« Loi Deferre, loi Joxe, lois Pasqua ou Debré, une seule logique : la chasse à l'immigré. Et n'oublie pas tous les décrets et circulaires. Nous ne pardonnerons jamais la barbarie de leurs lois inhumaines. Un État raciste ne peut que créer des lois racistes. Alors assez de l'antiracisme folklorique et bon enfant dans l'euphorie des jours de fête. Régularisation immédiate de tous les immigrés sans papiers et de leurs familles. Abrogation de toutes les lois racistes régissant le séjour des immigrés en France. Nous revendiquons l'émancipation de tous les exploités de ce pays. Qu'ils soient français ou immigrés. »[1]
Ainsi débute le morceau intitulé 11’30 contre les lois racistes rassemblant, à l'initiative du réalisateur Jean-François Richet et Maître Madj d'Assassin Productions, des personnalités marquantes du rap français pour dénoncer le projet de loi Debré visant à durcir les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Le disque est produit par Why Not/Crépuscule, Cercle rouge et Assassin Productions, réalisé par White & Spirit et enregistré et mixé par Spirit et Jean-Baptiste Millet.
Jean-François Richet est au début de sa carrière lorsqu'il initie ce projet. Il vient de réaliser État des lieux (1995) sur lequel il a travaillé avec Madj et est en train de préparer la sortie de Ma 6-T va crack-er. Le réalisateur souhaite se démarquer de ses confrères cinéastes, dont une soixantaine (Arnaud Desplechin, Bruno Podalydès, Cédric Klapisch, Claude Miller, Bertrand Tavernier, etc.) vient de signer une tribune parue dans Le Monde et Libération le 12 février 1997. Bien que cette critique de la loi Debré se traduise par un appel à la désobéissance civile, elle est jugée trop tendre à l'égard de la gauche plurielle[2],[3],[4]. Richet ne signe pas la tribune en se justifiant ainsi :
« Il ne suffit pas de savoir contre qui on se bat, mais de savoir avec qui on s'allie. Je n'ai pas signé la pétition, je ne voulais pas voir mon nom figurer à côté de certains qui ont flirté quatorze ans avec le pouvoir. Leur initiative est éphémère et réformiste. Le réformisme a souvent pavé la voie au fascisme. »[5]
« Nous ne voulions pas aider des gens, comme SOS Racisme, qui ont été trop longtemps sponsorisés par l’Élysée. L'argent ira au MIB, une asso qui a toujours défendu ceux que d'autres jugeaient indéfendables. »[5]
Le projet se fait très rapidement. Le morceau est enregistré les 1er et aux studios Plus XXX, Cercle Rouge et Petit Mas[7] et est commercialisé à partir du en maxi trois titres (la chanson éponyme, sa version instrumentale et la version a capella) CD et vinyle[5],[8]. Ce projet bénéficie d'une importante couverture médiatique, dont un papier annoncé en Une du Monde du 6 mars[2],[5]. La sortie du disque s'accompagne d'un concert à la Cigale à Paris, avec Lofofora, Assassin, Momo Roots, Fabe, Koma[9]. Tiré initialement entre 5 000 et 6 000 exemplaires[10], le disque est un succès commercial atteignant 60 000 exemplaires vendus en octobre[11], permettant aux organisateurs de faire un chèque de 500 000 francs au MIB[12].
Pour l'Abcdr du son, « tout ce petit monde excelle dans ce brûlot d'engagement »[13]. Denis-Constant Martin qualifie ce titre de « manifeste antiraciste »[14]. Gilles Médioni pour l'Express y voit une « pétition rap »[15]. La musique, basée sur un sample de la musique du film Exodus par Ernest Gold en 1960[16], est moins plébiscitée. David Dufresne qualifie la rythmique d'« un peu usante-usée à la longue »[8].
Quelques grands noms du rap français manquent, tels que NTM et MC Solaar. Ils étaient indisponibles selon Jean-François Richet[8]. Solaar déclare par la suite que « ça devait se faire dans l'urgence et lorsqu'on m'a sollicité je ne pouvais pas me libérer ; je l'aurais sans doute fait, mais en cherchant à en savoir plus »[18].
Le morceau 11'30 contre les lois racistes termine dans le top 100 hebdomadaire et annuel, ce qui reste rare pour l'époque. Entre 1990 et 1997, seulement trente-six titres de rap francophone figurent dans le top 100 hebdomadaire des meilleurs ventes de singles selon le SNEP[19].
↑Benjamine Weill, « L'enjeu est de proposer une alternative aux discours politiques des partis », Libération, (lire en ligne, consulté le ).
↑ a et bMarie Sonnette-Manouguian et Madj, « Si on se prétend politiquement engagés, on doit être dans l'action », Mouvements, vol. 4, no 96, , p. 56-64 (lire en ligne)
↑« Disque contre les « lois racistes » », Le Figaro, .
↑« Des rappeurs donnent 500 000 francs au Mouvement de l'immigration et des banlieues », Libération, .
↑« RAP : les producteurs du single 11'30 contre les lois racistes ont remis au MIB un chèque de 500 000 francs », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
↑L'ABCDR du son, L'obsession Rap : Classiques et instantanés du rap français, Marabout, , 256 p. (ISBN978-2-501-15126-9, lire en ligne), p. 36.
↑Denis-Constant Martin, « Les valeurs du rap », dans Quand le rap sort de sa bulle, Éditions Mélanie Seteun, coll. « Musique et société », (ISBN978-2-913169-54-8, lire en ligne), p. 109–122