Archevêque de Conakry[1] de 1962 à 1979, il est le premier évêque autochtone de Guinée et a passé plus de 8 ans dans les geôles du président Ahmed Sékou Touré comme prisonnier politique.
Biographie
Famille et jeunesse
Cinquième d’une fratrie de sept enfants, Raymond-Marie Tchidimbo est le fils de Marc Tchidimbo, cuisinier et majordome Vili du clan Boulolo, originaire du Congo-Français, au service de Noël Ballay à Libreville, lieutenant-gouverneur du Gabon (1886-1889), puis gouverneur des Rivières du Sud (ancien nom de la Guinée à l’époque) (1890-?) et de Marie Élisabeth Curtis, une mère métisse guinéo-américaine (Nalu - peuple côtier). L'ancêtre des Curtis est Benjamin Curtis Sr[2]. un négociant parti de Boston en 1794 vers la région de l'estuaire de la rivière Pongo, près de Boffa.
Très proche de certaines familles africaines, le gouverneur Ballay convainc son cuisinier Marc et son cousin Louis Pouati, tailleur, père de son cousin Jean-Marie Pouati, de le suivre à Conakry[3],[4].
Prénommé Raymond en l'honneur du premier vicaire apostolique de Guinée, MgrRaymond-René Lerouge, il est baptisé le soir même de sa naissance en l'église paroissiale de Sainte Marie.
Au cours de sa paisible enfance à Conakry, il côtoie Albert Johnson, Joseph Gomez, Jean et Benjamin Lawrence, Guillaume Pathé, futur "prélat de sa sainteté" (, Boké - , Conakry), Richard Fowler, Alfred Ndièye et Jean-Marie Pouati, ses deux cousins. Pour la plupart, ces enfants sont issus de familles métisses afro-européennes. Guillaume Pathé, Richard Fowler et Jean-Marie Pouati, feront plus tard partie de la famille ecclésiastique de Guinée, le premier comme premier prêtre de Guinnée ordonné en 1939, le second, comme vicaire général de la curie diocésaine de Conakry et le troisième comme moine trappiste de Sebikotane, missionnaire, incardiné au diocèse de Brazzaville[5]. Ce dernier est également l'oncle maternel de Mgr Louis Portella Mbuyu, évêque de Kinkala depuis 2001.
Études en théologie, ordination et première mission
Raymond-Marie Tchidimbo, entre le au séminaire mineur de Dixinn, petit village de pêcheurs. Il y fait ses études primaires et secondaires.
Il est mobilisé dans les Forces Françaises Libres en 1941, lors de la Seconde Guerre mondiale. Démobilisé en 1945, il intègre le Grand séminaire de Sébikotane au Sénégal, de à , estimant que les études n’étaient pas assez approfondies à Dixinn[6]. Il y rencontre l'abbé Hyacinthe Thiandoum avec qui, il se lie d'amitié.
En , il est tour à tour professeur à l’École normale de Dabadougou et responsable de la paroisse de Kankan, de la direction des Œuvres et quelques responsabilités matérielles, trois ans plus tard. Il a le souci de sensibiliser ses confrères à l’évolution irrésistible de l’Afrique en organisant des conférences pour la formation des chrétiens, en particulier sur le plan social. Ses relations avec quelques figures émergentes de la société guinéenne (partis politiques, syndicats...), dont Sékou Touré, le rendent suspect auprès de l’administration coloniale française, son courrier sera alors surveillé.
En 1957, après la démission du préfet apostolique de Kankan, pendant un an, il devient administrateur apostolique. En , le Père Tchidimbo revient à Conakry en tant que vicaire général de l’archidiocèse auprès de MgrGérard de Milleville ; il est particulièrement chargé des relations avec le gouvernement.
Évêque et archevêque de Conakry
À la suite de l'expulsion de Mgr de Milleville, le , en représailles de sa lettre de protestation au lendemain de la nationalisation de toutes les écoles privées par le président Ahmed Sékou Touré, le Père Tchidimbo devient administrateur de l’archidiocèse.
En devenant, à 42 ans, le tout premier prélat africain de Guinée, le Pape le charge de renouer le dialogue avec le leader guinéen. Il devient par ailleurs président de la Conférence épiscopale de Guinée de 1970 à 1979.
Les débuts semblent prometteurs entre les deux, mais Sékou Touré attend de l’archevêque de Conakry qu’il s’aligne sur les directives de son parti.
Prisonnier de Sékou Touré
Le , Sékou Touré donne un préavis d’un mois à tous les missionnaires occidentaux afin de quitter le territoire national. L'objectif visé est de contraindre le clergé à une africanisation de l'Église catholique guinéenne. Le nonce apostolique avec siège à Dakar, MgrGiovanni Benelli est informé de la situation préoccupante. Lui et le cardinalPaul Zoungrana, archevêque de Ouagadougou, engagent des pourparlers. A la fin du mois de mai, les expulsions de 170 religieux sont effectives malgré tout.
Un plan de remplacement par des prêtres et religieuses africains est organisé par les évêques, y compris à Conakry. Mais un premier groupe est bloqué à l'aéroport de Conakry, au prétexte que ces personnes étaient entrées sans visa.
Mgr Tchidimbo se démène pour débloquer la situation. En face, le chef de l’État ne daigne même pas le recevoir, après une demande d'audience; les relations se limitant à des échanges épistolaires.
La tension monte d'un cran, lorsqu'un prêtre guinéen, Mgr Gomez et un autre sénégalais, l'abbé Pierre Sock[8], se désolidarisent du clergé pour se rapprocher du pouvoir en place[9]. Mgr Tchidimbo proteste vigoureusement et riposte en remettant le second à la disposition de son diocèse d’origine au Sénégal, provoquant ainsi le courroux du président. Supportant de moins en moins, les velléités contradictoires de l'archevêque, Sékou Touré, par l'intermédiare de son parti unique créée alors un Comité des Catholiques de Guinée qui cherchera à mettre en accusation Mgr Tchidimbo et à le faire démissionner[6],[4].
Plusieurs des proches du prélat lui suggèrent de quitter la Guinée; projet balayé d'un revers de la main par Mgr Tchidimbo qui précise:
« Tout évêque a eu à jurer la veille de son ordination de rester fidèle à son poste quoiqu’il advienne. »
Le , il prévient le pape Paul VI de son imminente arrestation, précisant qu'il ne quitterait la Guinée que sur ordre exprès du souverain pontife.
En , il est accusé de faire partie du complot « coup de main portugais » pour intelligence avec l'ennemi. Il est alors incarcéré et condamné à la peine capitale, le , après un simulacre de procès, tout d'abord au camp Alpha Yaya puis au célèbre et funeste camp militaire Boiro, où il sera retenu prisonnier pendant huit ans, durant lesquels il sera, humilié, torturé et condamné à mort[10]. C'est l'intervention de l'ambassadeur soviétique en Guinée qui permettra de commuer sa sentence en détention à perpétuité[6],[4]. Le motif retenu sera alors un trafic de devises.
Sa cousine religieuse, Mère Louis Curtis, réussira à lui faire passer un peu de ravitaillement et de quoi célébrer la messe.
Puis, après de longues tractations entreprises par le Vatican, le président et pasteur baptiste libérienWilliam Richard Tolbert[11],[12],[13],[14][note 1], et André Lewin, l’ambassadeur de France en Guinée, Mgr Tchidimbo est libéré le et expulsé vers Monrovia, puis qu'il qitte pour Rome. Quelques jours plus tard, il est reçu par le pape Jean-Paul II dans le palais pontifical de Castel Gandolfo[15]. Les deux personnalités ont en commun, au péril de leur vie, d’avoir tenu tête au totalitarisme.
Il faudra plusieurs mois au prélat pour refaire sa santé et évacuer les cauchemars de la prison.
Il dira de son ancien ami Sékou Touré, qu'il était un grand malade psychique qui s'ignorait, un authentique paranoïaque, un hystérique qui savait donner le change[16].
L'écriture qui a fait partie intégrante de sa guérison, lui a permis au travers ses droits d'auteur, de se faire construire une petite villa dans le sud de la France, dans le village de Saint-Didier dans le Vaucluse, non loin de Venasque, pour y passer la dernière partie de sa vie.
Malgré ses multiples ennuis de santé, il atteint le vénérable âge de 90 ans. Il meurt à Venasque le .
L'église catholique en Guinée à l'épreuve de Sékou Touré (1958-1984) / Gérard Vieira ; préface de Mgr Robert Sarah - Paris : Karthala , 2005
Notes et références
Notes
↑« William R. Tolbert (1913-1980), président du Liberia depuis 1971, est assassiné le 12 avril 1980, lors d'un coup d'État dirigé par le sergent-chef Samuel Kanyon Doe (1951-1990), un an après les « émeutes du riz ». Ce dernier et les membres de son commando militaire, sont issus de la tribu des Krahn formant la majorité des Libériens d'ascendance africaine, par opposition à la minorité d'ascendance américano-libérienne qui détient le pouvoir depuis l'indépendance, en 1822; et dont fait partie Tolbert. ».
↑(en) Jacqueline Knörr et Christoph Kohl, The Upper Guinea Coast in Global Perspective, New-York; Oxford, Berghahn Books, (ISBN978-1-78533-069-8, lire en ligne), p. 25, 30
↑Joseph-Roger de Benoist, Histoire de l'Église catholique au Sénégal : du milieu du XVe siècle à l'aube du troisième millénaire, Paris/Dakar, KARTHALA Editions, , 581 p. (ISBN978-2-84586-885-4, lire en ligne), p. 432