D'abord diplomate, militant sioniste jusqu'en 1944, il publie son premier roman en 1930, mais ce n'est qu'en 1968 qu'il connaît la consécration littéraire avec Belle du Seigneur.
Né dans l'île grecque de Corfou en 1895, Abraham Albert Cohen a un père, Marco Cohen, d'origine juive romaniote, et une mère, Louise Judith Ferro, Juive de langue italienne. Son grand-père préside la communauté juive locale[1].
Issus d'une famille de fabricants de savon, les parents d'Albert décident d'émigrer à Marseille après un pogrom, alors qu'Albert n'a que 5 ans. Ils y fondent un commerce d'œufs et d'huile d'olive. Il évoquera cette période dans Le Livre de ma mère. Le jeune Albert commence son éducation dans un établissement privé catholique. Le , il se fait traiter de « youpin » dans la rue par un camelot de la Canebière, événement qu'il racontera dans Ô vous, frères humains. Le jeune garçon court à la gare Saint-Charles. Il s'enferme dans les toilettes, faute de pouvoir s'enfuir. Sur le mur, il écrit : « Vive les Français ! » En 1904, il entre au lycée Thiers, et, en 1909, il se lie d'amitié avec un camarade de classe, Marcel Pagnol. En 1913, il obtient son baccalauréat avec la mention « assez bien ».
En 1914, Albert Cohen quitte Marseille pour Genève. Il s'inscrit à la faculté de droit de la ville en octobre. Dès lors, il s'engage en faveur du sionisme mais n'ira jamais en Israël[2]. Il obtient sa licence en 1917 et s'inscrit à la faculté des lettres, où il reste jusqu'en 1919. Cette année-là, il obtient la nationalité suisse[3] (il était ottoman). Il tente sans succès de devenir avocat à Alexandrie. Il épouse la même année Élisabeth Brocher. En 1921 naît sa fille Myriam et il publie Paroles juives, un recueil de poèmes. En 1924, sa femme meurt d'un cancer.
De 1926 à 1931, il occupe un poste de fonctionnaire attaché à la division diplomatique du Bureau international du travail, à Genève. Il trouve dans cette expérience l'inspiration qui lui permettra de construire l'univers d'Adrien Deume et de Solal des Solal pour Belle du Seigneur.
En 1930, paraît un roman, Solal, premier volume d'un cycle que Cohen a pensé intituler « la Geste des juifs » ou « Solal et les Solal ». Le roman, préfigurant en quelque sorte Belle du Seigneur, raconte la jeunesse du jeune Grec sur l’île de Céphalonie, ainsi que ses premières amours. Le livre bénéficie en France d'une critique exceptionnelle. Il est traduit dans de nombreuses langues et le succès du roman devient universel : « Une œuvre stupéfiante », écrit le New York Herald Tribune ; pour le New York Times, Cohen, c'est James Joyce, Erskine Caldwell, Rabelais réunis, avec en plus la magie des Mille et Une Nuits. Les critiques anglaise, autrichienne, italienne ou helvétique s'expriment sur le même ton.
En 1931, il se marie en secondes noces avec Marianne Goss, dont il divorcera.
En 1938 vient Mangeclous. Aux analyses sentimentales s'ajoutent l'observation amusée du milieu de la Société des Nations.
En 1941, il propose de regrouper les personnalités politiques et intellectuelles européennes réfugiées à Londres dans un comité interallié des amis du sionisme qui aidera la cause d'un État juif, une fois la paix revenue. En effet, les dirigeants sionistes choisissent de porter tous les efforts sur le sauvetage des Juifs d'Europe quitte à sacrifier l'avenir politique [réf. nécessaire]. La stratégie de « propagande » de longue haleine de Cohen n'est donc plus d'actualité. De plus, avec l'entrée en guerre des États-Unis, l'Agence juive comprend que l'avenir du sionisme dépendra plus de l'Amérique que de l'Europe[4]. Cohen est alors chargé par l'Agence juive pour la Palestine d'établir des contacts avec les gouvernements en exil. Il s'irrite vite de la méfiance de ses supérieurs de l'Agence juive. Il démissionne en , très déçu par la cause sioniste.
Le , la mère de Cohen meurt à Marseille. Cette même année il rencontre Bella Berkowich, qui deviendra sa troisième épouse. En 1944, il devient conseiller juridique au Comité intergouvernemental pour les réfugiés dont font partie entre autres la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Il est chargé de l'élaboration de l'accord international du portant sur le statut et la protection des réfugiés.
En 1947, il rentre à Genève. Il est directeur d'une des institutions spécialisées des Nations unies.
En 1954, après seize ans de silence, Cohen publie Le Livre de ma mère, poignant portrait d'un être à la fois quotidien et parfaitement bon qu'il évoquera une nouvelle fois dans ses Carnets 1978. En 1957, il refuse d'occuper le poste d'ambassadeur d'Israël, pour poursuivre son activité littéraire.
Dans les années 1970, Albert Cohen souffre de dépression nerveuse et manque de mourir d'anorexie en 1978. Cette mort qu'il attend à chaque instant depuis toujours, ne veut pas de lui. Il change alors radicalement de vie (à plus de 80 ans…) et va employer ses dernières années à faire ce que son grand ami Marcel Pagnol avait fait toute sa vie : la promotion de son œuvre. Sortant de l'ascèse, il publie ses Carnets 1978 et répond aux demandes d'interviews. Une interview télévisée exclusive de Bernard Pivot, diffusée le et réalisée depuis son domicile genevois, situé 7 avenue Krieg, pour Apostrophes le propulse sur le devant de la scène littéraire. Un numéro du Magazine littéraire lui est enfin consacré.
Lors d'une radioscopie de Jacques Chancel, en mars-, il exprime ses opinions sur Marguerite Yourcenar, se demandant à son sujet comment il était « possible qu'une femme si grosse, si laide, si grasse, puisse écrire ». Des découvertes scientifiques de Marie Curie, il affirme qu'elles sont l'œuvre de « son mari, voyons !… J'en suis sûr. Pas elle. Elle était si sèche[6] ! »
Écrits d'Angleterre, textes rédigés par Cohen en Angleterre entre 1940 et 1949 ; préface de Daniel Jacoby, Les Belles Lettres, 2002.
Mort de Charlot, textes rédigés en revue par Cohen dans les années 1920 ; préface de Daniel Jacoby, Les Belles Lettres, 2003.
Salut à la Russie, textes rédigés par Cohen en 1942 dans la revue française de Londres La France libre ; préface de Daniel Jacoby, Le Préau des collines, 2004.
Le Roi mystère : entretiens avec Françoise Estèbe et Jean Couturier, entretiens réalisés en 1976 pour France Culture, Le Préau des collines, 2009.
Éditions critiques
Belle du Seigneur, édition de Bella Cohen et Christel Peyrefitte, Paris, Gallimard, 1986, Bibliothèque de la Pléiade.
Œuvres, édition de Bella Cohen et Christel Peyrefitte ; avant-propos de Christel Peyrefitte, Paris, Gallimard, 1993, Bibliothèque de la Pléiade, Contient : Paroles juives - Solal - Mangeclous - Le Livre de ma mère - Ézéchiel - Les Valeureux - Ô vous, frères humains - Carnets 1978.
Solal et les Solal. Solal, Mangeclous, Les Valeureux, Belle du Seigneur, Paris, Gallimard, 2018, 1664 p., Quarto, édition annotée et présentée par Philippe Zard. En annexe : Combat de l'homme et « À propos de la première version de Belle du Seigneur », par Anne-Marie Boissonnas-Tillier.
Reprises et utilisations de l’œuvre
Dans le livre Aladin et le crime de la bibliothèque, le livre Mangeclous est, page 119, l'indice d'une énigme à résoudre.
En 2016, Luz publie une adaptation en bande dessinée de Ô vous, frères humains ( éd. Futuropolis), alternant de longs passages sans texte, purement graphiques, et des extraits du livre de Cohen.
S'inspirant du Livre de ma mère, Patrick Timsit a mis en scène une pièce de théâtre portant le même nom, en forme d'hommage.
Le personnage Solal Aronowicz de l'auteur suisse Florian Eglin est inspiré de Solal.
Bibliographie
Carole Auroy, Albert Cohen, une quête solaire, Presses universitaires de la Sorbonne, Paris, 1996
Mathieu Bélisle, Le Drôle de roman. L'œuvre du rire chez Marcel Aymé, Albert Cohen et Raymond Queneau, Presses de l'Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2010
Bella Cohen, Albert Cohen, mythe et réalité, Paris, Gallimard, 1991.
Bella Cohen, Autour d'Albert Cohen, Paris, Gallimard, 1990.
Maxime Decout, Albert Cohen : les fictions de la judéité, Paris, Garnier, 2011.
Goitein-Galperin, Visage de mon peuple. Essai sur Albert Cohen, Paris, Nizet, 1982.
Amenan Gisèle Kouassi, Les formes du temps dans l'œuvre d'Albert Cohen (thèse de doctorat en Langue, Littérature et Civilisation françaises, Université Sorbonne-Nouvelle-Paris 3), , 502 p. (SUDOC17491802X, présentation en ligne, lire en ligne)
Léonard Rosmarin, Albert Cohen, témoin d'un peuple, Éditions du Grand-Pré, 1992.
Alain Schaffner, Le Goût de l'absolu. L'enjeu sacré de la littérature dans l'œuvre d'Albert Cohen, Paris, Champion, 1999.
Alain Schaffner (dir.) et Philippe Zard (dir.), Albert Cohen dans son siècle : actes du colloque international de Cerisy-la-Salle, 2-9 septembre 2003, Paris, Éditions Le Manuscrit, , 518 p. (ISBN2-7481-5562-9, lire en ligne)..
Gérard Valbert, Albert Cohen, ou le pouvoir de vie, Lausanne-Paris, L'Âge d'homme, 1981.
Philippe Zard, La Fiction de l'Occident. Thomas Mann, Franz Kafka, Albert Cohen, Paris, PUF, 1999. Texte intégral : [PDF]