Les pièces — éléments de mécanismes ou de structures — sont soumises à des sollicitations : efforts extérieurs, vibrations, dilatation… Elles sont en général dimensionnées selon deux critères :
l'état limite ultime, ou ELU (en anglais, ultimate limit state, ULS), qui consiste à vérifier qu'elles ne subissent pas de déformation irréversible sous la charge, et a fortiori qu'elles ne présentent pas de dégradation ;
l'état limite en service, ou ELS (serviceability limit state, SLS), qui consiste à vérifier que leur déformation élastique reste compatible avec le fonctionnement.
Déformations élastique et plastique
Considérons une pièce faite d'un matériau ductile. Lorsque l'on augmente progressivement la charge, la pièce passe par trois étapes successives :
la déformation élastique : c’est la déformation non permanente que subit un matériau sous un certain chargement; la pièce reprend sa forme initiale dès que cesse cette contrainte ;
la déformation plastique, permanente : le matériau a atteint la limite d'élasticité et la pièce ne reprend pas sa forme initiale ;
la dégradation, prélude de la rupture.
Si la pièce est faite d'un matériau fragile, comme un verre, une céramique, un béton, un acier trempé, une fonte non ductile, … alors elle reste dans le domaine élastique jusqu'à la rupture. Dans ce cas, la validation à l'ELU est un critère de résistance à la rupture.
Pour un même matériau, cette résistance à la déformation dépend du type de sollicitation ou de fatigue qu’il subit. Nous nous référons ici à la théorie des poutres.
Traction ou extension
Lorsqu’une pièce est sollicitée à l’extension par une force F, on calcule sa contrainte normale σ (lettre grecque « sigma ») :
La validation à l'ELU consiste à vérifier que cette contrainte est inférieure ou au plus égale à la résistance pratique à l’extension Rpe :
σ ≤ Rpe
La résistance pratique à l'extension est définie :
dans le cas d'un matériau ductile, à partir de la limite d'élasticité : Rpe = Re/s ;
Sous l'effet de la traction, la pièce, de longueur initiale l0 s'allonge qu'une quantité ΔL vérifiant la loi de Hooke :
σ = E×ε avec ε = ΔL/L0
où E est le module de Young du matériau, et ε est l'allongement relatif. La vérification à l'ELS consiste à vérifier que la longueur finale
est compatible avec le fonctionnement.
Par ailleurs, sa dimension transverse a0 (largeur, épaisseur, rayon) diminue d'une quantité Δa vérifiant :
.
Cet amincissement augmente le jeu et peut provoquer un desserrage si la pièce est sertie. La validation à l'ELS consiste donc également à vérifier que l'ajustement final est fonctionnel.
Compression
Comme pour l’extension, une pièce courte comprimée doit avoir une contrainte de compression inférieure à la résistance pratique à la compression du matériau.
σ ≤ Rpc
avec Rpc = Rec/s ou Rmc/s.
Pour un certain nombre de matériaux isotropes, les limites d'élasticité en traction et en compression sont égales :
Rec = Re
Rmc = Rm
Ce n'est pas le cas pour les bétons et les fontes.
La déformation se fait comme pour la traction ; la longueur diminue d'une quantité ΔL tandis que la dimension transverse augmente d'une quantité Δa, selon les mêmes équations que précédemment (seules changent les signes des grandeurs). La validation à l'ELS consiste à vérifier que ces variations ne nuisent pas à la fonction de la pièce.
Flambement
La charge critique de flambage, ou flambement, F est la charge pour laquelle la pièce présente un risque d'instabilité en compression : au lieu de simplement se raccourcir et de s'élargir, elle peut se courber. L'expression de cette charge critique est donnée par la formule d'Euler :
Si le flambage est évité, la pièce est simplement en compression. La validation à l'ELS est donc celui de la compression.
Flexion
Dans une pièce soumise à de la flexion, la matière est soumise à de la traction/compression. La contrainte normale maximale vaut
avec :
Mf max : moment de flexion maximal (N m) ;
Wél : module de flexion de la section du matériau (m3).
Le module de flexion est calculé à partir du moment quadratique autour de l'axe de flexion, par exemple IGz, et la distance maximale par rapport à la fibre neutre selon l'axe perpendiculaire, Vy :
La validation à l'ELU consiste à vérifier que
σmax ≤ Rpe
Sous la charge, la pièce se déforme transversalement. Il faut donc évaluer le débattement maximal, appelé « flèche » ƒ. Dans les cas simples, l'évaluation de la flèche peut se faire à partir de formulaires (voir par exemple Wikibooks : Formulaire des poutres simples - Déformée), ou bien par un calcul intégral.
La validation à l'ELS consiste à vérifier que la flèche ne dépasse pas une valeur donnée. Dans le cas d'un axe, la flèche doit être inférieure au jeu pour ne pas provoquer de serrage. En génie civil, la flèche admissible dépend de la longueur L de la poutre, par exemple elle vaut :
L/150 (soit 1/150 de la portée L) pour les parties d'ouvrage en console n'ayant pas à supporter couramment une circulation (auvents, débords de toiture), pour les tubes d'une structure supportant un poste électrique HTB (norme de l'entreprise publique française RTE) ;
L/200 pour les pièces supportant directement des éléments de couverture (chevrons, liteaux), la charpente d'une structure supportant un poste électrique HTB (RTE)
L/250 pour une poutre, dalle ou console soumise à des charges quasi permanentes (clause 7.4.1.4 de l'Eurocode 2. Béton armé) ;
L/300 pour une solive supportant un plancher, les pannes, les pièces supportant directement des matériaux verriers, les consoles supportant une circulation (montage ou entretien), les poteaux avec ponts roulants, les poteaux avec remplissage en maçonnerie prenant appui sur le poteau, les poteaux destinés à recevoir un vitrage sur plus de la moitié de leur hauteur, les éléments fléchis reposant sur deux ou plusieurs appuis, et ne supportant pas d'éléments de remplissage ;
L/400 pour les ouvrages fléchis autres que les consoles, et supportant une circulation (montage ou entretien) ou un remplissage ;
L/500 pour un linteau de menuiserie ;
L/600 pour un pont forestier neuf acier-bois (Ministère des ressources naturelles, Québec) ;
…
Lorsque la poutre subit une déformation irréversible et que par conséquent la matière entre dans le domaine plastique, on fait appel à la notion de rotule plastique afin de déterminer le comportement de la structure.
Le cisaillement simple est une situation où deux forces opposées s'appliquent en étant légèrement décalées. La contrainte de cisaillement, ou cission, est notée τ (lettre grecque « tau ») et vaut
où
F est l'effort tranchant, en newtons (N) ;
S est l'aire de la section cisaillée, en millimètres carrés (mm2).
Il importe de dénombrer les sections cisaillées : dans le cas d'un axe en porte-à-faux, il n'y a qu'une seule section cisaillée, S est donc l'aire de la section droite. Mais pour un axe en chape, l'effort se répartit sur plusieurs tronçons, il y a au total deux sections cisaillées, donc S vaut deux fois l'aire de la section droite.
La validation à l'ELU consiste à vérifier que
τ ≤ Rpg
La résistance pratique au glissement, Rpg, est définie à partir de la résistance élastique au glissement Reg :
Rpg = Reg/s.
Pour les métaux, la résistance élastique au glissement est reliée à la limite d'élasticité :
0,5×Re ≤ Reg ≤ 0,8×Re.
Sous l'effet du couple de forces, la poutre subit localement une déviation. L'angle de déviation, γ (lettre grecque « gamma »), est relié à la contrainte par le module de cisaillement G du matériau :
τ = G×γ
où τ et G sont en mégapascals et γ est en radians. Les deux tronçons de la pièce se décalent d'une valeur v valant :
v = Δx×tan γ ≈ Δx×γ.
la valeur Δx étant l'écartement entre les points d'application des forces.
La validation à l'ELS consiste à vérifier que cette déformation est compatible avec la fonction de la pièce.
Dans une pièce soumise à de la torsion, la matière se déforme en cisaillement. La contrainte de cisaillement maximale, ou cission maximale, vaut :
avec
Mt : le moment de torsion (mm N) ;
C : module de torsion de la section du matériau (mm3).
Dans le cas d'une poutre de section fermée circulaire, le module de torison se calcule à partir du moment quadratique IG et du rayon v :
.
La validation à l'ELU consiste à vérifier que l'on ne dépasse pas la résistance pratique au glissement Rpg
τmax ≤ Rpg.
La torsion crée la rotation d'une extrémité par rapport à l'autre extrémité autour de l'axe. L'angle de rotation relatif est noté α (lettre grecque « alpha »). Pour un moment Mt donné, plus la pièce est longue, plus α est important. On définit un angle de torsion unitaire θ (lettre grecque « thêta ») en radians par millimètre (rad/mm), qui vérifie l'équation
Mt = G×θ×IG
où G est le module de cisaillement du matériau. L'angle total de rotation vaut
α = L×θ
où L est la longueur de la pièce, soit
La validation à l'ELS consiste à vérifier que cette rotation est compatible avec le fonctionnement de l'ensemble.
Lorsqu’un arbre de transmission subit à la fois une torsion et une flexion, sa matière subit à la fois de la contrainte normale et de la contrainte de cisaillement.
On définit un moment de flexion idéal M, qui est le moment générant un risque de rupture équivalent au moment de flexion réel Mf et au moment de torsion Mt :
Puis on calcule une contrainte normale équivalente comme en flexion :
La validation à l'ELU consiste à vérifier que
σeqv ≤ Rpe.
Cette méthode n'est valable que pour les pièces de section cylindrique fermée.
La validation à l'ELS consiste à déterminer séparément les déformations à la flexion et à la torsion (principe de superposition pour les petites déformations).
Flexion + extension ou compression
La flexion et l'extension/compression créent de la contrainte normale. On peut donc calculer la contrainte maximale comme étant la somme
de la contrainte normale due à la traction/compression, σN = F/S, et
de la contrainte maximale de flexion, σf = Mf max/Wél
σmax = σN + σf
et la validation à l'ELU consiste à vérifier que
σmax ≤ Rpe.
La validation à l'ELS consiste à appliquer indépendamment la déformation en traction-compression et en flexion.
Torsion + cisaillement
La torsion comme le cisaillement simple créent de la contrainte de cisaillement τ. La contrainte résultante est simplement la somme des deux contraintes calculées indépendamment :