L’éruption minoenne (également appelée éruption de Théra ou éruption de Santorin) désigne l'éruption plinienne, qui s'est déroulée vers 1610 av. J.-C., de l'île volcanique de Théra (les îles de Santorin, Thirassía et Asprónissi sont les vestiges de cette île volcanique).
Bien qu'il n'y ait pas de sources claires décrivant l'évènement, il est possible que la stèle de la tempête décrive les conséquences de l'éruption. Il est également possible que les Annales de Bambou décrivent les conséquences de l'hiver volcanique qui suit l'éruption : il est rapporté un ciel jaune inhabituel et un gel d'été au début de la dynastie Shang.
Datation
La date précise de l'éruption reste débattue, la datation traditionnelle vers 1500 ou 1550-1540 av. J.-C., établie par l'étude comparée des styles de céramique, a été remise en cause par l'utilisation d'autres méthodes (carbone 14, dendrochronologie) qui indiquent des dates plus anciennes. Les diverses propositions de datations convergent vers une période située entre 1628 et 1600 av. J.-C.[1],[N 1]. Les travaux plus récents dirigés par S. Manning combinant différentes méthodes de datation orientent vers la fourchette chronologique allant de 1620 à 1560, avec une plausibilité plus forte sur la période 1606-1589 av J.-C.[2]. L'éruption ayant laissé des traces dans une partie du bassin méditerranéen, la confirmation de ces datations pourrait amener à modifier les chronologies relatives des civilisations de la région. On retrouve ainsi des traces des éjectas de l'éruption et les dépôts marins des tsunamis dans les sites archéologiques de tout l'est des rivages de la Méditerranée, ce qui fournit une couche stratigraphique de référence[3].
La période de l'année durant laquelle l'éruption s'est produite est en revanche connue : juin-juillet. C'est l'analyse du contenu de jarres ensevelies, des cycles de vie d'insectes et des méthodes de culture locales qui ont permis de la déterminer précisément[4],[5].
Déroulement
De précédentes éruptions s'étaient déjà produites auparavant, dont l'une, 18 000 ans plus tôt, serait à l'origine de l'affaissement de la caldeira et de la fragmentation de l'île : la chambre magmatique s'étant alors vidée, le toit du volcan se serait effondré sous le poids des débris. Une cavité de plusieurs centaines de mètres de profondeur se serait créée en dessous du niveau de la mer, puis un nouveau cône s'est constitué au centre : c'est lui qui est entré en activité à l'époque minoenne, il y a 3 600 ans[6].
À ce moment, le volcan s'est réveillé en moins de cent ans selon la chronologie déterminée par le taux de diffusion et de rééquilibrage[7] des différents éléments dans les plagioclases de ponces[8].
Cette éruption semble avoir été plus importante que ce que l'on a longtemps pensé : l'indice d'explosivité volcanique est estimé entre 6 et 7 (densité équivalente de roche = 60 km3)[9],[10], 40 à 60 km3 de magma auraient été rejetés sous la forme d'une nuée ardente.
On a longtemps supposé que la caldeira et les îles de Santorin, Thirassía et Asprónissi résultaient de l'effondrement de la partie centrale du volcan au moment de cette éruption. Cependant, l'étude des coulées magmatiques indique leur présence tant sur les versants extérieurs que sur la paroi intérieure du cratère moderne. On peut en déduire que l'archipel avait déjà, au début du IIe millénaire av. J.-C. sensiblement la même apparence qu'aujourd'hui. C'est il y a 21 600 ans que l'effondrement s'est produit : lors de l'éruption minoenne, la matière volcanique émise a rempli en partie la caldeira effondrée et envahie par la mer, et couvert les versants.
L'éruption a provoqué un tsunami de grande ampleur qui a affecté la partie orientale de la mer Méditerranée. D'après les tsunamis plus récents observés, on estime qu'au moins trois vagues successives d'une vingtaine de mètres de hauteur sont entrées sur des centaines de mètres à l'intérieur de la Crète[11].
Effets sur le monde égéen
L'éruption et le tsunami ont détruit les ports et les villes de la culture minoenne qui existaient à l'époque sur l'île et en Crète et dont on a retrouvé les ruines sur le site d'Akrotiri dans l'île de Santorin. La ville de Cnossos, à l'intérieur des terres crétoises, fut épargnée.
La théorie selon laquelle c'est la catastrophe volcanique qui aurait subitement détruit la civilisation minoenne, exposée notamment par Spyrídon Marinátos, est aujourd'hui relativisée : la catastrophe aurait seulement affaibli les Minoens, mais ce sont les envahisseurs qui en ont profité, notamment mycéniens, qui ont fini par les absorber. Quoi qu'il en soit, les conséquences indirectes d'une éruption aussi puissante sur toutes les civilisations de la région furent importantes, bien qu'elles soient toujours débattues[12].
L'éruption dans la culture
Faute de textes précis, il est difficile de faire des corrélations géologiques ou archéologiques indiscutables entre l’éruption et ses conséquences, et les différents mythes auxquels on veut la rattacher[13],[14]. L'impact global de l'éruption, en particulier climatique, fait aujourd'hui l'objet d'évaluations scientifiques plus mesurées, nuancées et précises[15],[16]. Cela n'empêche pas le mythe d'être très présent dans l'imaginaire humain, et plus encore à l'époque moderne que dans les périodes antérieures[17]. Toutes les hypothèses ci-dessous sont cependant loin de faire l'unanimité.
Annales de Bambou
Certains chercheurs ont interprété une description dans les archives chinoises évoquant la chute de la dynastie Xia à la fin du XVIIe siècle av. J.-C. comme les conséquences de l'hiver volcanique de l'éruption minoenne. Selon les Annales de Bambou, l'effondrement de la dynastie Xia et la montée de la dynastie Shang (approximativement vers 1618 av. J.-C.) s'accompagnent de « brouillard jaune, d'un léger soleil, puis de trois soleils, de gel en juillet, de la famine et du fléchage des cinq céréales »[18].
D'après Spyrídon Marinátos et d'autres auteurs, cette éruption, et d'autres plus récentes dans le sud de l'Italie[21], pourraient être à l'origine de mythes qui ont pu inspirer Platon pour son récit de l'Atlantide. Ce point de vue est relayé au sein du grand public notamment par le programme télévisé Atlantis(en) de la BBC.
Livre de l'Exode
La géologue Barbara J. Sivertsen cherche à établir un lien entre l'éruption minoenne et l'exode des israélites dans la Bible[22]. En effet, la description biblique des dix plaies d'Égypte peut correspondre aux effets d'une éruption de grande ampleur sur l'environnement.
Déluge de Deucalion
Une hypothèse, peu reprise par la recherche contemporaine, évoque le fait que le déluge de Deucalion aurait été inspiré par des inondations consécutives à l'éruption volcanique. La Chronique de Paros date ce déluge mythologique vers 1528-1527 av. J.-C.
Bicaméralité
Avec l'hypothèse controversée de la bicaméralité, Julian Jaynes soutient que l'éruption minoenne est un évènement important dans le développement de la conscience humaine puisque les déplacements qu'elle a causés auraient conduit à de nouvelles interactions entre les communautés[23].
Notes et références
Notes
↑L'éruption a ainsi été datée entre 1629 et 1600 av. J.-C. par une étude au carbone 14 effectuée sur des branches d'olivier retrouvées dans les cendres de l'éruption (Documentaire télévisuel de Gabrielle Wengler et Sandra Papadopoulos, Les dix plaies d'Égypte 2/3, avec les interviews des scientifiques Walter Friedrich et Bernd Kromer [1])
Références
↑R.Treuil et al, Les civilisations égéennes, p. 296
↑(en) Manning, S.W., Wacker, L., Büntgen, U. et al., « Radiocarbon offsets and old world chronology as relevant to Mesopotamia, Egypt, Anatolia and Thera (Santorini) », Sci Rep, vol. 10, no 13785, (lire en ligne) ; (en) Sturt W. Manning, « Second Intermediate Period date for the Thera (Santorini) eruption and historical implications », PLOS One, (lire en ligne).
↑(en) Eva Panagiotakopulu, Thomas Higham, Anaya Sarpaki, Paul Buckland et Christos Doumas, « Ancient pests: the season of the Santorini Minoan volcanic eruption and a date from insect chitin », Naturwissenschaften, vol. 100, , p. 683-689 (DOI10.1007/s00114-013-1068-8).
↑Ce taux est corrélé au temps que deux magmas de composition différente mettent à se mélanger.
↑(en) T. H. Druitt et coll, « Decadal to monthly timescales of magma transfer and reservoir growth at a caldeira volcano », Nature, vol. 482, , p. 77–80 (DOI10.1038/nature10706).
↑« Santorini eruption much larger than originally believed » (August 23, 2006). Retrieved on 2007-03-10.
↑(en) [PDF] F.W.McCoy, S.E. Dunn, « Modelling the Climatic Effects of the LBA Eruption of Thera: New Calculations of Tephra Volumes May Suggest a Significantly Larger Eruption than Previously Reported », Chapman Conference on Volcanism and the Earth's AtmosphereLire en ligne, American Geographical Union, 2002
↑J. Faucounau, Les Peuples de la Mer et leur histoire, L'Harmattan, Paris, 2003.
↑Sturt W. Manning, Eruption of Thera/Santorini in E. H. Cline (dir.), The Oxford Handbook of The Bronze Age Aegean, OUP, 2010 - (ISBN978-0195365504). p.458
↑R. Dalongeville, Malia : un marais parle, B.C.H., 125-1. 2001, p. 67-88 Lire en ligne
↑L. Lespez, Discovery of a tsunami deposit from the Bronze Age Santorini eruption at Malia (Crete): impact, chronology, extension, Scientific Reports, volume 11, Article number: 15487 (2021), Lire en ligne.
↑D. M. Pyle, « The global impact of the Minoan eruption of Santorini, Greece », dans Environmental Geology n°30, 1-2, 1997, pp. 59-61 Lire en ligne
↑J. Grattan, « Aspects of Armageddon : An exploration of the role of volcanic eruptions in human history and civilization », Quaternary International, 151, 2006, pp. 10-18.
↑Centre culturel international de Cerisy-la-Salle et le Centre d'études et de recherches Éditer-interpréter de l'Université de Rouen, Chantal Foucrier (dir.) et Lauric Guillaud (dir.) (préf. Pierre Vidal-Naquet), Atlantides imaginaires : réécritures d'un mythe, Paris, Éditions Michel Houdiard, , 375 p. (ISBN978-2-912673-28-2, BNF39944597, présentation en ligne)
↑(en) K. D. Pang, « Climatic and Hydrologic Extremes in Early Chinese History : Possible Causes and Dates », Eos,
↑(en) Mott T. Greene, Natural Knowledge in Preclassical Antiquity, Johns Hopkins University Press,
↑(en) John Victor Luce, The end of Atlantis : New light on an old legend. New Aspects of Antiquity, Londres, Thames & Hudson,
↑Mauro Rosi, Paolo Papale, Luca Lupi et Marco Stoppato, Cent volcans actifs dans le monde, Delachaux et Niestlé, paris 2000 et 2008, (ISBN978-2-603-01398-4), p. 104-105.
↑(en) Barbara J. Sivertsen, The parting of the sea : how volcanoes, earthquakes, and plagues shaped the story of Exodus, Princeton University Press, , « The Minoan Eruption », p. 25
↑(en) Julian Jaynes, The Origin of Consciousness in the Breakdown of the Bicameral Mind, Boston, Houghton Mifflin,