L'article 16 de la Constitution de la Cinquième République française est un article de la Constitution de connu comme celui qui, en période de crise, permet de donner des « pouvoirs étendus », d'ordinaire exclus au président de la République française. De manière plus mesurée, le Conseil d'État parle de « pouvoirs exceptionnels »[1].
« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée. »
Cet article a été publié avec une faute de grammaire[2]. Le mot « menacés » doit en effet s'écrire « menacées ». Un amendement adopté le par l'Assemblée nationale, sur un projet de loi constitutionnelle dont l'examen n'a pas été mené à son terme, a proposé de corriger cette erreur[3].
Concrètement, il s'agit d'intégrer au mieux la gestion de crise : pour sauvegarder les institutions de la République dans des situations d'une gravité particulière (comme la guerre ou les catastrophes naturelles), cet article vise à accroître temporairement les pouvoirs de l'exécutif et à le rendre plus réactif.
En , la volonté d'insérer un régime d'exception dans le texte même de la Constitution aurait été inspirée par deux événements : tout d'abord, les difficultés d'Albert Lebrun, dernier président de la IIIe République, à assurer la survie de la légalité républicaine dans le tumulte de la bataille de France en . De Gaulle, l'inspirateur de la Constitution de , avait en effet une connaissance intime de ces événements de – , dont il avait été bien davantage qu'un simple témoin, d'abord sur le champ de bataille à la tête de la 4e division cuirassée de réserve, puis sur le plan politique en tant que sous-secrétaire d'État à la guerre et à la défense nationale dans le cabinet de Paul Reynaud. Le juriste René Capitant qualifie l'article 16 de « constitutionnalisation de l'appel du »[4]. Durant la rédaction de la Constitution par le Comité consultatif constitutionnel, l'article 16 a suscité l'inquiétude de plusieurs de ses membres, dont Guy Mollet. De Gaulle expliqua alors qu'il s'agissait de préserver l'État en face de circonstances d'une exceptionnelle gravité, comparables à celles de [5].
La deuxième raison invoquée par le général de Gaulle pour que cet article soit inscrit dans la Constitution fut la peur d'une révolution de l'intérieur, menée par les communistes. Il déclare : « Nous avons à l'intérieur de notre pays un nombre considérable, hélas, de Français qui ne jouent plus pour la France […] et nous pouvons nous trouver, d'un moment à l'autre, dans une crise indescriptible »[6].
Dans son arrêt Rubin de Servens du [1], le Conseil d'État précise que la décision de mettre en œuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier la légalité ni de contrôler la durée d'application ». Il en est de même d'une décision portant sur une matière législative et prise par le président de la République sous ce régime. Néanmoins, l'avènement de la question prioritaire de constitutionnalité pourrait peut-être atténuer le principe ainsi dégagé par la jurisprudence en [7].
L'article 6 de la révision constitutionnelle du [8] a complété l'article par un alinéa donnant au Conseil constitutionnel la possibilité d'examiner, au bout de 30 jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels sur demande de 60 députés ou sénateurs, ou par les présidents des assemblées, si les conditions ayant donné lieu à leur mise en œuvre sont toujours réunies. Au bout de 60 jours, le Conseil constitutionnel se saisit lui-même.
Disposition controversée
Les termes de l'article font débat[9]. La décision finale de mettre en application l'article 16 n'appartient qu'au président de la République et les garde-fous juridiquement établis (consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel, consultation du Conseil constitutionnel sur les mesures prises) sont peu contraignants, car ceux-ci ne lient pas le président. Le Comité consultatif constitutionnel avait, afin d'instaurer un garde-fou sérieux, proposé que l'avis du Conseil constitutionnel soit liant[10]. En l'état actuel de l'article 16, son avis n'est pas liant, et il ne peut mettre fin aux pouvoirs exceptionnels.
Du fait des pouvoirs exceptionnels accordés au président, le constitutionnaliste Jean Gicquel qualifie le déclenchement de l'article 16 d'une « dictature temporaire en période de nécessité »[11]. Cela correspond à l'esprit de la magistrature exceptionnelle de la République romaine. Toutefois, contrairement au principe de la dictature de la Rome antique, l'utilisation de l'article 16 n'est pas bornée dans le temps.
Le Président de la République ne peut pas utiliser l'article 16 pour réviser la Constitution, car son application vise à rendre aux pouvoirs constitutionnels réguliers (le Congrès du Parlement et institutions judiciaires) les moyens d'accomplir leur mission dans le cadre fixé par la Constitution courante[réf. nécessaire].
Concernant une probable utilisation de l'article 16 pour la loi de finances, le , dans un entretien accordé à l'émission C dans l'air, le constitutionnaliste Benjamin Morel indique que « théoriquement on ne devrait pas pouvoir utiliser l'article 16 sur [le vote du budget], mais le seul qui est juge des circonstances de l'application de l'article 16, c'est le président lui-même »[16].
↑Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République (France), Du conseil d'État au référendum : – , Paris, La Documentation française, coll. « Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la constitution du », , XVI-777 p. (ISBN2-11-002088-1).
Jean Lamarque, « La théorie de la nécessité et l'article 16 de la Constitution de », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, t. LXXVII, no 3, , p. 558–628.
Jean Lamarque, « L'article 16 de la Constitution de : bilan de jurisprudence ; le contrôle juridictionnel des mesures individuelles prises en application des décisions présidentielles », dans Mélanges offerts à Jean Brethe de la Gressaye par ses collègues, ses élèves et ses amis, Bordeaux, Bière, , 827 p., p. 423–452
(en) William Pickles, « Special Powers in France : Article 16 in Practice », Public Law(en), , p. 23–50.
François Saint-Bonnet, « Article 16 », dans François Luchaire (dir.), Gérard Conac (dir.), Xavier Prétot (dir.) et Clémence Zacharie-Theret (coord.), La Constitution de la République française : analyses et commentaires. 50e anniversaire, révision du , Paris, Economica, , 3e éd. (1re éd. , 2e éd. ), VI-2126 p. (ISBN978-2-7178-5545-6), p. 525–544.
François Saint-Bonnet, « L'article 16 et les antagonismes constitutionnels issus de la Révolution », Journal of Constitutional History / Giornale di Storia Costituzionale, Laboratorio di storia costituzionale « Antoine Barnave », Université de Macerata, no 28, 2e semestre 2014, p. 99–109.
Michèle Voisset (sous la dir. de Georges Vedel), L'article 16 de la Constitution de (thèse de doctorat en droit, Université de Paris, Faculté de droit et des sciences économiques, ), Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, R. Pichon et R. Durand-Auzias, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique » (no 39), , 439 p.
Textes législatifs et réglementaires
Décision du , JORF, no 97, , p. 3874 : « il est fait application de l'article 16 de la Constitution ».
Décision du , JORF, no 230, , p. 8963 : « il cesse d’être fait application de l'article 16 de la Constitution ».