Certaines informations figurant dans cet article ou cette section devraient être mieux reliées aux sources mentionnées dans les sections « Bibliographie », « Sources » ou « Liens externes » ().
Le vol 501 est le vol inaugural du lanceureuropéenAriane 5, qui a eu lieu le . Il s'est soldé par un échec, causé par un dysfonctionnement informatique, qui vit la fusée se briser et exploser en vol seulement 36,7 secondes après le décollage.
Explication simplifiée
La fusée a explosé à une altitude de 4 000 mètres au-dessus du centre spatial de Kourou, en Guyane. Il n'y a eu aucune victime car les débris sont retombés relativement près du pas de tir et le vol était inhabité.
L'incident, dû à un dépassement d'entier dans les registres mémoire des calculateurs électroniques utilisés par le pilote automatique, a provoqué la panne du système de navigation de la fusée, causant de fait sa destruction ainsi que celle de la charge utile. Cette charge utile était constituée des quatre satellites de la mission Cluster, d'une valeur totale de 370 millions de dollars.
Analyse de l'incident
Chronologie des évènements
Le lancement a lieu le à 9 h 33 min 59 s GMT-3[1] (heure locale), avec 58 minutes de retard sur le planning prévu, en raison de mauvaises conditions météo. Il s'agit alors du premier lancement de la fusée Ariane 5.
À 9 h 33, les moteurs de la fusée sont mis à feu, et les deux systèmes de guidage inertiel (principal et secours) commencent à mesurer les mouvements de rotation et d'accélération de la fusée.
Après 37 secondes de vol, les fortes accélérations produites par l'évolution de la fusée provoquent un dépassement d'entier dans le calculateur du système de guidage inertiel principal, qui se met aussitôt hors service. Le système de guidage de secours, identique au système principal, subit la même avarie et s'arrête à la même seconde. Le pilote automatique, qui s'appuie justement sur les informations provenant de ces systèmes de guidage inertiels, n'a alors plus aucun moyen de contrôler la fusée. L'échec de la mission est inéluctable.
3 secondes plus tard, le pilote automatique se met en route. À la suite d'une mauvaise interprétation du signal de panne provenant des deux systèmes de guidage inertiels alors hors-service, le pilote automatique ordonne par erreur une violente correction de trajectoire. Les tuyères des deux accélérateurs à poudre (EAP) et du moteur de l'étage central sont braquées jusqu'en butée, et la fusée part violemment en virage serré.
La fusée dévie brutalement de sa trajectoire, présentant un dérapage important[Note 1], et les accélérateurs latéraux (boosters) sont arrachés par le fort courant d'air relatif décentré faisant alors apparition. Cet évènement déclenche instantanément le mécanisme d'autodestruction préventive de la fusée. Le contrôleur de vol au sol, ayant perdu tout contact avec la fusée, télécommande également sa destruction, mais la fusée a déjà explosé.
Les débris de la fusée, qui se trouvent à environ 4 000 m d'altitude, sont projetés au loin et s'éparpillent sur une surface d'environ 12 km2 aux abords du centre spatial de Kourou, en Guyane française.
Causes
Centrales inertielles
Un système de guidage inertiel, parfois également désigné « plateforme inertielle », est un ensemble composé d'un calculateur interne, d'accéléromètres et de gyroscopes, qui permettent de mesurer les mouvements effectués par un véhicule par rapport à un repère fixe dans l'espace, en trois dimensions. Le calculateur détermine la position, la vitesse et l'inclinaison du véhicule, sur la base des mesures d'accélération et de rotation angulaire obtenues par les capteurs des accéléromètres et des gyroscopes. C'est un équipement standard dans les bateaux, les avions, les missiles et les véhicules spatiaux.
Le système de guidage inertiel qui se trouvait dans la fusée Ariane 5 était le même que celui qui équipait les précédents modèles de la fusée Ariane. Toutefois, le plan de vol suivi par Ariane 5 lors de son lancement diffère beaucoup de celui d'Ariane 4 : sa trajectoire est différente et les accélérations infligées aux instruments par la fusée sont cinq fois plus fortes que celles que produisait son aînée. Les valeurs trop élevées mesurées par les accéléromètres ont provoqué un dépassement de capacité, lors du calcul de la position géographique de la fusée par le dispositif informatique du système de guidage, ce qui a causé son plantage.
Tout comme pour Ariane 4, le système de guidage inertiel d'Ariane 5 est maintenu en mode alignement (calibrage) durant les quarante premières secondes du vol, suivi ensuite par l'allumage du pilote automatique. C'est dans cette période de quarante secondes qu'a justement eu lieu l'incident. Sur Ariane 5, il n'était normalement plus nécessaire de maintenir le mode de calibrage au début du vol, mais il a néanmoins été maintenu pour des raisons de commodité.
Ordinateur de bord
Lorsque l'ordinateur de bord de la fusée détecte une défaillance de la plateforme de guidage inertiel principale, il bascule automatiquement sur celle de secours. Dans le cas du Vol 501 d'Ariane 5, il n'a malheureusement pas détecté le fait que la plateforme de secours était également en panne pour les mêmes causes que la principale, et a continué à interpréter les signaux qu'elle produisait. Ces signaux de panne ont induit en erreur l'ordinateur de bord, qui les a interprétés et a ordonné une correction de trajectoire brutale à la fusée, qui s'est alors complètement écartée du plan de vol prévu. L'ordinateur de bord croyait avoir corrigé une trajectoire à la suite d'une déviation qui n'avait en fait jamais eu lieu. La cause semblerait liée à une erreur informatique dans la programmation d'une bribe de code - non corrigée - et pourtant utilisée à diverses reprises sur les écrans de ces développeurs.
Le « braquage en butée des tuyères » a porté l'incidence du lanceur à 20°, ce qui a généré de telles charges aérodynamiques que l'un des deux étages d'accélération à poudre s'est arraché[2]. Cette perte de l'un des deux boosters déclenche instantanément l'autodestruction de la fusée, une mesure de sécurité visant à éviter les dégâts au sol que causerait la retombée d'un étage « en un seul morceau ».
Enquête
Le vol a été largement suivi, par caméra, radar et télémesures, et le dysfonctionnement du système de guidage inertiel a été rapidement cerné par l'équipe d'enquête comme étant la cause de l'incident.
Les informations des télémesures ont été envoyées pour analyse au Centre national d'études spatiales de Toulouse, en France, tandis qu'une équipe sur place s'affairait à récupérer les débris de la fusée. La priorité a été donnée aux débris qui présentaient un risque d'incendie, tels que des réserves d'ergols non brûlés. La récupération des débris a été particulièrement difficile, du fait que cette région est essentiellement composée de mangroves et de savanes gorgées d'eau, après la saison des pluies qui venait de se terminer. Des pièces lourdes telles que les tuyères — pesant plusieurs tonnes — ont été retrouvées sous plusieurs mètres d'eau, profondément enfoncées dans la vase, et n'en ont jamais été retirées.
La récupération des deux systèmes de guidage inertiel parmi les débris de la fusée, et l'analyse des informations encore présentes dans la mémoire des appareils a permis de retracer avec précision les dernières secondes du vol. L'enquête s'est portée sur le cahier des charges du système de navigation, et les essais en laboratoire nécessaires pour obtenir l'autorisation de vol. Des simulations de vol après-coup, utilisant les systèmes de guidage inertiel et l'ordinateur de bord dans les conditions de vol réalistes d'Ariane 5, ont reproduit les évènements qui ont conduit à l'explosion de la fusée. Les résultats correspondaient aux informations retrouvées dans les mémoires des appareils qui ont servi durant le vol.
Gilles Kahn est intervenu en tant que membre de la commission d'enquête sur le vol 501 d'Ariane 5 (1996), comme coauteur avec Didier Lombard, permettant de rendre explicite le bug informatique sous-jacent.
Conclusions
Dans le rapport de la commission d'enquête, les points suivants ont été soulevés.
Des essais de chaines fonctionnelles sur table ont en principe lieu avant le décollage. En effet, une centrale inertielle mesure des grandeurs physiques, telles qu'accélération et vitesse angulaire, qui sont très difficiles à reproduire en laboratoire. Les essais en laboratoire consistent à remplacer les mesures de la centrale inertielle par des valeurs simulées artificiellement. La réussite de ces simulations est une condition nécessaire pour obtenir le certificat d'aptitude au vol. Le système de navigation, utilisé depuis longtemps sur Ariane 4, était réputé fiable et le Centre national d'études spatiales a tout simplement demandé à ne pas effectuer les simulations de vol pour ces appareils, ce qui devait ainsi lui permettre d'économiser 800 000 francs sur le coût des préparatifs avant lancement. Or, si ces chaines étaient fonctionnelles sur Ariane 4, elles se sont révélées non compatibles avec le nouveau lanceur. Réalisées en laboratoire après la catastrophe, ces simulations ont justement permis de vérifier que l'accident était inéluctable.
Le bug qui a causé la mise hors service des systèmes de guidage-pilotage à centrales inertielles est causé par la procédure d'étalonnage de l'appareil. Dans un usage normal, cet étalonnage s'effectue au sol et mesure donc de très faibles valeurs d'accélération puisque la fusée est immobile. Pour ce faire, le logiciel transcrit les mesures d’accélérations horizontale et verticale (des flottants codés sur 64 bits) en entiers signés codés sur 16 bits. Or, le programme Ariane 4 a fait le choix de laisser l'appareil en mode calibrage une quarantaine de secondes[2] après le décollage. Ce choix qui date du début du programme Ariane, plus de dix ans avant l'accident, était motivé par le fait que sur les premières fusées Ariane, en cas de report du décollage, il était nécessaire de relancer la procédure de calibrage, qui durait plus de 45 minutes. Cette fonctionnalité, héritée d'Ariane 4 n'a plus d'utilité pour Ariane 5 et a parasité son système de navigation inertielle.
Pour ne pas saturer la mesure de l’accélération verticale au décollage, le logiciel effectue un écrêtage de sa représentation entière à -32768 et +32767 (extremums pour 16 bits) pour ne pas générer de message d'erreur de dépassement d'entier. Mais cette précaution n'a pas été prise pour l'accélération horizontale car le risque de saturation n'était pas identifié pour Ariane 4. Malheureusement, il se produit avec Ariane 5, plus puissante et qui génère des accélérations de vol plus élevées. Faute de protection, un signal d'erreur a donc été envoyé[2],[3].
L'arrêt automatique du système de guidage inertiel principal, en cas d'avarie, était un choix de conception décidé longtemps avant l'incident. La possibilité d'une avarie simultanée des deux systèmes de guidage (principal et secours) n'avait pas été envisagée et ses conséquences n'avaient donc pas été anticipées avant le décollage d'Ariane 5. D'une manière générale, le cahier des charges du programme Ariane est axé sur des erreurs aléatoires et momentanées des appareils. Dans ces cas, un appareil de secours identique fait généralement l'affaire. Le problème vient du fait que les deux appareils étaient de conception strictement identiques et, de ce fait, ce qui cause la panne de l'un d'entre eux a toutes les raisons de mettre en défaut le deuxième. On a donc un mode de défaillance commun conduisant à « perdre » les deux centrales en même temps, ce qui laisse le pilotage automatique de la fusée dans le flou le plus complet.
En effet, selon le cahier des charges de la centrale inertielle, une erreur informatique au sein de l'appareil doit entraîner son arrêt immédiat, l'erreur doit être inscrite dans une mémoire permanente de l'appareil (EEPROM), et un signal de panne doit être transmis aux autres appareils. C'est le choix de conception d'arrêter l'appareil en cas d'incident qui a été fatal à Ariane 5.
Après enquête, les ingénieurs du CNES se sont aperçus que par mesure d'économie, le logiciel de navigation de la fusée Ariane 5 était celui qui avait été conçu pour Ariane 4[4], ce qui a induit une incompatibilité entre le logiciel et le matériel.
Tout tenait au maintien de la fonction d'étalonnage (décidée pour Ariane 4 mais inutile pour Ariane 5) et à la valeur de l'accélération horizontale, plus élevée sur Ariane 5 mais pour laquelle il n'avait pas été prévu de protection contre le risque d'être saturés par une valeur trop grande (car il existait une marge de sécurité suffisante sur Ariane 4). C'est pourtant le dépassement d'une valeur non protégée qui a provoqué la mise en panne des deux centrales inertielles. La centrale active (SRI 2) a émis des messages d'erreur ASCII qui ont été interprétés comme des données de vol produisant un comportement inadapté du lanceur (braquage de tuyères) et sa destruction sous des charges aérodynamiques hors norme. En conséquence, le logiciel décida de l'autodestruction de la fusée[5].
C'est ainsi que, par effet domino, la saturation d'une donnée inutile a conduit à la perte du vol.
↑En aéronautique, un dérapage décrit le phénomène selon lequel un aéronef vole en suivant une direction précise, mais dont son axe longitudinal est décalé par rapport à la route suivie. Cette manœuvre, qu'elle soit volontaire ou non, est normalement contrôlée ou corrigée par la gouverne de lacet.
Références
↑(en) Ariane 501 Inquiry Board, ARIANE 5 Flight 501 Failure, Paris, , 60 p. (lire en ligne [PDF]), Page 5, Paragraphe 3.