'américain Amstutz a déjà exploitée pour le même usage à partir de 1895. Celle-ci devient dure et insoluble quand elle a été exposée à la lumière et développée, ce qui permet de transformer la photographie en embossage, que l'on fixe sur un cylindre tournant. Un palpeur balaye ce relief ligne par ligne. Un rhéostat convertit l'épaisseur en signal électrique qu'on transmet sur une ligne télégraphique. À la réception, le signal actionne un jeu de filtres mobiles qui module la lumière qui expose, sur un cylindre qui doit tourner exactement à la même vitesse que celui de l'appareil d'émission, un film ou un papier photographique[4].
Édouard Belin conçoit et met au point l'appareil en collaboration avec son frère Marcel et André Bing[5]. Les ateliers d'Eugène Ducretet fabriquent le prototype[5]. Le premier essai a lieu le grâce à l'intervention de Pierre Lafitte, propriétaire de journaux illustrés comme La Vie au grand air ou Je sais tout : sur un circuit Paris-Lyon-Bordeaux-Paris, l'image d'une petite chapelle alsacienne est transmise en 22 minutes sur 1 717 kilomètres[6] mais, si « les contours sont fidèles (et) les demi-teintes reproduites, (...) il n'y a pas de réel dégradé, plutôt une succession de teintes »[7]. Le rhéostat ne fait pas varier la tension de façon continue ; Belin le remplacera par un microphone à charbon en 1910[8].
Belin perfectionne son appareil et le miniaturise. En 1913, il en propose une version portative qu'il baptise pour la première fois « bélinographe »[7].
Le [12], Le Journal publie à la une[13] la première photographie de reportage transmise par bélinographe : un cliché pris la veille, représentant l'arrivée du ministre du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes Raoul Péret à Lyon[14],[15] pour l'inauguration de l'Exposition internationale urbaine, transmis en quatre minutes par fil téléphonique[12],[13].
La Première Guerre mondiale contraint Belin à suspendre ses recherches qu'il ne reprend que dans le courant des années 1920[15]. Les premiers appareils fonctionnaient avec du courant continu, ce qui empêchait la transmission par des lignes téléphoniques, qui comprennent des transformateurs. L'usage de courant alternatif modulé permet la transmission par téléphone qui divise par deux le temps de transfert[16]. Ces améliorations débouchent, en , sur l'installation d'un service de bélinographie reliant entre elles les villes de Paris, Lyon, Strasbourg, Nice, Marseille et Bordeaux[17].
En 1920, Belin perfectionne son procédé pour permettre la transmission des photographies par radio. Le premier essai a lieu le : des textes manuscrits, des figures géométriques ainsi peut-être que des photographies sont transmises depuis la station La Fayette, près de Bordeaux, vers Paris[18]. L'essai sera reproduit le grâce au général Gustave Ferrié et devant des spécialistes américains de la télégraphie sans fil[18]. Entre-temps, le quotidien Le Matin s'est montré particulièrement intéressé par ce perfectionnement. Il souhaite l'utiliser pour la transmission de photographies du combat de boxe devant opposer, le , Georges Carpentier à Jack Dempsey[18]. Belin envoie deux ingénieurs à New York mais, par suite d'un retard, le bateau qui les y conduit n'arrive que le , veille du combat[18]. Mais le réglage des appareils ne peut être effectué à temps[18]. Ce n'est que la nuit du [18] au [19],[6],[20] qu'a lieu la première transmission transatlantique d'une image fixe : un bref message autographe de félicitation adressé par Carr Van Andadu, le chef d'édition du New York Times, au Matin. Ce message, envoyé par la station de la Marine américaine à Annapolis, est reçu par Belin à son laboratoire de La Malmaison le à environ 5 heures du matin, heure locale[19]. De nombreuses autres expériences de transmission transatlantique d'images fixes ont lieu par la suite[19]. La première effectuée « en sens contraire » — c'est-à-dire depuis la France vers les États-Unis — concerne un message autographe d'Aristide Briand : envoyé de Paris, il est reçu par la station de la Marine américaine à Bar Harbor[21]. En , a lieu la première transmission de photographie proprement dite par radio entre La Malmaison et Le Matin[6]. L'appareil sert avant 1930 à la transmission des bulletins météorologiques[22].
En 1927, le bélinographe adopte l'analyse optique par une cellule photoélectrique[23] déjà utilisée par son concurrent allemand Arthur Korn[24]. Le procédé raccourcit le délai de préparation de la transmission ; il n'est pas nécessaire d'attendre que la gélatine du tirage photographique sèche.
La presse adopte progressivement la transmission d'images par ligne téléphonique. Le , lendemain de la signature du pacte Briand-Kellogg, Le Matin inaugure le premier service de bélinographie régulier avec le Daily Sketch, d'une part, et The Scotsman, d'autre part[6]. « En France, Le Matin et L'Ouest-Éclair sont les deux seuls journaux dotés de bélinographes », écrit L'Ouest-Éclair le 25 octobre 1931[25].
Belin poursuit la miniaturisation de son appareil et, en , parvient à produire un transmetteur au poids réduit à dix-sept kilogrammes et transportable dans une valise : la valise bélinographe[26]. Le fonctionnement exige une seconde valise, l'ensemble pesant 45 kg[27]. De nouveaux journaux s'équipent en matériel récepteur mais, en , ce n'est encore le cas que de cinq quotidiens nationaux : Paris-Soir, Excelsior, L'Intransigeant, Le Matin et Le Petit Parisien[26].
Les reporters de presse vont couramment utiliser « la Bélino » jusque dans les années 1960-1970. Lors de la parution, les photographies reçues par ce procédé seront souvent accompagnées de la mention « Transmis par Bélino » ou « Bélino transmis », une explication de la rapidité de la transmission, mais aussi de la qualité inférieure de la photographie. « Bélinographe, synonyme, disait-on chez les photo-reporters d'autrefois, de qualité d'image abominable », écrit Emmanuel Bigler[28].
À l'autre extrémité un système de tambour synchronisé, avec un cylindre identique dans une chambre noire, porte un papier photographique. Le système de réception convertit les fréquences reçues en intensité lumineuse grâce à une petite ampoule. Il suffit de développer le papier photographique à la fin de la réception pour obtenir une copie de l'image originelle.
L'envoi d'une photographie noir et blanc de 13 × 18 cm dure environ douze minutes[29].
[Belin 1908] Édouard Belin, « Le tour de France d'une photographie en vingt minutes », Je sais tout, vol. 4, no 37, , p. 241-248 (lire en ligne, consulté le ).
[Chermette 2012] Myriam Chermette (trad. de l'anglais par James Gussen), « Transmettre les images à distance : chronologie culturelle de la téléphotographie dans la presse française » [« The remote transmission of images : a cultural chronology of telephotography in the French press »], Études photographiques, no 29 : « Guerre et Iphone / La photographie allemande / Curtis / Ford », , p. 3e partie : « Culture et presse », p. 136-169 (résumé, lire en ligne, consulté le ).
[Flichy 1997] Patrice Flichy, « La question de la technique dans les recherches sur la communication », Sociologie de la communication, vol. 1, no 1, , p. 243-270 (lire en ligne, consulté le ).
[Fournier 1908] Lucien Fournier, « Le télé-stéréographe Édouard Belin », La Nature, vol. 36, no 1808, , p. 107-110 (lire en ligne, consulté le ).
[Fournier 1913] Lucien Fournier, « Le nouveau télestéréographe Édouard Belin », La Nature, vol. 41, no 2070, , p. 134-137 (lire en ligne, consulté le ).
[Grady 1907] M.-C. Grady, « Le télégraphoscope Belin », La Nature, vol. 35, no 1759, , p. 170-171 (lire en ligne, consulté le ).
[Le Journal 1914] « On a inauguré l'Exposition de Lyon », Le Journal, no 7899, , p. 1 (lire en ligne, consulté le ).
[Marso 2017] Laurie Marsot, « Édouard Belin et le Tour, toute une histoire ! », L'Est républicain, (lire en ligne, consulté le ).
[Le Matin 1921] « Une merveille scientifique : pour la première fois hier la collaboration de la science et du journaliste a permis au “Matin” de réaliser la transmission d'un document autographe par télégraphie sans fil, d'Amérique en France », Le Matin, vol. 38, no 13652, , p. 1 (lire en ligne, consulté le ).
[Le Matin 1928] « Le “Matin” a inauguré hier le premier service régulier de phototélégraphie entre la France et l'Angleterre », Le Matin, vol. 45, no 16233, , p. 1 (lire en ligne, consulté le ).
[Mousseau et Tailhardat 1976] « Belin (Édouard) », dans Jacques Mousseau et Pierre Tailhardat (dir.), L'audio-visuel : de la théorie à la pratique, Paris, Retz et Centre d'étude et de promotion de la lecture, coll. « Les Encyclopédies du savoir moderne / Les Dictionnaires du savoir moderne », , 1re éd., 1 vol., 510, 23 cm (ISBN2-7256-0111-8, OCLC77111288, BNF43448758, SUDOC068033354, lire en ligne), p. 51.
[Soulard 1965] Robert Soulard, « Édouard Belin et la télévision », Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, t. 18, no 3, , p. 1re partie : « Documents pour l'histoire des techniques », p. 265-281 (DOI10.3406/rhs.1965.2426, lire en ligne, consulté le ).
↑« Perfectionnements récents du téléstéréographe Belin », Le génie civil, (lire en ligne). Cet article détaille le fonctionnement de l'appareil tel qu'il était à l'époque.
↑P. Calfas, « Le téléstéréographe Belin », Le génie civil, (lire en ligne). Cet article détaille le fonctionnement de l'appareil tel qu'il était à l'époque.
↑de Maneuvrier, Traité élémentaire de physique, 26, (lire en ligne), p. 1045-1046 décrit l'appareil Korn et d'autres dispositifs capables de transmettre des dessins faits spécialement sur feuille métallique.
↑Jean-Claude Montagné, Transmissions, Histoire des moyens de communication à distance. Première époque, Depuis l'Antiquité jusqu'au milieu du XXe siècle, Bagneux, L'auteur, , 469 p. d'après Orange (entreprise) 2015.