Le plan Fugu (en japonais河豚計画, Fugu keikaku) est un plan préparé dans les années 1930 dans le Japon impérial afin d'installer des réfugiés juifs fuyant l'Europe occupée par les nazis, dans des territoires occupés par les Japonais en Asie continentale, pour le bénéfice du Japon. Ce plan a d'abord été discuté en 1934, puis finalisé en 1938 à la « Conférence des cinq ministres », mais la signature du Pacte tripartite en 1941, ainsi que plusieurs autres évènements, ont empêché sa mise en œuvre.
L'abandon du plan fugu n'a pas empêché l'exode de Juifs vers le Japon. Durant l'été 1940, le diplomate néerlandais Jan Zwartendijk et le diplomate japonais Chiune Sugihara émettent quelques milliers de visas permettant aux familles juives de traverser l'URSS grâce à un visa de transit japonais pour rejoindre Curaçao.
Nom
En 1939, le capitaine Koreshige Inuzuka décrit les Juifs comme étant des poissons fugu : « c'est très délicieux mais à moins que vous ne sachiez bien le cuisiner, cela peut s'avérer fatal ». C'est pour ça que le plan fut nommé rétrospectivement « plan fugu » en 1979 par les auteurs Marvin Tokayer et Mary Swartz[1].
Sous la direction de Abraham Kaufman(en) et du rabbin Aaron Kiseleff, une grande communauté de Juifs russes habitait déjà à Harbin et dans les villes alentours (plus de 13 000) en raison de la volonté du tsar Nicolas II de « russifier » la Mandchourie[6] puis en raison des pogroms en Russie. Après la révolution russe en 1917, de nombreux Russes blancs — dont beaucoup étaient antisémites et pensaient que les Juifs avaient soutenu la révolution — se sont enfuis vers la Chine[7].
Mais, après l'enlèvement et le meurtre de Simon Kaspé(en), les habitants ont protesté contre le vice-ministre des Affaires étrangères Mamoru Shigemitsu pour dénoncer la maltraitance envers la population juive de Harbin et de Shangaï. De plus, de nombreux Juifs commencèrent à quitter la Mandchourie; Norihiro Yasue a alors tenté de se rapprocher de Kaufman pour convaincre sa communauté de rester[Toka 3].
Mise en place
Le , la « Conférence des Cinq Ministres » réunit les personnes les plus importantes du Japon, après l'empereurHirohito : Fumimaro Konoe (Premier ministre), Hachirō Arita (Ministre des Affaires étrangères), Seishirō Itagaki (Ministre des Armées), Mitsumasa Yonai (Ministre de la Marine) et Ikeda Shigeaki (Ministre des Finances et Ministre du Commerce et de l'Industrie). La grande majorité était antisémite et pro-nazi, donc contre l'implantation d'une communauté juive en Mandchourie[Toka 4]. Finalement, Ikeda et Itagaki ont convaincu le reste des ministres qu'ils pouvaient contrôler cette population[Toka 5].
Dès 1939, les « experts juifs » commencent à mettre en place le plan. Koreshige Inuzuka développe les relations avec la population ashkénaze, partiellement convaincue par les conférences de Kaufman, et Yōsuke Matsuoka engage Setsuzo Kotsuji(en), un Japonais parlant hébreu, dans le département des relations publiques de la South Manchurian Railway Company. Yasue, de son côté, continue d'améliorer sa relation avec Kaufman pour le convaincre que le gouvernement japonais ne fait pas de discrimination[Toka 6].
En , Lew Zikman « préoccupé par le sort des Juifs en Europe » demande une estimation du prix pour faire venir six cents Juifs aux alentours de Manchukuo; Inuzaka propose plutôt d'en faire venir trois mille. L'emplacement des Juifs n'est pas encore décidé (Yasue préférant Manchukuo, Ishiguro et Inuzuka proposant Shangaï) mais il est certain que la communauté juive aura une autonomie totale sur les plans religieux, culturels et éducatifs, le reste étant géré entièrement par les Japonais. Finalement, le prix s'élève à deux cents millions de yens (ou cent million de dollars). Ce prix comprend l'installation des Juifs (estimée à douze millions de yens) et l'achat de matériaux aux États-Unis[Toka 7].
En 1939, les Juifs qui habitaient déjà à Shangaï commencent à se rebeller, en raison du fait qu'ils pensaient ne plus y avoir de place dans la ville[Toka 9]. Zikman reçoit une lettre de Stephen Wise lui disant « qu’il est totalement vicieux de la part des Juifs de soutenir le Japon, une nation aussi véritablement fasciste que l’Allemagne ou l’Italie »[Toka 10]. Wise rencontre Mitsuzo Tamura à New York mais n'est pas convaincu. Il ne répond pas non plus aux invitations à visiter le Japon. De plus, une grande partie du gouvernement restait pro-nazie[Toka 11]. En juin 1940, Wise indique tout de même qu'il est prêt à envisager le plan japonais si le département d'État l'approuve[5].
En , Yōsuke Matsuoka devient ministre des Affaires étrangères et consolide les alliances militaires avec l'Allemagne et l'Italie. Le pacte tripartite signé en met ensuite fin au plan fugu[Toka 12], qui est définitivement enterré après l'attaque de Pearl Harbor en , empêchant toute possibilité d'apaisement entre les États-Unis et le Japon[4]. En 1940, Yasue est démis de ses fonctions puis quitte l'armée en raison de ses opinions pro-sémites[9].
En 1940, des milliers de Juifs tentent de fuir l'Allemagne nazie et ses alliés. Pour cela, ils se réunissent à Kaunas en Lituanie afin d'obtenir un visa néerlandais de la part du consul Jan Zwartendijk pour aller vers l'île de Curaçao[10] où seule l'autorisation du gouverneur était nécessaire pour entrer dans le pays[11], permettant aux diplomates de tamponner les passeports avec l'accord de l'ambassadeur néerlandais aux pays BaltesL.P.J. de Decker(nl)[Toka 13]. Afin de quitter l'Europe, Chiune Sugihara, vice-consul japonais, leur fournit des visas de transit vers le Japon, leur permettant de traverser l'URSS à bord des trains transsibériens[12]. Les deux hommes agissent alors contre la volonté de leurs gouvernements.
Entre juillet et août 1940, date butoir imposée par l'URSS aux gouvernements étrangers pour quitter la Lituanie après son annexion[13], les deux diplomates ont tamponné plus de 2 140 visas[14], correspondant à environ 6 000 personnes[15]. Il est cependant difficile d'estimer le nombre de personnes sauvées car la quantité de visas réellement utilisée peut être plus basse[12],[16].
Arrivée au Japon
Une fois munis de leurs visas, les milliers de Juifs ont pu rejoindre le Japon pour s'installer à Kobe, où la grande communauté juive les ont accueilli. Bien que la durée originale des visas était de 10 jours, la communauté juive, avec le soutien de Setsuzo Kotsuji(en) qui avait travaillé avec le ministre des Affaires étrangèresYōsuke Matsuoka, a obtenu le prolongement de la période de transit[14],[17].
En 1979, Marvin Tokayer et Mary Schwartz publient Histoire inconnue des Juifs et des Japonais pendant la Seconde guerre mondiale : le plan Fugu qui retrace l'histoire du plan ainsi que le sauvetage de milliers de Juifs par Sugihara et Zwartendyk[21], et avec l'aide des documents de Michael Kogan(en), d'Hideaki Kase, le fils du secrétaire du ministre des Affaires étrangères de l'époque Yōsuke Matsuoka, et des descendants des différents architectes du plan fugu[Toka 14].
↑(en) David Kranzler, Japanese, Nazis & Jews: The Jewish Refugee Community in Shanghai, 1938-1945, Yeshiva University Press, , 644 p. (ISBN0893620017), p. 207.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(en) Marvin Tokayer et Mary Schwartz, The fugu plan : The untold story of the Japanese and the Jews during World War II, New York : Paddington Press, , 308 p. (ISBN0448230364)..
(en) Yukiko Sugihara, Visas for life, Edu-Comm, , 167 p. (ISBN0964967405).
Frédéric P. Miller, Plan Fugu : Empire du Japon, Juifs, Pacte tripartite, Protocoles des Sages de Sion, Fugu, Tétrodotoxine, Ghetto de Shanghai, Alphascript Publishing, , 72 p. (ISBN6130833830).
(en) Adam Gamble et Takesato Watanabe, A Public Betrayed : An Inside Look at Japanese Media Atrocities and Their Warnings to the West, Regnery Publishing, , 444 p. (ISBN0895260468, lire en ligne)..
(en) Meron Medzini, Under the Shadow of the Rising Sun : Japan and the Jews During the Holocaust Era, Academic Studies Press, , 236 p. (ISBN978-1-61811-522-5, lire en ligne)..
(en) Gerald David Kearney, « Jews Under Japanese Domination, 1939-1945 », dans Shofar: An Interdisciplinary Journal of Jewish Studies, vol. 11, t. 3, Purdue University Press, (DOI10.1353/sho.1993.0047), p. 54-69.