Les attentats terroristes de ce jour-là sont au nombre de cinq, concentrés en l'espace de 53 minutes et frappent simultanément Rome et Milan. Cet évènement marque une étape déterminante de la stratégie de la tension, et est considéré comme le principal point de départ des « années de plomb » italiennes.
Alors que la police soupçonne à l'origine le milieu anarchiste, la Cour de cassation juge en 2005 que le massacre est l'œuvre de militants du mouvement néofasciste Ordine Nuovo, dont Carlo Digilio, Franco Freda et Giovanni Ventura. Le premier ayant participé aux enquêtes et les deux autres ayant été absouts en 1987, aucun n'est condamné.
Attentat
Le à 16 h 37, une bombe explose dans la Banque nationale de l'agriculture(it) sur la piazza Fontana, dans le centre de Milan, faisant dix-sept[1] morts et 88 blessés[1],[2]. Aussitôt, l'extrême gauche est accusée, en particulier les anarchistes. Quatre mille personnes sont arrêtées par la police[3].
Enquête
Le danseur Pietro Valpreda est emprisonné, tandis que le cheminot Giuseppe Pinelli, anarchiste accusé de l'attentat, fait une chute mortelle du quatrième étage du commissariat où il est interrogé. Le commissaire Luigi Calabresi est assassiné en représailles en 1972.
Selon l'auteur d'extrême droite François Duprat, lors du cortège funèbre suivant les attentats, 80 000 personnes manifestent, dont 30 à 40 000 Missini faisant le salut fasciste[source insuffisante][4].
Mais le , la cour d'appel de Milan annule les peines prononcées contre les trois accusés d'Ordine Nuovo, condamnés en première instance[6]. Carlo Digilio bénéficie de l'immunité en échange de sa participation aux enquêtes, en accord avec le statut italien des collaborateurs de justice. Cet acquittement est confirmé par la Cour suprême de cassation en , qui confirme par ailleurs la condamnation de la partie civile à payer les frais du procès, décision qui a suscité l'indignation de l'opinion publique, ainsi que celle du président de la République, Carlo Azeglio Ciampi, qui s'engage à ce que l’État paie ceux-ci[7]. La Cour de cassation, tout en acquittant les trois accusés, a cependant bien affirmé que l'attentat de Piazza Fontana avait été réalisé par les néo-fascistes d'Ordine Nuovo, guidés entre-autres par Franco Freda et Giovanni Ventura, mais que ceux-ci ne pouvaient pas être arrêtés pour des motifs administratifs (ayant été absouts par sentence définitive dans un autre procès en 1987)[8].
Thèse de la « stratégie de la tension »
Selon une théorie qui fait débat, une partie de l’appareil d’État, en lien avec la CIA, aurait entretenu un climat de peur, via la dite stratégie de la tension, afin de faciliter l’arrivée au pouvoir d’un régime dictatorial, comme en Grèce en 1967.
C'est notamment la thèse du documentaire L'Orchestre noir, réalisé par Frédéric Laurent (cofondateur de Libération) et Fabrizio Calvi en 1997 et diffusé sur Arte en 2 soirées en 1998. Ce documentaire soulève un coin du voile sur de possibles manipulations par l'organisation Gladio de néo-fascistes membres de mouvements tels que Movimento Politico Ordine Nuovo ou Avanguardia Nazionale. L'objectif des attentats (dont celui de la Piazza Fontana, celui de Brescia en 1974, ou de celui de Bologne en 1980) aurait été de déclencher, sinon un coup d'État, du moins une déclaration d'état d'urgence [réf. nécessaire] .
Au début des années 1990, la révélation de l'existence du réseau Gladio, une organisation paramilitaire clandestine (stay-behind) de l'OTAN, entraîne de nouvelles spéculations sur ce thème.
En 2000, un document publié par des élus des Démocrates de gauche participant à la commissione Stragi(it) du parlement italien (commission d'enquête sur les massacres) a conclu que Washington avait soutenu « une stratégie de la tension visant à empêcher le PCI et, dans une moindre mesure, le PSI à atteindre le pouvoir ». Celle-ci aurait compris des attaques terroristes sous faux drapeau, attribuées à la partie adverse, en l'occurrence l'extrême-gauche et la mouvance autonome. Néanmoins, l'enquête judiciaire n'a établi aucun lien direct entre le réseau de l'OTAN et les néofascistes impliqués dans l'attentat.
Ce document, dépourvu de valeur officielle, qui comporte des erreurs factuelles[réf. nécessaire] et accuse nommément des membres d'Alliance nationale, a provoqué de vifs échanges au parlement italien et s'est vu qualifié par le président du Sénat italienNicola Mancino d'« exemple de suffisance intellectuelle » (« esempio di supponenza intellettuale »)[9].
Manifestations
Au fil des ans, de nombreux évènements ont eu lieu à la mémoire du massacre de la piazza Fontana et de la mort de Giuseppe Pinelli. Plusieurs de ces initiatives ont dégénéré en affrontements entre policiers et manifestants. En particulier, le , exactement un an après le massacre, lorsque l'étudiant Saverio Saltarelli est décédé, tué par une bombe lacrymogène tirée à la tête par la police.
Ces manifestations sont toujours actives aujourd'hui, notamment dans les cercles de gauche milanais. Le , lors de la rencontre du président de la République, Giorgio Napolitano avec les familles des victimes, celui-ci a loué leur « passion civile », et leur engagement « pour nourrir la mémoire collective et la réflexion », affirmant comprendre ce que « le poids que la négation de la vérité représente pour chacun de vous, un poids que l’État italien porte sur lui-même » et précisant que « ce qui s'est passé dans notre société n'est pas complètement clair et limpide et n'a pas encore été pleinement développé »… « Continuez à travailler pour retrouver chaque élément de vérité ».[réf. nécessaire]
Les manifestations qui ont lieu tous les en souvenir du massacre et le en commémoration de Pinelli et sont devenues un rendez-vous récurrent pour la ville de Milan.
↑Hervé Rayner, « Vetos entrecroisés : l’épineuse question de l’amnistie en Italie », L'Homme et la société, L'Harmattan, vol. 1, no 159, , p. 150-164 (DOI10.3917/lhs.159.0150, lire en ligne).
Elisa Santalena, « Qui a posé la bombe de la piazza Fontana ? », dans Benoît Bréville (coordonnateur), Pierre Rimbert (coordonnateur) et al., Manuel d’autodéfense intellectuelle (Magazine hors série collectif), Paris, SA Le Monde diplomatique, , 131 p. (ISSN0026-9395), p. 54-57.
Eliane Corradini, interview par Jean Lanzi, Eliane Corradini anarchiste milanaise, Panorama, Archives INA, Office national de radiodiffusion télévision française, (consulté le ).
Bibliographie
Camilla Cederna, Andrea Barberi, Marco Fini et Omero Folti, La piste rouge. (Italia 69-72), édité par Union Générale d'Éditions. 10/18, 1972.