Yvette Delsaut est l'une des premières élèves de Pierre Bourdieu. Elle est étudiante en sociologie à Lille lorsqu'elle prend part à l'enquête sur laquelle repose Les Héritiers[2]. En 1966, elle participe aux enquêtes sur les publics de musées qui ont conduit à la publication de L'Amour de l'art[3],[4],[5]. En 1975, elle publie avec Pierre Bourdieu un article sur le champ de la mode, dans le premier numéro de la revue Actes de la recherche en sciences sociales. Cet article fait date, il est souvent cité dans le monde académique et parfois dans la presse, comme dans une chronique du Monde sur la mode en 2012[6].
Parmi ce groupe de chercheurs, elle est la première à travailler sociologiquement sur sa propre famille[7]. Les éditions Raisons d'agir publient en 2020 Carnets de socio-analyse, un ouvrage rassemblant les travaux qu'elle a produit sur le sujet tout au long de sa carrière. Elle y explique que le premier article basé sur des données autobiographiques qu'elle a publié l'a « plongée dans un trouble profond et durable » et qu'il a fallu plusieurs années avant qu'elle puisse reprendre ce travail[8]. Par un travail d'écriture ethnographique soigneux, elle évite « les stratégies condescendantes de mise en valeur de soi » et « les effets "narcissisants“ potentiels de l’activité de recherche »[9].
Le travail d'analyse d'Yvette Delsaut est loué comme fin et rigoureux, un « pointillisme sociologique »[10]. Pour chacune de ses enquêtes, elle articule plusieurs méthodes pour en faire un usage intensif. Ainsi, la publication d'un livre sur les écoles normales d'instituteurs s'appuie sur la compilation et l'analyse de textes lui permettant un recul historique, et sur l'ethnographie pour l'analyse des pratiques et des représentations des stagiaires[11],[12].
À partir de 1993, elle a été co-directrice de la collection « Le monde de la vie ordinaire » aux éditions Éditions L'Harmattan avec Smaïn Laacher[13].
En 2010, elle publie Reprises. Cinéma et sociologie. Elle y évoque le film de mai 1968 Reprise du travail aux usines Wonder. Ce livre discute des rapports de cette discipline et du cinéma documentaire envers les classes populaires. C'est une critique serrée de ces relations : elle reproche un surinvestissement de cet espace de la société comme une volonté de réaliser une « justice symbolique » en faveur des dominés. Cette « identification naïve » permettrait de justifier et d'oublier les bénéfices de reconnaissance symbolique que gagnent sociologues et documentaristes en enquêtant sur les classes populaires. Cependant, elle les distingue parce que pour elle, l'idéal de compréhension des sociologues produit une déontologie différente. Par exemple, l'anonymat systématique des personnes enquêtées veille à éviter tout préjudice moral que pourrait causer une publication. Le respect de ces normes professionnelles permet d'éviter, selon Yvette Delsaut, les visions hautaines ou sarcastiques de documentaires tels que Strip-tease[10].
Ouvrages
Yvette Delsaut, « Les opinions politiques dans le système des attitudes : les étudiants en lettres et la politique », Revue Française de Sociologie, no 11, , p. 45-64 (lire en ligne)
Pierre Bourdieu et Yvette Delsaut, « Le couturier et sa griffe : contribution à une théorie de la magie », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1, , p. 7-36 (lire en ligne)
Yvette Delsaut, « Sur Les Héritiers », dans Anne-Marie Sohn, Olivier Kourchid, Jean-Michel Chapoulie, Sociologues et sociologies. La France des années 60, Paris, L'Harmattan, , 294 p. (ISBN2-7475-9523-4, présentation en ligne)
Yvette Delsaut, « Éphémère 68. À propos de Reprise, de Hervé Le Roux », Actes de la recherche en sciences sociales, no 158, , p. 62-95 (lire en ligne)
Yvette Delsaut, « Lumière d'ambiance sur les années 1930. Un après-midi avec Henri Storck », Actes de la recherche en sciences sociales, nos 161-162, , p. 10-31 (DOI10.3917/arss.161.0010, lire en ligne)
Michael Baxandall (trad. Yvette Delsaut), L'œil du Quattrocento. L'usage de la peinture dans l'Italie de la Renaissance [« Painting and Experience in fifteenth Century Italy »], Paris, Gallimard, (ISBN9782072878145, présentation en ligne)
Notes et références
↑François de Singly, « Bourdieu : nom propre d'une entreprise collective », Magazine Littéraire, no 369, , p. 39-44
↑Lucie Tanguy, « Note critique Chapoulie (Jean-Michel), Kourchid (Olivier), Robert (Jean-Louis), Sohn (Anne-Marie) (dir.). – Sociologues et sociologies. La France des années 60 », Histoire de l’éducation, no 114, , p. 205–210 (ISSN0221-6280, lire en ligne, consulté le ).
↑Cyriac Gousset, « Yvette Delsaut, Carnets de socioanalyse. Écrire les pratiques ordinaires », L’Homme. Revue française d’anthropologie, no 236, , p. 230–231 (ISSN0439-4216, lire en ligne, consulté le )
↑Delphine Ruiz, « Yvette Delsaut, Carnets de socioanalyse. Écrire les pratiques ordinaires », Lectures, (ISSN2116-5289, lire en ligne, consulté le )
↑ a et bOlivier Alexandre, « Reprises. Cinéma et sociologie », Sociologie, (ISSN2108-8845, lire en ligne, consulté le ).
↑Pierre Bourdieu, « Livres lus, livres à lire : Yvette Delsaut, La place du maître », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 93, no 1, , p. 75–78 (DOI10.3406/arss.1992.3020, lire en ligne, consulté le )
↑Anne-Marie Chartier, « Nique, Christian (1991). - L'impossible gouvernement des esprits. Histoire politique des Écoles normales primaires. ; Delsaut, Yvette (1992). - La place du maître. Une chronique des Écoles Normales d'instituteurs. », Recherche & formation, vol. 12, no 1, , p. 165–169 (lire en ligne, consulté le )