L'affaire des poisons est une série de scandales impliquant des empoisonnements survenus entre 1676 et 1682, sous le règne de Louis XIV, et qui secouèrent Paris et la Cour. Plusieurs personnalités éminentes de la haute noblesse furent impliquées, et ces affaires installèrent un climat hystérique de « chasse aux sorcières » et aux empoisonneuses.
Au début de l’affaire, une cassette avec neuf lettres et des poisons
En 1672, à la mort naturelle d'un officier de cavalerie, aventurier et couvert de dettes, Godin de Sainte-Croix, on découvrit lors de l'inventaire après décès dans ses papiers, dans un coffret, neuf lettres de sa maîtresse, la marquise de Brinvilliers, ainsi qu'une reconnaissance de dette de la marquise, d'un montant de 30 000 livres et diverses fioles qui, après avoir été analysées par un apothicaire, révèlent avoir contenu divers poisons laissant peu de traces dans l'organisme[1].
Dans ses lettres, la marquise reconnaît aussi avoir empoisonné par un mélange d'arsenic et de bave de crapaud son père, la marquise ayant essayé dix fois de tuer son père avant d'y parvenir, et ses deux frères pour s'approprier leurs parts d'héritage. Dans la même cassette, la police trouve aussi une procuration du receveur général du clergé, Pierre Louis Reich de Pennautier, datée du , autorisant un marchand de Carcassonne à recevoir par l'entremise de Godin de Sainte-Croix, de la part de la marquise de Brinvilliers, une somme de 10 000 livres qu'il lui aurait prêtée sous le nom de Paul Sardan[1].
Sur le paquet est écrit « papiers pour être rendus à M. de Pennautier, receveur général du clergé, et je supplie très humblement de bien vouloir les lui rendre en cas de mort, n’étant d’aucune conséquence qu’à lui seul ». Un dernier document, une quittance signée de Cusson, le marchand de Carcassonne[2], prouve que la marquise de Brinvilliers a remboursé deux mille livres à Cusson le .
Les créanciers de Godin de Sainte-Croix s'adressent au Procureur du Roi pour réclamer leurs dus, les hautes sphères de l'État s'intéressent dès le début à cette affaire puisque Colbert est un proche de Pennautier.
La fuite en Angleterre et les efforts de Colbert pour que l’enquête avance
Une fois la cassette découverte, la marquise de Brinvilliers est citée à comparaître devant la justice le , mais se réfugie à Londres. Dès le , Colbert tente d'obtenir le retour en France de la marquise de Brinvilliers mais sans provoquer d'incident diplomatique avec l'Angleterre. Il écrit ainsi à l'ambassadeur de France à Londres pour tenter d'obtenir l'extradition de la marquise de Brinvilliers, en indiquant « Si le roi d’Angleterre voulait bien la faire arrêter, la faire mettre aussitôt en un bâtiment et l'envoyer promptement à Calais, cela serait fait et exécuté auparavant que personne en eût connaissance »[3]. Elle se réfugie alors à Valenciennes, en Hollande puis à Liège, dans un couvent.
Jean Hamelin dit « La Chaussée », valet de Godin de Sainte-Croix, est, lui, arrêté dès le . Jugé en , il est condamné à être rompu vif fin mars, en place de Grève, car il est considéré comme le complice de la marquise de Brinvilliers, ayant servi d'abord son frère. Il est également soupçonné d'avoir voulu empoisonner le Roi à l'instigation de Godin de Sainte-Croix qui avait cherché à obtenir pour lui une charge d'officier du gobelet avec la caution de Pierre Louis Reich de Pennautier. Enfin, après avoir subi la question préalable, La Chaussée a reconnu avoir servi de tueur à gages à Sainte-Croix.
L’arrestation de la marquise et celle de son ami Pennautier
Après avoir été jugée par contumace en 1673, la marquise de Brinvilliers est retrouvée dans un couvent à Liège et arrêtée le par la ruse d’un exempt de police déguisé en prêtre, François Desgrez, le plus fin limier du lieutenant-général de police de La Reynie. Lors de son arrestation sont retrouvées dans sa chambre des lettres de confession dans lesquelles elle s'accuse d'homicides, d'avortement, de pyromanie mais aussi d'une enfance dévastée par un viol à l'âge de 7 ans et des actes incestueux de la part d'un de ses frères. Il n'est pas possible pour l'historien de démêler la part de vérité et de fantasme dans ces confessions.
La marquise de Brinvilliers est extradée et ramenée en France. Elle est soumise à un premier interrogatoire le et écrouée à la Conciergerie le , alors qu’elle refuse d’avouer et déclare que ses lettres de confession ont été écrites lors d'un acte de folie. Sa tentative de suicide échoue. Son long procès (-), sa condamnation et son exécution sont rapportés dans la correspondance de Madame de Sévigné (« Cette affaire occupe tout Paris. ») et romancés dans les Crimes célèbres d’Alexandre Dumas.
Pierre Louis Reich de Pennautier fut emprisonné le à la Conciergerie[4], après avoir été mis en cause par la marquise de Brinvilliers, qui déclare aux enquêteurs lors de nouveaux interrogatoires : « s’il dégoutte sur moi, il pleuvra sur Pennautier »[4]. Ce dernier est alors cité dans une autre affaire d’empoisonnement : Mme Hanivel de Saint Laurens, alias Marie Vosser, veuve de l’ancien receveur du Clergé de France, l’accuse d’avoir empoisonné son mari le [4], pour pouvoir prendre possession de sa charge, ce qu’il fit effectivement le [4]. Pennautier fera intervenir de nombreux ecclésiastiques et sera libéré de prison le après treize mois dans les geôles[4].
Le , Louis XIV écrit à Colbert : « sur l’affaire de Mme de Brinvilliers, je crois qu’il est important que vous disiez au premier président et au procureur général, de ma part, tout ce que de gens de biens comme eux doivent faire pour déconcerter tous ceux de quelque qualité qu’ils soient qui sont mêlés dans un si vilain commerce »[5].
La « Chambre ardente »
Dans un second temps, sept ans après les faits et trois ans après l'exécution de la marquise et de son valet La Chaussée, l'affaire rebondit sur le terrain des messes noires. Maître Perrin, petit avocat sans clientèle, entendit lors d'un dîner arrosé une certaine Marie Bosse réputée devineresse, cette dernière avinée se vantant de ses profits de son métier d'empoisonneuse. Perrin qui connaissait bien Desgrez, rapporta cette affaire à ce dernier. En 1679, l'enquête menée par Desgrez révéla que Marie Bosse avait fourni des poisons à certaines épouses de membres du Parlement voulant empoisonner leur mari. Marie Bosse dénonça une autre empoisonneuse, la femme Montvoisin, dite « la Voisin » qui fut arrêtée le [6].
Le lieutenant de police La Reynie peina à trouver des preuves autres que des témoignages parfois farfelus. À l'accusation d’empoisonnement s'ajoutèrent d'autres : meurtres d’enfants lors de messes noires dites par des prêtres débauchés (dont Étienne Guibourg), profanations d’hosties ou même fabrication de fausse monnaie.
Ce zèle de la part de La Reynie pourrait venir en partie de la lutte entre Louvois, ministre de la Guerre, et Jean-Baptiste Colbert, Louvois menant une enquête secrète pour le compte du roi, tandis que certains des nouveaux accusés illustres étaient présentés comme des proches de Colbert, dont l'influence sur le roi avait fortement chuté, après avoir été contestée par les milieux catholiques ou économiques dès 1669. Cette contestation s'était amplifiée après la faillite en 1674 de la Compagnie des Indes occidentales puis la liaison entre le roi et la marquise de Maintenon, qui reproche par écrit à Colbert de n’être pas assez attentif à la religion.
Après l'exécution de sa mère, Marie-Marguerite Monvoisin mit en cause Madame de Montespan, déjà en disgrâce auprès du roi : celle-ci aurait eu des relations avec la Voisin, sans doute pour obtenir des poudres propres à lui ramener l'amour du roi, et aurait participé à des cérémonies de conjuration. Il n'existe cependant aucune preuve qu’elle ait pris part à des messes noires ou ait organisé l'empoisonnement de ses rivales, telle Marie Angélique de Fontanges, décédée de mort naturelle mais dans des circonstances jugées à l'époque étranges. Madame de Montespan, mère des enfants du roi, resta à la Cour. Malgré les rumeurs concernant son ancienne favorite, le roi continua à la voir chaque jour, lorsqu'il visitait ses enfants. On sait maintenant que Mlle de Fontanges est morte d'une éclampsie, malgré des tentatives d'assassinat qui viennent peut-être réellement de Madame de Montespan.
En trois ans, la Chambre ardente auditionna 442 accusés, ordonna 319 prises de corps (125 inculpés en fuite ne seront pas arrêtés), rendit 104 jugements dont 30 acquittements, 36 condamnations à mort, 34 bannissements du royaume ou amendes et quatre condamnations aux galères[7]. Elle fut dissoute en 1682 par ordre de Louis XIV, sans qu’aient été jugés les accusateurs de Madame de Montespan[8], qui furent enfermés dans des forteresses royales, comme la forteresse du Saint-André, à Salins-les-Bains[9].
La Voisin fut brûlée vive en place de Grève le . Plusieurs femmes ayant accusé Madame de Montespan furent enfermées par lettre de cachet dans diverses forteresses du royaume, par exemple à la citadelle Vauban du Palais (Belle-Île-en-Mer) et à Besançon. Marguerite Joly est également condamnée et brûlée vive le .
Après avoir relu les pièces une à une de tout le dossier de cette « Affaire des Poisons » contenu dans un coffre scellé, Louis XIV promeut un édit intitulé Déclaration du Roi contre les magiciens, sorciers et empoisonneurs[11], qui fut publié avec l’arrêt du registre du Parlement de Toulouse, le 29 août 1682. Il décide ensuite que cette affaire doit rester dans un « éternel oubli » : un arrêt du Conseil du roi daté du ordonne de faire brûler les « vingt-neuf gros paquets de divers registres », procès-verbaux et rapports de police. Ceux-ci furent confiés à Nicolas GAUDION (Greffier des Commissions Extraordinaires du Conseil, qui travaillait avec La REYNIE, surintendant de la Police de Louis XIV) [12]qui les jeta au feu.
Il reste néanmoins des traces écrites de la procédure inquisitoire (copies des actes détenues par le lieutenant de police La Reynie et par la magistrature de la Chambre ardente) qui ont permis aux historiens de reconstituer précisément cette affaire d'État[13].
Protagonistes
Dans cette affaire, 442 personnes ont été inculpées, 104 jugements ont été prononcés dont 36 condamnations à mort, 5 condamnations aux galères à perpétuité et 23 bannissements.
Jean Bartholominat dit « La Chaboissière », valet de Louis de Vanens, pendu le , dernier exécuté de l'affaire des poisons. Le le Roi prononce la dissolution de la Chambre ardente.
Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon ; exilée sur ses terres à Nérac, compromise, elle rentra en grâce.
Bénigne de Meaux du Fouilloux Alluye, demoiselle d'honneur d'Anne d'Autriche, elle épouse le , Henri d'Escoubleau, marquis de Sourdis. Compromise dans l'Affaire des poisons en 1680, elle est contrainte à l'exil et ne revient à Paris que tardivement.
Mlle des Œillets, suivante de Mme de Montespan, et Mme de Villedieu, confidente de la première, chassées de la cour.
Olympe Mancini, comtesse de Soissons ; disgraciée, elle dut quitter la France.
La Bellière, devineresse, condamnée à la détention à perpétuité.
Mme Bertrand, empoisonneuse, condamnée à la détention à perpétuité à la forteresse de Salses.
Pierre Bonnard, secrétaire du duc de Luxembourg, condamné aux galères à perpétuité[14].
Denis Poculot, sieur de Blessis[15], alchimiste, amant de Catherine Deshayes dite « La Voisin », condamné aux galères.
Marie de La Haye de Saint-Hilaire (âgée de 50 ans ou environ, en 1673, née à Rennes, épouse en premières noces, en 1639, de Siméon de La Haye seigneur du Plessis-au-Chat. Après un veuvage de 3 ou 4 mois elle se remaria), femme de Robert de Lamiré de Bachimont. Condamné à la détention à perpétuité, le couple est emprisonné, en , au château de Pierre Scize avant d'être transféré en à Besançon puis au fort Saint-André de Salins.
Marie de Broglio, marquise de Canillac, condamnée à une amende.
Mme Cottard, condamnée à une amende.
Mme Desmaretz, condamnée à une amende.
Rabel, médecin et alchimiste qui fut enfermé à Besançon et Salses, puis libéré en 1686 sur ordre du roi.
En fuite ou mort naturelle
Louis de Guilhem de Castelnau-Caylus, marquis de Saissac, maître de la garde-robe du roi. Il partit en Angleterre pour éviter le procès et revint en France en 1692 (il meurt en 1705).
John Dickson Carr, La Chambre ardente, Éditions du Masque, 2000. Titre original : The Burning Court, 1937, nouvelle dont l'intrigue, inspirée par l'Affaire des Poisons, est située dans la Pennsylvanie de 1929.
Judith Merkle Riley, La Jeune Fille aux oracles, Saint-Amand-Montrond (Cher), Presses de la Cité, 1996.
Annie Pietri, Parfum de meurtre, roman pour la jeunesse sur fond d'affaire des Poisons.
Jean-Michel Riou, L'Insoumise du Roi-Soleil, Paris, Flammarion, 2006.
Nicole Voilhes, La Mouche, Saint-Étienne, Laura Mare, 2009.
Guillaume Lenoir, La Marquise aux poisons, parcours romancé de l'enquête de Nicolas de La Reynie sur La Voisin et de l'implication de la marquise de Montespan, Evidence Editions, 2017.
Olivier Seigneur, La marquise des poisons, Paris, Plon, 2018; rééd., Paris, 10-18, 5438, 2020
↑Bertrand Galimard Flavigny, « Poison et magie sous Louis XIV », Lextenso, 6 avril 2022 — en ligne.
↑Daniel Boulmier, « BUREAU DE CONCILIATION. Procès verbal de conciliation – Office du juge – Information des parties sur leurs droits respectifs – Défaut – Nullité du procès-verbal », Le Droit Ouvrier, vol. N° 788, no 3, , p. 238–240 (ISSN0222-4194, DOI10.3917/drou.788.0238, lire en ligne, consulté le )
↑Charles Diaz, « L'affaire des Poisons », émission L'heure du crime sur RTL, 3 janvier 2013
Gisèle Chautant, Croyances et conduites magiques dans la France du XVIIe siècle d'après l'Affaire des poisons, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, , 480 p. (ISBN2-284-01940-4, présentation en ligne).
Franck Collard, Pouvoir et poison : histoire d'un crime politique de l'Antiquité à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'Univers historique », , 356 p. (ISBN978-2-02-081836-0, présentation en ligne), chap. VIII (« Affaires de poisons et affaires d'État au temps de l'absolutisme »), p. 237-263.
Réédition : Jean-Christian Petitfils, L'affaire des poisons : crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 492), , 394 p., poche (ISBN978-2-262-04181-6).
Claude Quétel, Une ombre sur le Roi-Soleil : l'affaire des Poisons, Paris, Larousse, coll. « L'histoire comme un roman », , 287 p. (ISBN978-2-03-582644-2).
Réédition : Claude Quétel, L'affaire des poisons : crime, sorcellerie et scandale sous le règne de Louis XIV, Paris, Larousse, coll. « Texto : le goût de l'histoire », , 315 p. (ISBN979-10-210-1027-7).
Holly Tucker (trad. de l'anglais par Grégoire Ladrange), Quelque humeur empoisonnante : Nicolas de la Reynie et l'affaire des poisons [« City of Light, City of Poison : Murder, Magic, and the First Police Chief of Paris »], Versailles, Omblage, , 357 p. (ISBN979-10-96997-10-7).