Accord franco-algérien

L'accord franco-algérien[1] est la dénomination couramment employée pour désigner l'accord signé entre la France et l'Algérie le et qui règlemente les circulations, l'emploi et le séjour des ressortissants algériens en France[2].

L’accord relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles selon son titre complet[3] est conçu pour faciliter l’entrée des Algériens en France et ainsi favoriser l’entrée de main-d'œuvre en France[4],[3]. L’accord a été publié en France au Journal officiel du en vertu du décret du [5]. Il est depuis devenu un enjeu politique pour la droite dans les débats sur l’immigration en France[4] et les gouvernements successifs se sont attachés à aligner les dispositions de cet accord sur le droit général des étrangers[6]. Pratiquement entièrement abrogé, les Algériens disposent en France pratiquement du même statut que tous les autres étrangers hors-Union européenne : la spécificité de leur statut tient au fait que les règles les régissant sont négociées avec leur pays d’origine[7].

Cet accord concerne en 2011, 700 000 Algériens en France, plus tous les Algériens d’Algérie souhaitant se rendre en France[8].

Historique

Situation antérieure

À la fin de la guerre d'Algérie, les accords d'Évian accordent à tout Algérien muni d’une carte d’identité en règle la libre-circulation en France. Cette disposition est prévue à l’origine pour permettre aux Pieds-Noirs d’accéder librement à la métropole ; mais leur départ massif fait que ce sont surtout les Algériens arabes et kabyles qui utilisent cette disposition. D’où des contingentements de l’arrivée de la main-d’œuvre algérienne en France, dès 1963, contingentements qui font l’objet d’un accord entre les deux pays l’année suivante. L’accord est dénoncé en 1966[7].

Dès 1964, ce régime libéral est modifié à l’initiative de l’Algérie, qui demande à ses ressortissants traversant la Méditerranée de présenter un billet de retour et de 200 francs au moment d’embarquer ; cette somme est portée par la France à 500 francs à la fin de l’année[6]. Les accords Nekkache-Grandval, signés en avril de la même année, imposent une sélection aux candidats au travail en France, effectuée par l’Office national de la main-d’œuvre algérienne, ainsi qu’une visite médicale française[9].

Le conseil d’État reconnaît que la circulation des personnes entre l’Algérie et la France présente un caractère spécifique[7].

Négociation

En 1968, la France décide de réduire le quota d’Algériens entrant en France à 1 000 par mois (soit 12 000 par an). Le 27 décembre, un accord est signé entre le ministre des affaires étrangères algérien, M. Abdelaziz Bouteflika, et l’ambassadeur français, destiné à faciliter l’entrée de main-d’œuvre par plusieurs mesures[4] :

  1. le quota est relevé à 35 000 Algériens admis en France chaque année (quota pouvant être réduit en cas de chômage[7])[4] ;
  2. avant l’admission, ils ont un droit de séjour de neuf mois pour chercher un emploi[4],[7]. À ce moment-là, ce sont les mairies qui leur délivrent un certificat de résidence qui leur tient lieu de titre de séjour[3] ;
  3. s’ils l’obtiennent, ils ont droit à une carte de séjour[4] particulière nommée certificat de résidence d’Algérien (CRA) valable 5 ans pour le travailleur et sa famille ; un CRA de 10 ans peut être accordé après 3 ans de résidence[7] ;
  4. les touristes algériens peuvent entrer en France sur simple présentation du passeport, pour un séjour d’une durée maximale de trois mois[4],[7],[6] ;
  5. de plus, la France s’engage à améliorer les conditions de formation professionnelle et les conditions de logement des travailleurs algériens, généralement déplorables (voir bidonville en France et Sonacotra)[4].

L’article 12 prévoit une commission mixte franco-algérienne chargée de suivre l’application de l’accord et de résoudre les difficultés[7]. Elle doit rendre un rapport semestriel sur les efforts entrepris et les résultats obtenus[3].

Le statut des Algériens en France est alors exceptionnel : ils bénéficient en France des mêmes droits que les Français, exceptés les droits politiques[6] et la liberté d'installation. Mais l’introduction des certificats de résidence correspond à une volonté d’imposer un contrôle policier strict[9].

Application

En 1969, seuls 30 000 travailleurs algériens sont admis ; 20 000 femmes et enfants sont admis à l’entrée, mais un nombre équivalent d’Algériens retourne en Algérie[4]. À l’époque, les Marocains, soumis aux dispositions du Codesa (code d’entrée et de séjour des étrangers), sont plus nombreux à entrer en France[4].

En 1973, l’Algérie décide l’arrêt de l’émigration de travail : Houari Boumédienne invoque le racisme français pour justifier cette décision[6]. Elle est suivie en 1974 par la France qui décide d’arrêter l’immigration, avec le projet de renvoyer 500 000 Algériens en Algérie d’ici 1979[7], effets là aussi de l’explosion du racisme en 1973[6]. La perception négative des immigrés domine au sein du gouvernement[6]. Symptomatique de cet état d’esprit, la circulaire de 1990 du consulat d’Alger qui prescrit aux agents chargés de la délivrance des visas d’être vigilants, avec présomption de culpabilité vis-à-vis de l’Algérien entrant pour un court séjour en France[6].

À partir de 1983, outre le billet retour et le passeport, les Algériens entrant en France pour un court séjour se voient remettre une carte à deux volets, dont ils doivent remettre le second à leur sortie pour prouver que leur séjour n’a pas dépassé la durée prévue. En outre, ceux qui rendent visite à leur famille doivent présenter une attestation d’hébergement[6].

La guerre civile algérienne contribue aussi à rendre plus difficile la circulation des Algériens en France : les demandes sont traitées à Nantes à la suite de la fermeture des consulats français en Algérie, et le nombre de visas annuels passe de 800 000 en 1990 à 80 000 en 1998[6]. De plus, sous l’influence des accords de Schengen, la procédure d’obtention des visas se complexifie, et les garanties demandées augmentent[6]. En 2007, le nombre de visas accordés était de 170 000 ; de 148 000 en 2009 (dont 18 000 de long séjour)[8].

Depuis 2002, l’accord n’a que très peu d’effets pour la circulation et le séjour des Algériens en France, qui sont soumis au régime général des étrangers hors-Union européenne, hormis pour quelques domaines, comme l’accès immédiat au RSA[4]. Par contre, la difficulté d’obtenir un visa (comparé en Algérie à un billet de loterie gagnant et qui fait l’objet de chansons) et l’opacité de la procédure provoquent des effets pervers :

  • utilisation de moyens délictueux pour obtenir le visa ;
  • corruption de fonctionnaires ;
  • développement d’une immigration illégale (par bateau)[6].

Les consulats d’Alger et d’Annaba ont le record mondial du taux de refus des visas (entre 44 et 48 % contre 20 % dans les autres consulats français) ; de plus, une large partie du processus est privatisé. Après quelques mesures, ce taux baisse en 2011 à 28 %[6].

Avenants

L'accord franco-algérien a, depuis sa publication, été modifié par trois avenants[10] : le premier en [11]. C’est le premier ministre socialiste Laurent Fabius qui abroge les dispositions 1) et 2)[4] ce qui aboutit à calquer quasiment le droit des Algériens sur le droit commun des étrangers en France[7]. En 1986, le gouvernement Jacques Chirac s’appuie sur la vague d’attentats pour imposer[12] l’obligation pour un Algérien d’obtenir un visa pour entrer en France ; cela marque pour certains le début de l’érosion de l’accord de 1968 ; il est suivi par une mesure réciproque de la part de l’Algérie[7]. Cette modification est négociée en octobre 1986 par échanges de lettres entre les deux gouvernements, et le principe de réciprocité a toujours été appliqué depuis par l’Algérie[6], en partie car cette décision française est perçue comme offensante[12].

À partir de 1984, la signature des accords de Schengen pousse la France à rapprocher sa politique vis-à-vis des étrangers hors-Union européenne de celles des autres membres de l’Union[6].

Le deuxième avenant entre en vigueur le [13] : il limite l’absence d’un détenteur de CRA à trois ans ; de plus, les visites familiales sont soumises à plus de formalités[7].

Le troisième avenant date du [14]. Il aligne le droit des Algériens sur celui plus favorable des étrangers (loi Chevènement de 1998)[7]. En 2002, le visa est réinstauré pour toute entrée des Algériens en France[4].

Nicolas Sarkozy relance le débat sur cet acccord[7]. Un quatrième était en préparation en 2010 mais les négociations n'ont pas abouti[15].

Dispositions encore en vigueur

Début 2024, il ne reste quasiment rien de cet accord dans le droit français. Les quotas ont été supprimés, le droit des Algériens en France est le même que celui des autres étrangers hors-Union européenne[7]. Mais les Algériens jouissent encore de quelques dispositions qui leur sont spécifiques :

  • la liberté plus grande d’installation en cas de projet commercial ou artisanal (pas d’obligation de démonstration de la viabilité du projet)[7] ;
  • la carte de séjour de 10 ans peut être obtenue après un an de résidence, contre trois pour les autres étrangers hors-Union européenne[7] ;
  • la carte de séjour des conjoints peut être obtenue immédiatement après l’entrée en France avec un visa de court séjour ; pour les autres étrangers hors-Union européenne, il faut un visa de long séjour[7].

Par contre, certaines dispositions du droit courant des étrangers hors-Union européenne ne s’appliquent pas aux Algériens :

  • la régularisation des sans-papiers par le travail et pour motif humanitaire prévues par la loi de 2004 ne s’appliquent pas aux Algériens[7] ;
  • les étudiants algériens doivent renouveler leur titre de séjour chaque année, aucune disposition ne leur permet de bénéficier d’un visa pluriannuel. De plus, s’ils se retrouvent sans titre de séjour, il doivent prouver 15 ans de résidence pour obtenir une régularisation, contre 10 ans dans le droit des autres étrangers hors-Union européenne. Et s’ils souhaitent exercer un emploi étudiant, ils ont droit à moins d’heures de travail que ces autres étrangers[7].

Dans le débat sur l’immigration en France

À la suite de la publication de Politique migratoire : que faut-il faire de l’accord franco-algérien de 1968 de Xavier Driencourt[4], l'accord fait l'objet de débats dans le cadre du travail parlementaire sur le projet de loi relative à l'asile et à l'immigration de 2023, la Première ministre Élisabeth Borne déclarant à cette occasion que sa renégociation est « à l'ordre du jour »[16], dans le but d’« améliorer le sort des 32 000 Français vivant en Algérie », la plupart étant binationaux[4]. Le parti LR utilise sa niche parlementaire et demande de dénoncer l'accord[17] ; leur exposé des motifs est un copié-collé de la première page du rapport de Driencourt[4]. Le texte est rejeté par 151 voix contre 114[4] :

Le projet de révision de l’accord est mal admis en Algérie, la presse y voyant un renoncement aux accords d'Évian[4].

Selon le journaliste Jean-Pierre Sereni, ce débat de 2023 témoigne de la force du courant anti-immigrés et anti-musulmans dans les médias français et la classe politique française[4].

En octobre 2024, le ministre de l'Intérieur français Bruno Retailleau demande à renégocier l’accord de 1968 avec l’Algérie[18]. Il se dit ensuite Favorable à son abrogation en novembre 2024, au vu de la dégradation des relations entre l'algérie et la france[19].

Le 5 octobre 2024 lors d’une interview télévisé, le président algérien Abdelmadjid Tebboune répond à cette campagne en qualifiant cet accord de « coquille vide ». Il rappelle que « l’accord de 1968 est venu pour restreindre les accords d’Evian qui ont institué la libre circulation des personnes entre les deux pays. Les Européens sont partis, la France a exprimé ensuite son désir de stopper le flux migratoire, nous avons dit d’accord. Il y a eu une révision en 1985, puis en 1995 et en 2001 ». Selon lui, « il est devenu un slogan politique qui est fait pour réunir leurs extrêmes, l’accord de 1968 est l’étendard derrière lequel marche l’armée des extrémistes en France ». Enfin, il accuse ceux qui brandissent cet étendard de chercher « la revanche » tout en rappelant que 60 % de la communauté algérienne en France sont des binationaux[20].

Le 10 janvier 2025, Gabriel Attal ancien Premier ministre exhorte à dénoncer l'accord franco-algérien de 1968, pour « poser les limites et assumer le rapport de force avec l'Algérie »[21].

Application

L'accord franco-algérien se trouve de portée supérieure au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) il « régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et à y exercer une activité professionnelle, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés et leur durée de validité, et les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'établir en France ; qu'il suit de là que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux différents titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers en général et aux conditions de leur délivrance, ne sont pas applicables aux ressortissants algériens, lesquels relèvent à cet égard des règles fixées par l'accord précité »[22].

L'accord doit donc être impérativement appliqué dès lors qu'il concerne des ressortissants algériens. Toutefois, des disparités apparaissent fréquemment dans le traitement des demandes par les préfectures. Cette hétérogénéité, signalée par les autorités algériennes, a été reconnue par l'administration française, qui rétorque toutefois que les préfets disposent d'un pouvoir d'appréciation nécessaire à la bonne gestion administrative des dossiers. Par ailleurs, la supériorité de l'accord franco-algérien de 1968 par rapport au CESEDA, en application de l'article 55 de la Constitution, n'est pas toujours respectée dans la pratique dans la mesure où l'application des circulaires est parfois privilégiée sur certains points non prévus par l'accord ou dans le cadre du pouvoir d'appréciation des préfets[réf. nécessaire].

Une circulaire importante et récente qui fait parfois jeu égal avec l'accord franco-algérien de 1968[Interprétation personnelle ?][réf. nécessaire] dans le traitement des dossiers par les préfectures est la circulaire dite « Valls » du [23]. Il semblerait que cette circulaire s'applique jusqu'à la réforme du CESEDA évoquée par les autorités françaises, notamment au cours du quinquennat de François Hollande, mais dont la date n'a toujours pas été arrêtée vu la sensibilité du dossier[Interprétation personnelle ?].

Voir aussi

Liens internes

Liens externes

Notes et références

  1. « L'accord franco-algérien », Les accords bilatéraux en matière de circulation, de séjour et d'emploi, sur Immigration, asile, accueil et accompagnement des étrangers en France, ministère de l'Intérieur, (consulté le ).
  2. Serge Pautot, « Pas de révision pour l'instant : Accord bilatéral franco-algérien de 1968 sur la circulation et le séjour des Algériens en France », sur El Djazair.
  3. a b c et d Jean Touscoz, Alain Allo, « Les conventions internationales signées par la France et publiées au Journal Officiel de la République française en 1969 », Annuaire français de droit international, 1969, (no)15, p. 802.
  4. a b c d e f g h i j k l m n o p q r et s Jean-Pierre Sereni, « L’accord franco-algérien de 1968, un fantasme de la droite », Orient XXI, 11 janvier 2024, consulté le 30 mars 2024.
  5. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000694290
  6. a b c d e f g h i j k l m n et o Farida Souiah, « Algérie : des visas au compte-goutte », Plein Droit, 2012, (no)93, consulté le 31 mars 2024.
  7. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s et t Hocine Zeghbib, « L’accord franco-algérien de 1968 est-il en sursis ? », The Conversation, 15 août 2023, consulté le 31 mars 2024.
  8. a et b Pierrette Meynier, Gilbert Meynier, « L’immigration algérienne en France : histoire et actualité », Confluences Méditerranée, 2011, (no)77, consulté le 31 mars 2024.
  9. a et b Muriel Cohen, « L’immigration algérienne post-indépendance : l’enracinement à l’épreuve de l’exclusion », Le Mouvement social, 2017, (no)258, p. 29-48.
  10. Accord franco-algérien consolidé sur le site du Gisti
  11. « Redirection Afficher Traites particuliers sur Internet », sur www.diplomatie.gouv.fr (consulté le )
  12. a et b Jean-François Daguzan, « Les rapports franco-algériens, 1962-1992. Réconciliation ou conciliation permanente ? », Politique étrangère, 1993, (no)58-4, p. 891.
  13. « Redirection Afficher Traites particuliers sur Internet », sur www.diplomatie.gouv.fr (consulté le )
  14. « Redirection Afficher Traites particuliers sur Internet », sur www.diplomatie.gouv.fr (consulté le )
  15. Le Point.fr, « Immigration : Paris renonce à amender l'accord de 1968 avec l'Algérie », sur lepoint.fr, (consulté le ).
  16. Radio France Internationale, « France Immigration: une renégociation de l'accord franco-algérien de 1968 est à «l'ordre du jour» », sur rfi.fr, (consulté le ).
  17. « Immigration : l'Assemblée rejette le texte LR demandant de dénoncer l'accord franco-algérien de 1968 », sur Le Figaro, (consulté le )
  18. « Que prévoit l’accord de 1968 sur l’immigration entre la France et l’Algérie ? », sur Le JDD, (consulté le )
  19. « Immigration : le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau « favorable à la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968 » », sur public sénat, (consulté le )
  20. « OQTF, Accord de 1968, mémoire : l'Algérie répond à la France », sur TSA, (consulté le )
  21. « Gabriel Attal: «Face aux provocations incessantes, il faut dénoncer l’accord franco-algérien de 1968» », sur lefigaro.fr, (consulté le )
  22. Cour administrative d'appel de Lyon no 07LY01505, du .
  23. http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/11/cir_36120.pdf

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