En théorie des nombres, la suite de Sylvester est une suite d'entiers telle que chaque terme est le produit de tous les termes précédents augmenté de 1, en partant d'un terme initial égal à 2. Les premiers termes de la suite sont :
En hommage à la démonstration par Euclide de l'infinitude des nombres premiers, les termes de cette suite sont aussi parfois appelés "nombres d'Euclide"[1].
La suite de Sylvester doit son nom à James Joseph Sylvester qui, le premier, étudia ses propriétés dans les années 1880. Ses termes présentent une croissance exponentielle double. La série formée de la somme des inverses de cette suite converge vers 1, plus vite que toute autre série somme infinie d'inverses d'entiers convergeant vers 1.
La relation de récurrence qui définit les termes de la suite permet de factoriser ceux-ci plus facilement que toute autre série de croissance comparable, mais, du fait de la croissance rapide de la série, la décomposition en nombres premiers n'est connue que pour quelques termes. Des valeurs extraites de cette suite ont été utilisées pour construire des représentations de 1 sous forme de développement en fractions égyptiennes, et intervient dans l'étude des variétés d'Einsteinsasakiennes(en).
Définitions
La suite de Sylvester est définie par récurrence forte :
On vérifie alors que , si bien qu'on peut également la définir par récurrence simple :
Un résultat remarquable est que la somme de cette série est égale à 1.
En effet, il résulte de la relation de récurrence [1] que :
;
La somme des termes de à se réduit alors, par téléscopage, à :
Puisque la suite tend vers l'infini, tend bien vers 1.
On peut donc écrire :
ce qui donne une représentation de 1 sous forme de somme infinie de fractions égyptiennes.
La même formule écrite sous la forme fournit un développement de 1/2 en somme infinie de fractions égyptiennes de dénominateurs impairs.
De plus, la formule [2] écrite sous la forme : donne une représentation de 1 sous forme de somme de fractions égyptiennes de longueur quelconque (tronquer la somme infinie après un nombre arbitraire de termes et soustraire 1 du dénominateur de la dernière fraction) ; par exemple :
La somme des premiers termes de la suite constitue la meilleure approximation possible par défaut de 1 à l'aide de fractions égyptiennes [2]. Par exemple, la somme des quatre premiers termes de la série vaut 1805/1806 et par conséquent, pour représenter tout nombre dans l'intervalle ouvert ]1805/1806 , 1[, une somme de fractions égyptiennes doit avoir au moins cinq termes. Pour cette raison, toute série d'inverses d'entiers convergeant vers 1 converge moins vite que la série des inverses de la suite de Sylvester.
On peut interpréter la suite de Sylvester comme le résultat de l'algorithme glouton pour la décomposition du nombre 1 en somme de fractions égyptiennes, algorithme qui, à chaque étape, choisit la plus grande fraction égyptienne dont la somme avec les précédentes est strictement inférieure à 1.
Plus précisément si on pose , on obtient de nouveau la suite de Sylvester.
La suite tend en décroissant vers un nombre E = 1,264084735305... appelé constante de Vardi (suite A076393 de l'OEIS)[1] et on montre que non seulement mais qu'on peut calculer exactement les termes de la suite de Sylvester par la formule :
La croissance doublement exponentielle de la suite de Sylvester est comparable à celle de la suite des nombres de Fermat. Ceux-ci sont habituellement définis par l'expression en double exponentielle : , mais ils sont aussi définis par une récurrence très voisine de celle définissant la suite de Sylvester :
, alors que .
Divisibilité et factorisations
Si , il résulte de la définition que . Par conséquent, deux termes quelconques de la suite de Sylvester sont premiers entre eux. La suite peut donc servir de preuve à l'assertion "il existe une infinité de nombres premiers", puisqu'un nombre premier donné ne peut diviser qu'un terme de la suite au plus.
Plusieurs travaux ont été consacrés à la factorisation des termes de la suite de Sylvester en nombres premiers, mais il demeure beaucoup d'incertitudes à ce sujet. Par exemple, on ne sait pas si tous les termes de la suite sont sans facteurs carrés, bien que tous les termes connus le soient.
Comme Vardi (1991) l'indique, il est facile de déterminer de quel terme de la suite de Sylvester (s'il existe) un nombre premier donné est diviseur : il suffit de calculer les termes de la suite modulo à l'aide de la définition par récurrence (en répétant "remplacer par ") jusqu'à trouver un terme nul. Et si l'on obtient un terme non nul qui avait déjà été trouvé, on est assuré que ne divise aucun terme de la suite. À l'aide de cette technique, il a obtenu qu'exactement 1166 des trois premiers millions de nombres premiers sont des diviseurs des nombres de Sylvester[3] et qu'aucun d'entre eux n'était élevé au carré.
Un résultat de Jones (2006) conclut que la densité dans l'ensemble des nombres premiers des diviseurs premiers des termes de la suite de Sylvester est nulle.
D'autre part Odoni [4] a montré que tous les diviseurs premiers des termes de la suite de Sylvester (excepté 2 et 3) sont de la forme 6k+1.
La table ci-après présente la factorisation des termes de la suite de Sylvester (à l'exception des quatre premiers termes qui sont tous des nombres premiers)[5] :
(la notation Pn représente un nombre de chiffres dont on sait qu'il est premier, et Cn un nombre de chiffres dont on sait qu'il est composé, mais dont la décomposition est inconnue)
La liste croissante des nombres premiers qui divisent un terme de la suite de Sylvester est répertoriée A007996 dans l'OEIS.
Généralisation : développement en série de Sylvester d'un réel quelconque
On peut généraliser l'algorithme glouton de décomposition en somme infinie de fractions égyptiennes à un réel strictement positif autre que 1 : cet algorithme choisit, à chaque étape, la plus grande fraction égyptienne dont la somme avec les précédentes est strictement inférieure à .
On pose donc , ou, de façon plus pratique :
puis pour tout entier naturel : .
Le développement en série de Sylvester de s'écrit alors :
que l'on notera .
La suite d'entiers naturels non nuls est alors définie de façon unique par le fait que pour tout et le réel est rationnel si et seulement si à partir d'un certain rang.
Le développement du nombre 1 correspond bien sûr à la suite de Sylvester vue ci-dessus : .
Si au lieu de prendre la plus grande fraction égyptienne dont la somme avec les précédentes est strictement inférieure à , on prend celle qui est inférieure ou égale à , l'algorithme est identique si est irrationnel, mais il s'arrête si est rationnel et on obtient le développement égyptien glouton fini de .
Par exemple, .
Le développement en série de Sylvester a des liens avec celui de Engel[6].
Unicité des séries à croissance rapide ayant une limite rationnelle
Sylvester observa lui-même que la suite qui porte maintenant son nom semblait posséder la propriété unique d'avoir une croissance extrêmement rapide, tandis que la série somme de ses inverses convergeait vers un rationnel.
Plus précisément, il résulte des travaux de Badea (1993) que, si une suite d'entiers croît suffisamment pour qu'à partir d'un certain rang :
et si la série : converge vers un rationnel, alors, pour tout au-delà d'une certaine valeur, la suite peut être définie par la même relation de récurrence que la suite de Sylvester :
En 1980, Erdősconjectura que pour les résultats de ce type, l'inégalité conditionnant la croissance de la suite pouvait être remplacée par la condition plus faible :
Le problème de Znám consiste à trouver un ensemble de nombres tel que chacun divise le produit de tous les autres plus 1, sans être égal à cette valeur. Si ce n'était cette dernière condition, les ensembles formés des premiers termes de la suite de Sylvester seraient des solutions à ce problème. Avec cette condition, les solutions constituent une suite dont la définition est similaire à celle de la suite de Sylvester. Les solutions du problème de Znám ont des applications dans la classification des singularités des surfaces Brenton et Hill (1988) et dans la théorie des automates finis non déterministes (Domaratzki et al. 2005).
Curtiss (1922) présente une approximation de 1 par la somme de fractions unitaires comme approximation inférieure du nombre de diviseurs de tout nombre parfait et Miller (1919) utilise la même propriété pour minimiser la taille de certains groupes.
↑(en) Jun Wu, « How many points have the same Engel and Sylvester expansions ? », Journal of Number Theory
Volume 103, Issue 1, , p. 16-26 (lire en ligne)
↑Dans leur article, Seiden et Woeginger (2005) utilisent le nom de "Suite de Salzer" au lieu de celui de "Suite de Sylvester", d'après l'article de Salzer (1947) sur les problèmes de minimisation.
(en) Lawrence Brenton et Richard Hill, « On the Diophantine equation 1=Σ1/ni + 1/Πni and a class of homologically trivial complex surface singularities », Pacific J. Math., vol. 133, no 1, , p. 41-67 (lire en ligne)
(en) D. J. Brown, A lower bound for on-line one-dimensional bin packing algorithms ; Version = Tech. Rep. R-864, Coordinated Science Lab., Univ. Illinois, Urbana-Champaign,
(en) Michael Domaratzki, Keith Ellul, Jeffrey Shallit et Ming-Wei Wang, « Non-uniqueness and radius of cyclic unary NFAs », International Journal of Foundations of Computer Science, vol. 16, no 5, , p. 883-896 (DOI10.1142/S0129054105003352, lire en ligne)
(en) Paul Erdős et Ronald Graham, Old and New Problems and Results in Combinatorial Number Theory, Univ. de Genève, coll. « Monographies de L'Enseignement mathématique » (no 28),
(en) Gábor Galambos et Gerhard J. Woeginger, « On-line bin packing — A restricted survey », Mathematical Methods of Operations Research, vol. 42, no 1, , p. 25 (DOI10.1007/BF01415672)
(en) Rafe Jones, « The density of prime divisors in the arithmetic dynamics of quadratic polynomials », (arXivmath/0612415v1)
(en) Frank M. Liang, « A lower bound for on-line bin packing », Information Processing Letters, vol. 10, no 2, , p. 76-79 (DOI10.1016/S0020-0190(80)90077-0)
(en) Martin Rosenman, « Problem 3536 », Amer. Math. Monthly, vol. 40, no 3, , p. 180 (JSTOR2301036)
(en) H. E. Salzer, « The approximation of numbers as sums of reciprocals », Amer. Math. Monthly, vol. 54, no 3, , p. 135-142 (DOI10.2307/2305906, JSTOR2305906)