La troisième section de la Chancellerie impériale était une agence de police secrète de l'Empire russe qui exista entre 1825 et 1881.
Du fait de son appartenance à la Chancellerie impériale, et dépendant donc directement du tsar, elle avait des pouvoirs très étendus afin de lutter contre les ennemis du trône, et ses décisions étaient mises en application par le corps spécial de gendarmerie.
Depuis la Révolution française, les idées libérales se sont répandues en Europe, et les officiers russes qui revinrent de France quelquefois acquirent ces idées et voulurent les mettre en pratique dans leur patrie afin de remettre en cause l'autocratie et le servage.
Ce complot échoue mais fait comprendre au tsar qu'il avait besoin d'une organisation permanente afin de lutter contre le libéralisme ; il nomme alors le comte von Benckendorff, chef de la commission d'enquête chargée de juger les conjurés, chef de la troisième section de la Chancellerie impériale[2], section qui fut créée le sur ses suggestions ; le siège fut alors installé à Saint-Pétersbourg, au 16, rue Fontanka ; Benckendorff occupa son poste de 1826 à 1844.
Sous Nicolas Ier, encore sous le choc de la révolte desdécabristes, la troisième section bénéficia de pouvoirs étendus, qui furent réduits dans la vague de libéralisme qui accompagna l'avènement d'Alexandre II.
Cependant, l'attentat de Dmitri Karakozov contre la personne du tsar en 1866 ramena cette institution au devant de la scène ; cette section fut alors confiée au comte Chouvalov, un militaire.
Échecs et disparition
Avant d'assassiner le tsar Alexandre II, les terroristes nihilistes avaient assassiné plusieurs hauts-fonctionnaires depuis 1878, dont plusieurs cadres de la troisième section ou de la gendarmerie, sans que cette dernière puisse ni empêcher les attentats ni même intercepter les coupables : ainsi les deux derniers chefs de cette section furent tous deux victimes d’atteintes contre leurs vies, qui réussirent dans le cas du généralNikolaï Mezentsov, qui fut poignardé dans la rue de Saint-Pétersbourg par un assaillant qui ne fut pas immédiatement capturé en 1878 ou son successeur, le général Alexandre Drenteln(en), qui présenta sa démission après avoir reçu des tirs d'une arme à feu de la part d'un nihiliste monté à cheval[5].
D'autres problèmes, moins spectaculaires, causèrent des difficultés : en effet, une véritable « guerre des polices » entre cette section et les polices des Villes et celle du Ministère de l'Intérieur, entraîna une baisse d'efficience, causée par le fait que ces trois polices ne coopéraient pas mais, au contraire, pouvaient se lancer sur des fausses pistes ou arrêter des agents sous couverture[6] ; de plus, la troisième section était obligée de faire passer ses télégrammes par des bureaux d'autres services, la rendant vulnérable aux fuites[7].
À la suite de ces échecs répétés, le la troisième section, peu aimée par la population[Note 1], fut dissoute par oukaze, et ses pouvoirs transférés au Département de la police du Ministère de l'Intérieur.
La troisième section était chargée des tâches de haute police[Note 2], c'est-à-dire la répression des crimes et délits affectant la sureté de l’État, tels que le faux-monnayage ou bien les conspirations politiques, et était également chargée de la surveillance des étrangers, des personnes suspectes ainsi que de la gestion des lieux de détention des prisonniers d’État[1][9].
Organisation
La Chancellerie impériale elle-même était divisée en six sections[2].
La troisième section était organisée en quatre départements :
Le premier département s'occupait de la répression politique.
Le troisième département surveillait les étrangers résidents en Russie, de la situation politique, des partis révolutionnaires ainsi que des organisations de pays étrangers.
Le quatrième département s'occupait des paysans, du commerce et des foires, de la surveillance des frontières ainsi que la corruption des fonctionnaires.
Elle comportait également trois archives, dont une commune et deux secrètes, ainsi qu'une imprimerie.
Ces départements furent ensuite réorganisés de la manière suivante :
Un cinquième département fut créé, chargé de la censure, qu'elle soit littéraire ou des pièces de théâtre[10]
Le troisième département, quant à lui, fut divisé en deux parties.
En 1869, le troisième département fut chargé des tâches de haute police, et toutes les tâches ne s'y rattachant pas furent transférés au quatrième département.
Moyens d'action
La troisième section de la Chancellerie impériale avait le pouvoir de faire déporter en Sibérie les personnes suspectes, ou bien de les faire interner dans ses prisons particulières; ces pouvoirs furent souvent abusés en faveur de personnages éminents afin d'obtenir des divorces, héritages ou remises de dettes[11].
Elle avait aussi le pouvoir de censurer les journaux, qu'elle fit fermer pour certains, et écrivains, qu'elle fit taire ou éloigner: Mikhaïl Lermontov fut interné pour son poèmeLa mort de Pouchkine et, en 1836, Piotr Tchaadaïev, déclaré dément, fut interdit d'écriture et placé sous surveillance médicale pour un an après avoir écrit ses Lettres philosophiques[1].
Cependant, pour orienter l'opinion, aussi bien russe qu'étrangère, dans un sens favorable au pouvoir en place, la troisième section pouvait protéger certains écrivains de la censure officielle ou bien en sponsoriser d'autres pour qu'ils écrivent des articles favorables, moyens que von Beckendorff préférait à la manière forte : Pouchkine s'adresse directement à lui en 1831 pour pouvoir publier son journal sans être inquiété par les autorités en affirmant sa volonté de servir le gouvernement ; un autre écrivain, un certain Yakov Tolstoï, vivant à l'étranger, publie, lui plus de 1 000 articles en russe et en français[1].
L'une de ses missions étant le règlement extrajudiciaire de situations ressenties comme injustes, la troisième section eut également à régler le cas de barines abusant de leur serfs ou de fonctionnaires corrompus[13].
Étant placée au-dessus des lois de par son appartenance à la Chancellerie impériale, la troisième section était habilitée à casser les jugements et arrêts des tribunaux[14].
Anatole Leroy-Beaulieu, L’Empire des Tsars et des Russes, t. II : Les institutions, (1re éd. 1882), 654 p. (présentation en ligne, lire en ligne), chap. V.
Marc Dobler, « Alexander Von Benckendorff, l’homme qui n’en savait jamais assez », Le Courrier de Russie, (lire en ligne, consulté le ).
Notes et références
Notes
↑« On répète souvent que les attentats ne servent à rien [...] le poignard et les balles nous ont cependant débarrassés de la troisième section. », dit une dame à Anatole Leroy-Beaulieu[8].
↑Le terme de haute police désigne la police politique.
↑Sous Alexandre II, les ministres et autres dignitaires évitaient de s'écrire par la poste afin de se soustraire à cette censure[12].
↑Un ambassadeur français en Russie confia à Leroy-Beaulieu que le chancelier Gortchakov lui répondit, en souriant, et après lui avoir lu une note du gouvernement, qu'il était en train d'oublier les commentaires du diplomate accompagnant cette lettre[12].
↑Armand d'Allonville, Mémoires secrets de 1770 à 1830, Werder, (lire en ligne), p. 353-354.
↑Vladimir de La Fite de Pelleport, La Russie historique, monumentale et pittoresque, vol. 1, Ch. Lahure, (présentation en ligne, lire en ligne), p. 164.
↑Charles de Mazade et Alexandre Genrikhovich, La Russie sous l'empereur Alexandre II, vol. 2, G. Paetz, , 58 p. (présentation en ligne, lire en ligne), p. 12.
Bibliographie
Michel Heller, Histoire de la Russie et de son empire, Paris, Perrin, coll. « Tempus », (1re éd. 1995), 1100 p. (ISBN2081235331), « L'édification d'un système », p. 1023-& suiv..