En dehors de sa carrière scientifique, Langevin a également été un militant politique actif. Il a soutenu le mouvement ouvrier et a été impliqué dans plusieurs causes sociales et politiques. Membre du Parti communiste français à partir de 1944, il est conseiller municipal du 5e arrondissement de Paris de 1945 à 1946.
Biographie
Jeunesse et formation
Né juste après la Commune de Paris dans une famille républicaine, Paul est le fils de Victor-Charles Langevin, ouvrier métreur-vérificateur dans le bâtiment, et de Marie-Adèle Pinel (1836-1902), institutrice, elle-même petite-nièce de Philippe Pinel[3],[4].
Langevin obtient le doctorat ès sciences physiques en 1902[11], en soutenant sa thèse Recherches sur les gaz ionisés[7]. Il devient alors professeur remplaçant, puis suppléant, au Collège de France sur la chaire de physique générale et expérimentale d'Éleuthère Mascart[7]. En 1904, il participe, avec Henri Poincaré, au congrès international de Saint-Louis, où il fait un rapport sur la physique des électrons[12],[8]. Il succède à Pierre Curie en 1905 au poste de professeur d'électricité générale de l'École municipale de physique et chimie industrielle de la ville de Paris (EMPCI) (ultérieurement École supérieure de physique et de chimie industrielles) (ESPCI). Il en devient directeur des études en 1920[8]. En 1909, à la suite du décès d'Éleuthère Mascart, Paul Langevin devient professeur titulaire au Collège de France sur une chaire de Physique Générale et Expérimentale. Il est nommé directeur de l'EMPCI en 1925[8], poste qu’il conserve jusqu'à sa mort[13].
Au moment où Paul Langevin entame sa carrière scientifique, en 1895, la physique est en plein bouleversement, à la suite de la découverte des électrons et de divers rayons (X et radioactivité). Après sa thèse, sur l'ionisation des gaz, les premiers travaux de Paul Langevin portent sur la nature microscopique du magnétisme. Il utilise la Physique statistique de Ludwig Boltzmann pour interpréter le fait, observé par Pierre Curie, que la susceptibilité des matériaux paramagnétiques varie avec la température. Les matériaux magnétiques seraient formés d'une multitude de petits aimants créés par des électrons en mouvement sur une orbite fermée. Les propriétés magnétiques de ces matériaux sont alors interprétées comme le compromis entre la tendance des petits aimants à s'aligner et l'agitation thermique qui tend à leur donner une direction aléatoire[18]. Cette théorie a été publiée en 1905 (voir aussi : fonction de Langevin).
En 1906, Paul Langevin prépare un cours sur la théorie électromagnétique pour le Collège de France et aboutit au résultat selon lequel l'inertie de l'électron serait une propriété de l’énergie[6]. Quelques mois plus tard, il a l'occasion de lire les publications d'Einstein sur la relativité restreinte et saisit le lien entre ses recherches et cette nouvelle théorie révolutionnaire[6]. Dès lors, il consacre une partie de son temps et de ses cours au Collège de France à approfondir et répandre la théorie d’Einstein. Il devient ainsi le promoteur de cette théorie en France.
Il enseigne la théorie de la relativité dans ses cours au Collège de France en 1910-1911. C'est alors qu'il imagine le paradoxe des jumeaux (ou boulet de Langevin) et le présente au congrès de Bologne[19] et à la Société française de philosophie en 1911, suscitant ainsi l'intérêt de Henri Bergson qui publiera Durée et Simultanéité en 1922[20]. En dépit de l'opposition des nationalistes anti-allemands, en 1922 il invite Einstein au Collège de France pour donner des conférences sur la relativité[6]. Cette visite est l’occasion d’un fameux débat le à la Société française de philosophie avec Henri Bergson, Léon Brunschvicg et Émile Meyerson qui publie La Déduction relativiste en 1925.
En 1908, Paul Langevin propose une équation pour décrire la marche aléatoire des particules en suspension dans un liquide, que l'on appelle généralement mouvement brownien[21]. Cette équation, qui est la première équation différentielle stochastique, correspond à l'écriture du principe fondamental de la dynamique d'un objet dans un liquide soumis à des forces visqueuses (force de Stokes) et à une force aléatoire correspondant au bombardement incessant du système par les atomes du milieu ambiant (voir aussi: dynamique de Langevin).
Pendant la Première Guerre mondiale, Paul Langevin mobilisé au service de la guerre met au point, avec l'ingénieur Constantin Chilowski, l'ASDIC (acronyme de Anti-Submarine Detection Investigation Committee). Cet appareil, ancêtre du sonar[22], est destiné à détecter les sous-marins en utilisant la réflexion des ondes ultrasonores sur ces objets. Après un premier brevet déposé en 1916, au nom de Chilowski-Langevin, Langevin recourt à la piézoélectricité du quartz (découverte en 1880 par Jacques et Pierre Curie), pour construire des émetteurs-récepteurs d’ondes ultrasonores. L’invention n’a pas été opérationnelle avant la fin de la guerre mais elle a été partagée avec les alliés, ce qui a embarqué Langevin dans des batailles de brevet dans les années 1920.
Congrès Solvay
Langevin participe aux premiers congrès Solvay[23], qui réunissent à partir de 1911 tous les grands physiciens de l'époque. En 1911, il est, avec Maurice de Broglie, le rapporteur du premier congrès sur « La théorie du rayonnement et les quanta ». À la suite de la mort du physicien néerlandais Hendrik Lorentz en 1928, il préside les congrès de physique de 1930 à 1933. Il s'implique également, après 1923, dans la diffusion des travaux de son élève Louis de Broglie en inscrivant immédiatement la nouvelle mécanique ondulatoire au programme de son cours au Collège de France.
Militant et humaniste
Pour expliquer ses prises de position sociales et politiques, Paul Langevin écrit en 1945[24] :
« Mon père qui avait dû, malgré lui, interrompre ses études à l’âge de dix-huit ans, m’a inspiré le désir de savoir ; lui et ma mère, témoins oculaires du siège et de la sanglante répression de la Commune, m’ont, par leurs récits, mis au cœur l’horreur de la violence et le désir passionné de la justice sociale. »
Il a très tôt une activité militante : il est signataire dès 1898 de la pétition visant à innocenter Alfred Dreyfus. Après la Première Guerre mondiale, comme beaucoup d’intellectuels de tous pays, Langevin espère empêcher de nouvelles barbaries en militant pour la paix. Dès 1919, il entre au Comité directeur de Clarté, et s’engage en même temps dans la Ligue des droits de l’Homme dont il devient président en 1931. Il participe au Comité international de coopération intellectuelle de la Société des nations et tente de rétablir les relations scientifiques avec l’Allemagne. Comme Einstein, Langevin agit en missionnaire de la paix. Son discours de plus en plus orienté vers la responsabilité sociale des scientifiques, témoigne d’une grande confiance dans les vertus de la science, porteuse de valeurs morales.
En 1930, il fonde avec Henri Roger l'Union rationaliste, dont il devient le président de 1938 à 1946, afin de promouvoir le rôle fondamental de la raison dans les avancées techniques, scientifiques et culturelles de l’Humanité. Par ailleurs, il est également fondateur du journal La Pensée, avec Georges Cogniot, en 1939.
En 1932, il fonde avec Henri Barbusse et Romain Rolland le Comité mondial contre la guerre et le fascisme (Amsterdam-Pleyel).
En mars 1934, il lance un appel commun aux travailleurs, avec le philosophe Alain et l’ethnologue Paul Rivet, face à la menace d’extrême droite. Cet appel préfigure le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes[25]. Au cours de ses engagements des années 1930, Langevin est compagnon de route du Parti communiste[26]. Il participe à la Conférence nationale de Gennevilliers en 1938 et témoigne en faveur des députés communistes accusés de trahison en mars 1940. Cela ne l’empêche pas de protester contre le Pacte germano-soviétique au nom de l’Union des intellectuels français en août 1939. Ses convictions rationalistes et sa foi dans la science humaniste et bienfaitrice évoluent sensiblement vers le matérialistedialectique aussi bien au niveau scientifique que philosophique[27] bien avant qu'il ne se considère comme marxiste[28].
En 1944, Paul Langevin devient membre du Parti communiste pour, dit-il, succéder à son gendre Jacques Solomon, « sans prétendre le remplacer »[29]. L'optimisme scientifique qui a orienté toute sa pensée et son action, résiste à toutes les épreuves. Malgré son horreur de la guerre, en 1945, il considère avec Frédéric Joliot-Curie la bombe d'Hiroshima comme l'aube d'une ère nouvelle[30].
Il est le président de la Ligue des droits de l'homme de 1944 à 1946, après en avoir été le vice-président à partir de 1927[31].
Éducateur et pédagogue
Dès 1921 Langevin adhère à la Ligue internationale pour l'éducation nouvelle, co-fondée par Beatrice Ensor, Maria Montessori et Adolphe Ferrière, « dans un cri de révolte contre la guerre ». L’objectif est double : participer à la réconciliation des peuples en éduquant la jeunesse et lutter contre la mécanisation croissante de la vie, contre les écoles-usines à produire des adultes en favorisant les innovations pédagogiques. Langevin partage cet élan vers les pédagogies nouvelles et favorise l’essor de la recherche pédagogique. Président d’une commission chargée de réorganiser le Musée pédagogique en 1926, il propose de créer un Institut national de recherche pédagogique ainsi qu’un Centre national de documentation pédagogique. Au sein de la commission de réforme de l’école unique en 1925, Langevin défend ardemment l’idée que l’école doit avant tout donner une culture commune à toutes les sections. Il oppose la culture conçue comme moyen de créer du lien social et la profession considérée comme un facteur de division sociale. Cette culture doit être commune à toutes les sections. Contre les partisans de la culture classique, il englobe dans cette culture commune « le travail manuel et les arts, les sciences expérimentales et théoriques, l’histoire des idées et des faits, les langues et les littératures, et la philosophie ».
« Cette culture générale doit représenter tout ce qui, indépendamment de la profession, prépare l’enfant à la vie, c’est-à-dire au contact avec les choses et avec les hommes, et lui permettre d’agir sur les choses d’accord avec les hommes et conformément aux lois qui régissent les uns et les autres ». Il cherche à promouvoir les humanités modernes (face au latin et au grec) grâce à la valeur éducative des sciences qui passe par l’histoire des sciences. Les sciences enseignées selon leur histoire forment l’esprit, autant que la littérature, le latin ou le grec.
Il est président du Groupe français d'éducation nouvelle de 1936 à 1946, président (en 1935) et président d'honneur (en 1945) de la Société française de pédagogie.
Paul Langevin est chargé après la guerre de la réforme de l'enseignement[32] dont le psychologue Henri Wallon reprend la direction après son décès en décembre 1946 et qui est ensuite connue sous le nom de plan Langevin-Wallon[33]. Cette commission créée en novembre 1944 a pour tâche de réorganiser l’enseignement de la maternelle à l’université et de prévoir des mesures de transition. Au prix d’un travail acharné, la vingtaine de membres de la commission élabore un plan complet qui est remis au gouvernement peu après la mort de Langevin en mai 1947. Mais à la suite du changement de majorité politique, le plan Langevin-Wallon est archivé sans être mis en œuvre.
Paul Langevin épouse Jeanne Desfosses (1874-1970) à Choisy-le-Roi le . De cette union naissent quatre enfants : Jean (1899-1990), André (1901-1977), Madeleine (1903-1977) et Hélène (1909-1995)[8].
En 1910, en instance de divorce, il a une liaison avec Marie Curie, liaison révélée en 1911 par la presse nationaliste[40]. Cette nouvelle fait scandale dans la société de l'époque, et donne lieu à plusieurs duels à l'épée au vélodrome du Parc des Princes, opposant les partisans et détracteurs de Paul Langevin et Marie Curie[41].
Médaille Copley, « pour son travail novateur sur la théorie électronique du magnétisme, ses contributions fondamentales au sujet de l'électricité dans les gaz, et ses importants travaux dans de nombreux domaines de la physique théorique » (1940) ;
La France et l'Allemagne ont créé en 1967 l'institut Laue-Langevin en hommage à Paul Langevin et au physicien allemand Max von Laue. Ce centre de recherche international est le leader mondial en sciences et techniques neutroniques.
L'institut Langevin « Ondes et Images » est né en 2009 de la fusion du laboratoire « Ondes et acoustique » et du laboratoire d'optique physique de l'ESPCI.
Établissements
De nombreux établissements d'enseignement portent son nom :
Un second hommage, le colloque Paul Langevin, un savant engagé, a eu lieu à l'ESPCI le 10 novembre 2022[56].
Le livre Paul Langevin, mon père, l'homme et l'oeuvre a été traduit en anglais par Francis Duck et est paru en septembre 2022 aux éditions EDP Sciences.
Transfert au Panthéon
Le , le président de la République Vincent Auriol signe la loi d'État no 48-1502, relative au transfert des cendres de Jean Perrin et de Paul Langevin au Panthéon[57]. La cérémonie a lieu le pour les deux scientifiques[58].
À cette occasion, plusieurs hommages leur sont rendus : deux timbres postaux sont édités par le ministère des PTT, l'un de 8 francs à l'effigie de Jean Perrin, dessiné et gravé par Pierre Gandon ; l'autre de 5 francs illustrant Paul Langevin, dessiné et gravé par Charles Mazelin[59]. Ces deux timbres sont émis à 2,89 millions d'exemplaires entre le (date de l'inhumation) et le .
Pour le transfert des cendres, Pablo Picasso dessine un second portrait en noir et blanc de Paul Langevin, exécuté d'après le premier dessin réalisé en 1945 et simplifié. Le no 234 du du journal Les lettres françaises reproduit ce portrait accompagné d'un article-hommage à Paul Langevin et Jean Perrin[60].
Archives
Les œuvres de Paul Langevin sont dans le domaine public depuis le .
La majeure partie des archives[61] se situe au sein du Fonds Paul Langevin de l'ESPCI, créé à l'initiative de Jean-Pierre Kahane et Paul Brouzeng, en 1980 et 1984[62]. Le Centre de ressources historiques de l'ESPCI, dirigé par Catherine Kounelis[63], avec l'aide de Paris sciences et lettres, a numérisé 9093 documents issus de ce fonds d'archives[64], disponibles en ligne depuis le , à consulter ici : Fonds Paul Langevin.
Propriétés électriques des gaz, matière et électricité (1903)
Applications de la théorie des ions à l'explication des phénomènes de décharge disruptive et radioactive (1904)
Etude expérimentale de diverses radiations, application de la théorie des électrons (1905)
Les théories de Maxwell et de Lorentz et leurs vérifications expérimentales (1906)
Les bases expérimentales de l'atomistique (1907)
Phénomènes de décharge disruptive (1908)
Phénomènes généraux de l'électricité et du magnétisme (1909)
La théorie électronique des radiations et le principe de relativité (1910)
La propagation des ondes électromagnétiques à travers la matière, applications aux phénomènes électro et magnéto-optiques et à la biréfringence cristalline (1911)
Les difficultés de la théorie du rayonnement (1912)
Les propriétés électriques et thermiques des métaux (1913)
Œuvres scientifiques de Paul Langevin, Éditions du CNRS, 1950.
L’évolution humaine des origines à nos jours, étude biologique, physiologique et sociologique de l’homme, par Aristide Quillet, préface de Paul Langevin, 1951.
Bernadette Bensaude-Vincent, « Paul Langevin : l’histoire des sciences comme remède à tout dogmatisme », Revue d'histoire des sciences, (lire en ligne, consulté le ).
Martha-Cecilia Bustamante et Catherine Kounelis, La physique de Paul Langevin, un savoir partagé, Catalogue d'exposition, F.F.C.B. et Éditions Somogy, 2005.
Julien Bok et Catherine Kounelis, « Paul Langevin, de la butte Montmartre au Panthéon », Reflets de la physique, no 1, (lire en ligne, consulté le ).
Bernadette Bensaude-Vincent, Paul Langevin, un savant engagé, CAES Magazine, numéro 87, p. 20–23, 2008
(en) Shaul Katzir, Who knew piezoelectricity? Rutherford and Langevin on submarine detection and the invention of sonar, Notes and Records of the Royal Society, Volume 66, pages 141-157, 2012.
Martha Cecilia Bustamante, À l’aube de la théorie des quanta: notes inédites d’Émile Borel sur un cours de Paul Langevin au Collège de France (1912-1913), Brepols Publishers, 2019[68].
↑(en) Adrienne R. Weill-Brunschvicg, « Paul Langevin », encyclopedia.com.
↑ a et bChristophe Charle et Eva Telkes, « 43. Langevin (Paul) », Publications de l'Institut national de recherche pédagogique, vol. 3, no 1, , p. 121–125 (lire en ligne, consulté le )
↑Source des listes de conférenciers : Davoser Blätter, hebdomadaire de Davos, 1928-1931 consultable uniquement à la Bibliothèque Nationale Suisse, Berne (référence 7q107)
↑Musée de l'ARP, radio-club de Paris, station TM3ST.
↑Pascal Febvre, Richard Taillet et Loïc Villain, Dictionnaire de physique, Paris, De Boeck Superieur, , 899 p. (ISBN978-2-8041-7554-2, lire en ligne), p. 421.
↑Bernadette Bensaude-Vincent, Christine Blondel et Monique Monnerie, « Les archives de Paul Langevin à l'École supérieure de physique et de chimie industrielles », Gazette des archives, vol. 145, no 1, , p. 150-153 (DOI10.3406/gazar.1989.4133, lire en ligne, consulté le )