Il abrite actuellement le restaurant "Musée de l'art culinaire marocain" (Moroccan culinary arts museum, en anglais) objet de controverses et d'une affaire de cession illégale de patrimoine historique et d'accaparement de biens de l'État en cours depuis 2019[1].
Historique
Le palais de l’amīn et muḥtasib Mohammed Ben Abdelhadi Zniber à Marrakech
Le palais Dar Zniber a été offert par le puissant chambellan et régent Ahmed ben Moussa dit Bahmad à l’amin (intendant des finances) et Muhtasib de Marrakech Mohammed Ben Abdelhadi Zniber II lorsque la cour du Sultan était basée à Marrakech. Le palais de Mohammed Ben Abdelhadi Zniber II est collé au Palais de la Bahia du Chambellan.
Dans son ouvrage Marrakech des origines à 1912, l'historien Gaston Deverdun (1906-1979) note que l’amīn Mohammed Ben Abdelhadi Zniber aida le chambellan Bahmad à élever et agrandir le Palais de la Bahia pour loger sa famille et ses nombreux serviteurs[2].
Mohammed Ben Abdelhadi Zniber II était proche du chambellan Ahmed ben Moussa qui avait favorisé l'ascension de Slaouis sous Moulay Hassan dans les hautes sphères du Makhzen au détriment des Fassis. Descendant d'esclaves, le Chambellan Ahmed ben Moussa (Bahmad) avait peu d'alliés parmi les notables et oulémas de Fès, il chercha des alliés à Salé, Rabat et Tétouan. C'est l'une des raisons parmi lesquelles il maintint la cour à Marrakech loin de la capitale. Ce n'est qu'une fois affranchi de la tutelle du chambellan et régent à la mort de celui-ci que le Sultan Moulay Abdelaziz s'installa à Fès.
À la mort du chambellan Ahmed Ben Moussa, Mohammed Ben Abdelhadi continuera à cumuler plusieurs fonctions. Il dépasse son père Abdelhadi Zniber II (m. 1910), également amīn (intendant des finances), en notoriété, en richesse et en influence. Il est alors intendant des finances et adjoint du ministre des affaires étrangères Abdelkrim Benslimane[3]. Si Fedoul Gharit qui était ministre des affaires étrangères devient Grand Vizir. Le jeune El Mehdi El Menebhi proche du Sultan est le nouvel homme fort du Makhzen. Mohammed Ben Abdelhadi Zniber devient l'adjoint du vizir de la guerre El Menebhi jusqu'à la disgrâce de ce dernier en 1903 à la suite de la campagne de Taza contre Rogui Bou Hmara.
Mohammed Ben Abdelhadi Zniber continue parallèlement à être négociant. Il commerce avec Manchester notamment où plusieurs grands négociants marocains ont fondé des comptoirs commerciaux. Mohammed Ben Abdelhadi Zniber est alors la plus grande fortune de Salé et l'une des plus importantes du Maroc. Les oumana, intendants des finances et administrateurs fiscaux, étaient souvent choisis parmi les grands négociants à succès.
Mohammed Ben Abdelhadi devient amīn al-oumana, surintendant ou vizir des finances, charge qu'il partage avec Si Tazi. Entre 1906 et 1907, il prend part à la Conférence d'Algésiras et à la commission mixte sur la police à Tanger[4]. Il est également Mendoub, délégué ou représentant chérifien à Tanger. En mars 1907, il est nommé premier commissaire chérifien à la Banque d'État du Maroc, future banque centrale Bank Al-Maghrib[5]. Sous Moulay Abdelhafid, il est chargé du règlement de la question du Rif et est envoyé en ambassade à Madrid en juillet 1909 aux cotés du alem Ahmed Ben Mouaz[6].
Peu de temps après cette ambassade, Mohammed Ben Abdelhadi Zniber demande au Sultan de se retirer de ses fonctions et retourne à son négoce premier et auprès de ses proches à Salé où il a fait construire plusieurs grandes demeures[7]. Il est enterré à la zaouïa Qadiriyya de Salé à laquelle il a fait don du terrain sur lequel elle se trouve aujourd'hui.
"Dar Zniber" durant le Protectorat français
Mohammed Ben Abdelhadi Zniber II s'installe à Fès lorsque la cour du Sultan Moulay Abdelaziz est transférée de Marrakech à Fès à la mort du Chambellan Bahmad. Après avoir occupé plusieurs charges importantes dans la capitale et à Tanger et s'être retiré de ses fonctions officielles auprès du Sultan Moulay Abdelhafid peu de temps après son ambassade à Madrid entre 1909 et 1910, Mohammed Ben Abdelhadi Zniber rentre définitivement à Salé auprès de ses proches où il meurt en 1921[7]. À partir de l'instauration du Protectorat français au Maroc en 1912, le palais de Mohammed Ben Abdelhadi Zniber à Marrakech connut plusieurs affectations.
L'administration coloniale transforma le palais en siège du Bureau de la Région de Marrakech et en centre des services de renseignements.
Parmi les dirigeants de ce bureau et les commandants de la Région de Marrakech, on peut citer le capitaine Chardon, le général Lamothe, le commandant Orthlieb, le général Georges Catroux[10], etc. Jusqu'en 1934, le chef de ce bureau est le Commandant Boyer. Son adjoint à Dar Zniber était le capitaine Fournier. Le Commandant Boyer y est remplacé par le Commandant Brot de la Direction des Affaires Indigènes[11] qui demeure à ce poste jusqu'en 1937. Il est remplacé par le lieutenant-colonel Ribaut (1937-1943), le colonel Albouy (1943-1947) et le lieutenant colonel De Fleurieu depuis 1947[12]. Le secrétariat général de la Région de Marrakech y siège en 1945[13].
Le général Hubert Lyautey tenait, quant à lui, son conseil et ses quartiers-généraux à la Bahia lors de ses déplacements à Marrakech.
Dar Zniber avait été au cœur d'une grosse affaire jugée par le Tribunal de Marrakech entre 1947 et 1950. Avec les propriétés "Aguedal Ba Ahmed" et le "Fondouk Zniber", Dar Zniber avait fait l'objet d'une réquisition et d'une étude sur les confiscations au Maroc pour déterminer si ces trois propriétés relèvaient du Domaine privé de l'État ou appartenaient aux héritiers du Chambellan Ba Ahmad[14].
À l'indépendance, Dar Zniber fut récupérée par l'administration des biens Habous. Dans les années 1960, les Habous l'affectent au Ministère de la Culture qui y ouvre une école des arts traditionnels[1].
Les biens de la famille Zniber de Salé à Marrakech
Plusieurs membres de la famille Zniber de Salé ont occupé de hautes charges à Marrakech et possédaient plusieurs biens dans cette ville dont des demeures, des fondouks (caravansérails), des boutiques et échoppes et des terrains[15].
Le père de Mohammed Ben Abdelhadi Zniber II, Abdelhadi Zniber II, mort en 1328 de l'Hégire (v. 1910), occupa également la charge d’amin à Marrakech. Il fut négociant, nadir des habous (Administrateur et conservateur des fondations pieuses) à Salé et amīn dans bon nombre de ports marocains à partir de 1291 de l'Hégire (v. 1874) notamment à Larache, El Jadida, Casablanca, en 1303 de l'Hégire (v. 1885/1886) à Safi ainsi qu’à Marrakech. Il fut également « amine diwanat » sous le règne de Moulay Hassan.
On peut noter également que Mohammed Ben Brahim Zniber mort en 1930[17], et père de l'ambassadeur Dr. Abderrahmane Zniber, était katib (secrétaire) au Ministère des habous puis Nadir des habous (Administrateur et conservateur des fondations pieuses) à Safi et à Sidi Frej à Fès[18]. En 1917, Mohammed Ben Brahim Zniber est nommé Nadir des Grands Habous (al-Ahbas al-Kobra) à Marrakech[19].
En 2004, Lahbil Zniber appartenant à la famille de Brahim Zniber propriétaire des Celliers de Meknès, ouvre un restaurant du nom de Cosy Bar sur la Place des Ferblantiers dans la médina de Marrakech au sein d'un riad ayant appartenu à une ancienne famille juive aisée et vendu à la mort du père horloger du roi Hassan II[22].
Enquête sur cession illégale de biens de l'État
Affaire du restaurant ou Musée de l'art culinaire marocain de Marrakech
En 2019, le quotidien marocain Al-Akhbar révèle que Dar Zniber est au cœur d'une affaire d'accaparement de biens de l'État et de cession d'un patrimoine historique impliquant élus locaux et entrepreneurs étrangers. Dar Zniber aurait été illégalement transformé en un restaurant présenté comme étant un musée[1]. Une commission locale d’enquête dirigée par le wali de la Région de Marrakech-Safi Karim Kassi-Lahlou est alors formée sur instructions du ministère de l’Intérieur. Le riad Dar Zniber devait pourtant faire l'objet d'une restauration et d'une réhabilitation dans le cadre du projet royal "Marrakech ville durable"[23].
Malgré le scandale et l'indignation suscitée à la fois dans la presse nationale et les réseaux sociaux, le "Musée d'art culinaire marocain" rouvre ses portes le 30 mai 2023 prétextant une fermeture due au covid. Ghislane Bensadok, directrice du musée, présente l'établissement comme étant « un musée qui date du XVIIIe siècle et qui appartenait à un riche notable de la ville », passant sous silence la véritable identité des lieux et de son propriétaire initial ainsi que les raisons de la fermeture du musée-restaurant[24]. Les suites et l'aboutissement de l'affaire ne sont pas connus. Il semblerait que le riad ait fait l'objet de plusieurs transactions et qu'il ait été revendu plusieurs fois.
L'édifice est encore connu des habitants de Marrakech sous le nom de "Dar Zniber" jusqu'à nos jours[25],[23].
Description
Le palais-riad Dar Zniber s'étend actuellement sur une superficie de 3147 m2[1].
Elle se distingue des grandes demeures de Salé, de Rabat, de Tétouan par son étendue et par l'absence d'arcs outrepassés brisés, polylobés ou en muqarnas. Le patio principal est couvert de zelliges polychromes. Il se présente comme un jardin islamique en partie planté d'oliviers et de palmiers et comprend une fontaine centrale en marbre. La cour principale est bordée de balcons, de galeries à colonnes et de murs ocres percés de fenêtres et de grandes portes en arcs en plein cintre qui donnent accès aux chambres, salons et dépendances. L'intérieur est richement orné de dentelles de stucs et de zellige. Les plafonds en zaouaq, panneaux de bois sculptés et peints, sont ornés de lustres. Le sol y est entièrement couvert de zellige. Le palais comprend des éléments en bois de cèdre et thuya.
↑Léopold Victor Justinard, Le caïd Goundafi : un grand chef berbère, Éditions Atlantides, (lire en ligne), p. 83
↑(ar) Mohamed Mokhtar Soussi, Le mielleux [« Al-Maʿsūl المعسول »], vol. 20, Dar Al Kotob Al Ilmiyah, (lire en ligne), p. 36
↑Olivier Forcade, Eric Duhamel et Philippe Vial, Militaires en République, 1870-1962 : Les officiers, le pouvoir et la vie publique en France : actes du colloque international tenu au Palais du Luxembourg et à la Sorbonne les 4, 5 et 6 avril 1996, Publications de la Sorbonne, (lire en ligne), p. 269
↑Réquisitions 7610, 9060 et 9061/M. Propriétés "Aguedal Ba Ahmed", "Dar Zniber" et "Foundouk Zniber" Revue juridique et politique, indépendance et coopération, vol. 18, Librairie générale de droit et de jurisprudence, (lire en ligne), p. 205
↑ a et bRoyaume du Maroc, Ministère de la justice, Cour d'appel de Rabat, Tribunal de première instance de Salé, Division du droit de la famille, Acte de dévolution successorale (héritiers de Mohammed Ben Abdelhadi Zniber), carton 01, Registre 3, numéro 7, en date du 07 moharram 1345 (18 juillet 1926)
↑Revue juridique et politique, indépendance et coopération, vol. 18, Librairie générale de droit et de jurisprudence, (lire en ligne), p. 205
↑Mohammed Hajji, Encyclopédie des personnalités du Maroc موسوعة أعلام المغرب, vol. 10, (lire en ligne), p. 3687
↑(ar) Jean Cousté (trad. Abu al-Kacem Achach), Bouyoutat Madinat Sala (Les Maisons de Salé) [« Les Grandes Familles indigènes de Salé »], Imprimerie officielle de Rabat, diffusion de la bibliothèque Sbihi, (lire en ligne), p. 80
↑Résidence générale de la République française au Maroc, Rapport mensuel d'ensemble du protectorat, (lire en ligne), A22
↑Anne-Claire Kurzac-Souali in L’enseignement supérieur dans la mondialisation libérale : Une comparaison libérale (Maghreb, Afrique, Canada, France), Institut de recherche sur le Maghreb contemporain/Maisonneuve & Larose, (lire en ligne), p. 325
↑ a et bمصالح وزارة الداخلية تحقق في قضية دار زنيبر, "Les services du ministère de l'intérieur enquêtent sur l'affaire Dar Zniber", article publié dans marrakech7.com le 08/03/2019
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Frédéric Brémard, L'organisation régionale du Maroc, Librairie générale de droit et de jurisprudence, (lire en ligne), p. 139
(en) Kenneth L. Brown, People of Sale : Tradition and Change in a Moroccan City, 1830-1930, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, , 240 p. (ISBN9780674661554), p. 29, 37, 44, 176, 177, 178 et 179
(ar) Jean Cousté (trad. Abu al-Kacem Achach), Bouyoutat Madinat Sala (Les Maisons de Salé) [« Les Grandes Familles indigènes de Salé »], Imprimerie officielle de Rabat, diffusion de la bibliothèque Sbihi, (lire en ligne), p. 80
Gaston Deverdun, Marrakech des origines à 1912, Éditions techniques nord-africaines, (lire en ligne), p. 543
(ar) Mohammed Hajji, Encyclopédie des personnalités du Maroc [« موسوعة أعلام المغرب »], vol. 10, Dar al-gharb al-islami, , p. 3687