La trame noire est le réseau de corridors écologiques caractérisés par une certaine obscurité et empruntés par les espÚces nocturnes.
Le degrĂ© de luminositĂ© artificielle nocturne imposĂ© par le rĂ©seau d'Ă©clairage dĂ©limite donc des corridors Ă©cologiques, similairement Ă la trame verte et bleue française (TVB), d'oĂč la similaritĂ© des termes.
L'urbanisation importante qui a vu le jour au cours du XXe siĂšcle a engendrĂ© un dĂ©veloppement marquĂ© de l'Ă©clairage artificiel nocturne. Ces nombreux points d'Ă©clairage (lampadaires, enseignes, phares de voituresâŠ) entraĂźnent un phĂ©nomĂšne de pollution lumineuse. L'impact de ce dernier sur la biodiversitĂ© est de plus en plus reconnu[1], notamment sur les dĂ©placements de la faune pendant la nuit au sein d'un territoire donnĂ©. Le halo lumineux des villes se rĂ©verbĂšre sur la couche nuageuse vers le sol. Cette modification des propriĂ©tĂ©s physiques de l'atmosphĂšre perturbe alors les activitĂ©s biologiques basĂ©es sur les cycles lunaires[2].
Impacts de la pollution lumineuse nocturne
L'éclairage nocturne influence négativement les espÚces animales de multiples maniÚres[1] et menace la biodiversité[3]. En effet, presque un tiers des vertébrés et environ deux tiers des invertébrés sont totalement ou partiellement nocturnes[4].
Trois effets majeurs de cette pollution lumineuse sont observĂ©s. Certaines espĂšces sont attirĂ©es puis piĂ©gĂ©es au sein du pĂ©rimĂštre Ă©clairĂ©. D'autres sont empĂȘchĂ©es d'y pĂ©nĂ©trer. D'autres encore voient leur sens de l'orientation perturbĂ©. Aucune espĂšce n'est Ă©pargnĂ©e : insectes, oiseaux, mammifĂšres, amphibiens, crustacĂ©s et mĂȘme zooplancton[5]... La flore subit elle aussi des dommages, indirects, du fait de la dĂ©sertification des pollinisateurs nocturnes. Par rapport aux lieux sombres, il est constatĂ© une baisse de 62% de la visite des fleurs[6].
Pour les espÚces lucifuges telles que le petit rhinolophe, la fragmentation de l'habitat et la diminution de la perméabilité des barriÚres lumineuses exercent un impact notable[7]. Ajoutée à la destruction des biotopes, l'apparition de ces obstacles entrave la mobilité des individus nécessaire pour un brassage génétique indispensable à la survie des populations animales.
Prise en compte dans la gestion du territoire
La notion de trame noire rejoint le concept de rĂ©servoirs et de corridors Ă©cologiques, ensemble appelĂ© trame verte et bleue en France. Cette derniĂšre, dont la dĂ©finition est issue du Grenelle de lâenvironnement en 2007, a Ă©tĂ© largement incluse dans les SchĂ©mas RĂ©gionaux de CohĂ©rence Ăcologique (SRCE). Dans ce cadre, la pollution lumineuse est prise en compte dans la plupart de ces schĂ©mas[1].
De mĂȘme, le MinistĂšre de la Transition Ă©cologique et solidaire souligne la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte la trame noire lors de la dĂ©finition de la TVB[8].
Depuis 2015, le parc national des PyrĂ©nĂ©es Ă©tudie la trame noire en relation avec la TVB sur son territoire[9]. En particulier, une cartographie de lâintensitĂ© de lâĂ©clairage artificiel nocturne Ă lâĂ©chelle du parc a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e, ce qui a permis de dĂ©finir des zones favorables ou non aux Murins et aux Rhinolophes, deux groupes de chiroptĂšres lucifuges, cette Ă©tude devant ĂȘtre complĂ©tĂ©e Ă lâavenir par une analyse plus dĂ©taillĂ©e[9].
La ville de Lille a constituĂ© un groupe pluridisciplinaire de rĂ©flexion sur la constitution dâune trame noire pour amĂ©liorer lâinterconnexion des espaces obscurs[9],[10]. LâoriginalitĂ© de ce travail repose sur lâutilisation des connaissances relatives Ă la rĂ©partition des chiroptĂšres Ă lâĂ©chelle de la mĂ©tropole pour y adosser la trame ainsi identifiĂ©e[9]. Dans cette optique, les inventaires faunistiques et le niveau dâactivitĂ© chiroptĂ©rique ont Ă©tĂ© analysĂ©s pour dĂ©gager une trame principale. Le niveau dâĂ©clairage public dans les quartiers correspondants a Ă©tĂ© modifiĂ©[11].
La trame noire sera un point Ă prendre en compte par les communes lors de la rĂ©novation du parc dâĂ©clairage public rendue nĂ©cessaire par la mise en conformitĂ© avec les directives europĂ©ennes[12].
La ville de New York avec son monument commémoratif temporaire des attentats du 11 septembre 2001, est un exemple d'adaptation concertée entre scientifiques et autorités publiques. La ville, construite sur le passage des oiseaux migrateurs posait déjà problÚme avec ses grattes-ciels. Le faisceau lumineux généré par le monument a encore accru la désorientation et la mortalité des oiseaux migrateurs. AprÚs concertation, les pouvoirs publics ont alors décidé de l'extinction de la source lumineuse durant toute la période migratoire[13].
NĂ©anmoins, lâadaptation de lâĂ©clairage public pour la constitution dâune trame noire adaptĂ©e aux besoins de la faune est un sujet complexe[14] et une extinction partielle des points dâĂ©clairage ne sâaccompagne pas forcĂ©ment dâeffets positifs significatifs[15].
Notes et références
- â a b et c [1] R. Sordello, Pollution lumineuse et trame verte et bleue : vers une trame noire en France ?, in Territoires en mouvement, Territoire en mouvement Revue de gĂ©ographie et amĂ©nagement no 35, 2017
- â « DĂ©couvrir les enjeux de la qualitĂ© de la nuit > Enjeux biodiversitĂ© et paysages - ANPCEN », sur www.anpcen.fr (consultĂ© le )
- â F. Hölker, C. Wolter, EK. Perkin, K. Tockner, Light pollution as a biodiversity threat, in Trends in Ecology & Evolution 25(12), 2010, p. 681-682
- â JP. Siblet et AM. Ducroux, Pollution lumineuse et biodiversitĂ© : un enjeu pour lâensemble du territoire, Espaces Naturels, 2017
- â Matthieu Martin, « Pollution lumineuse, lâurgence est Ă lâextinction des feux - SPT », (consultĂ© le )
- â Eva Knop, Leana Zoller, Remo Ryser et Christopher Gerpe, « Artificial light at night as a new threat to pollination », Nature, vol. 548, no 7666, , p. 206â209 (ISSN 0028-0836 et 1476-4687, DOI 10.1038/nature23288, lire en ligne, consultĂ© le )
- â RHA. van Grunsven, R. Creemers, K. Joosten, M. Donners, EM. Veenendaal, Behaviour of migrating toads under artificial lights differs from other phases of their life cycle, Amphibia-Reptilia, volume 38, no 1, 2017, p. 49â55
- â [2]IntĂ©grer l'enjeu de la Trame noire dans son projet TVB
- â a b c et d R. Sordello, O. Juoille, E. Deutsch, S. Vauclair, L. Salmon-Legagneur, B. Faure, « Trame noire : un sujet qui « monte » dans les territoires », in Sciences Eaux & Territoires no 25, 2018
- â Note de synthĂšse 2017
- â Atelier des espaces publics de la mĂ©tropole lilloise, 2017
- â H. Huteau, Construire une trame noire, un enjeu complexe, La gazette des communes, 2018.
- â « Deux faisceaux lumineux de Ground Zero menacent les oiseaux », La Presse, (lire en ligne, consultĂ© le )
- â Publication FRAPNA, Sensibiliser Ă la trame noire, 2017
- â (en) C. Azam, C. Kerbiriou, A. Vernet, JF. Julien, Y. Bas, L. Plichard, J. Maratrat, I. Le Viol, Is partânight lighting an effective measure to limit the impacts of artificial lighting on bats?, Global Change Biology, 2017
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
Vidéographie
- Romain Sordello (Office français de la biodiversité et UMSPatriNat), « Pollution lumineuse et biodiversité », sur YouTube, à 10:57.
- « MOOC TVB Séquence 6 - Sujet 1 La Trame noire un réseau écologique pour la vie la nuit », sur Vimeo, Office français de la biodiversité, (consulté le ).
- « MOOC TVB SĂ©quence 6 - Sujet 2 Mieux gĂ©rer lâĂ©clairage artificiel dans les continuitĂ©s Ă©cologiques.mp4 », sur Vimeo, Office français de la biodiversitĂ©, (consultĂ© le ).
- Marjorie MillĂšs, « ConfĂ©rence publique ARB ĂźdF : "Pollution lumineuse et biodiversitĂ© : comment mettre en oeuvre une trame noire ?" », sur Agence rĂ©gionale de la biodiversitĂ© en Ăle-de-France, (consultĂ© le ).