Ce beau champignon aux allures de grand pleurote charnu est l'équivalent dans les hêtraies du Japon et d'Extrême-Orient de notre Pleurote de l'olivier[2] d'Europe. Comme elle, toxique et bioluminescente, cette espèce a d'abord été considérée comme un Pleurote[3] puis un Armillaire[4], avant de devenir le type du genre Lampteromyces[5], spécialement créé par le mycologue allemand Rolf Singer pour cette espèce, alors endémique du Japon, en 1947
Il s'agit du Tsukiyo-také (ツキヨタケ, 月夜茸 = « champignon clair de lune »), publié en 1915 par le mycologue japonais Seiichi Kawamura sous le basionyme de Pleurotus japonicus[6],[7]. L'épithètejaponicus a été finalement jugé conservable[8]. Une espèce voisine originaire du Tibet, Lampteromyces luminescens, a été placée dans le genre Lampteromyces par le mycologue chinois Mu Zang en 1979[9], jusqu'en 2004 où la biologie moléculaire les a finalement refondus dans un genre Omphalotus revisité[10] issu d'une famille propre (Omphalotaceae) distincte des Marasmiacées[11].
Une colonie de Tsukiyo-také (ツキヨタケ, 月夜茸 = « champignon clair de lune ») sur un tronc d'arbre la nuit est une vision féerique. Après adaptation de quelques minutes à l'obscurité, il est possible de lire les titres d'un journal avec la luminescence fournie par un seul exemplaire disposé à 20 cm de distance[12],[13].
Caractéristiques du genre
Les Omphalotus sont des champignons lignicoles et plus ou moins cespiteux (venant surtout sur les troncs des arbres morts, les souches et les branches de feuillus), charnus, de grande taille, de couleur souvent vive (safran, jaune orangé) ou brun rougeâtre à brun datte, l'une montrant même des tons olive à verdâtre. Le genre a d'abord été rattaché à la famille des Pleurotaceae, puis des Marasmiaceae. Ces espèces sont remarquables par la bioluminescence de la face fertile sous le chapeau (lames). Elle semble due à un composé fluorescent vert, la riboflavine (ou lampteroflavine), d'où l'ancien nom de genre composé du Grec Lampteros (Λαπτερος: lampe) et Myces (μύκης: champignon)[14].
Description
Sporophore de grande taille, de 10 à 25 (30) cm de diamètre, semi-circulaire ou réniforme, d'abord brun jaunâtre puis brun datte brillant, devenant brun violet foncé avec l'âge, avec des écailles plus sombres, cuticule non séparable, visqueuse par temps humide, se maculant de bleu-vert vif au frottement.
Les lames sont relativement larges, décurrentes, blanches à jaune pâle ou crème. Une fois les yeux accoutumés à l'obscurité, les lames émettent une faible lumière d'un vert fluorescent.
Le pied est plus pâle que le chapeau, le plus souvent latéral, rarement presque central, épais, court, jaune-brun pâle, muni d'une crête annulaire basse à la frontière des lames, avec souvent des taches violet noirâtre à la base. Sporée jaune.
Chair presque blanche, épaisse près du stipe, mince à la périphérie, tachée de brun ou de violet foncé, de saveur douce mais insipide.
Spores globuleuses, 9-14 × 8-14 µm, lisses, incolores, à parois minces, non amyloïdes. Boucles présentes. Hyphes à parois épaisses. Pas de cystides.
Les symptômes débutent 30 minutes à 3 heures après ingestion par une attaque digestive brutale de type cholériforme, avec vomissements intenses et diarrhées sanglantes, accompagnés de convulsions, sueurs froides et douleurs abdominales. Le patient est généralement rétabli en une dizaine de jours au plus tard. Dans les cas les plus graves, la déshydratation, l'hypothermie et l'hypotension peuvent occasionner des hallucinations colorées, entre autres troubles sensoriels, puis des troubles circulatoires qui se conjuguent pour provoquer un coma, ainsi qu'une atteinte hépatique et rénale. Le traitement classique au Japon est à base de perfusions intraveineuses[18].
Étude de cas: 6 personnes intoxiquées à Nagano en 2015. Les champignons ont été cueillis dans le voisinage et sautés au beurre ; tous les 6 souffrent de nausée 60 à 90 minutes après le repas. Les ambulanciers du service d'urgence pensent reconnaître Lampteromyces japonicus dans la description faite par les patients. Hospitalisés, ils reçoivent le traitement symptomatique classique et peuvent quitter l'hôpital le lendemain. Toutefois, l'un des intoxiqués a dû être ré-hospitalisé pour cause de douleurs abdominales et anorexie, puis un autre encore se plaignant de vomissements incoercibles et de selles sanglantes deux jours après sa sortie. Une tomographie révéla un épaississement marqué du duodénum et du jéjunum. Ainsi, aux symptômes typiques (vomissements, diarrhée et douleurs abdominales 30 minutes à 3 heures après ingestion) peut s'ajouter un œdème intestinal quelques jours plus tard dans les cas plus graves[19],[20].
illudine S , illudine M (= empoisonnement gastro-intestinal) déhydroilludine M, néoilludine A, B (= cytotoxique) etc.
Nom IUPAC de l' illudine S : [(1R, 2S, 5R) -1,5-dihydroxy-2- (hydroxyméthyl) -2,5,7-triméthylspiro [1H- indène-6,1'-cyclopropane] -4-one]
Poids moléculaire : 264,32 (g / mol) -- Formule moléculaire : C 15 H 20 O 4
Nom IUPAC d' illudin M : [(1S, 5R) -1,5-dihydroxy-2,2,5,7-tétraméthylspiro [1H-indène-6, 1'-cyclopropane] -4-one]
Poids moléculaire: 248,32 (g / mol) -- Formule moléculaire: C 15 H 20 O 3
Usage médicinal
Il possèderait cependant des propriétés médicinales potentielles, dues à la puissante action antitumorale du lampterol, et qui ont été comparées à celles de la streptomycine[22]. Toutefois, sa virulence inflammatoire provoquant des hémorragies du tube digestif, ne permet pas encore une utilisation médicale[25].
Systématique et Nomenclature
Sa renommée et son infamie résultent de sa célèbre luminescence (inde nomen Lampteromyces et tsukiyotake), des fructifications remarquables colonisant en grandes troupes les troncs de hêtres morts, ainsi que de ses propriétés toxiques bien documentées (Inoko 1889 [6]; Isobe & al. 1994[14] ; Kawamura, loc. cit. 1910, 1915, 1929, 1954; Tanaka & al.[24] 1996; Tanaka et al.1996[26]).
Depuis 70 ans, il est connu sous le nom de Lampteromyces japonicus (Kawam.) Singer (1947), d'abord basé sur une chimie similaire puis sur des données de séquences d'ADN alignées (Kirchmair & al. 2002, 2004[10]; Mata & al.2004[27]; Moncalvo & al. 2002[28]), l'espèce s'est avérée intégrée au genre phylogénétiquement redéfini Omphalotus Fayod 1889[29].
Cela a conduit à la synonymisation de Lampteromyces avec Omphalotus, autre genre bien connu contenant des espèces toxiques luminescentes, dans la combinaison résultante, Omphalotus japonicus (Kawam.) Kirchm. & O. K. Mill. (l.c., 2002).
Nakai, K. (1958)- Medicine and Biology [en japonais] 49: 129.
Yoshinori Nishino et Yuichi Oba, 2013. Shining Mushrooms and Night Forest, 82 p. Iwanami Shoten, Tokyo, (ISBN978-4-00-005883-4)
Kasahara Y., Itagaki A., Kumaki K. & Katagiri S. (1996) — Gastrointestinal toxicity of Lampteromyces japonicus and its reduction by curing [en japonais], in Shokuhin Eiseigaku Zasshi37 (1): 1-7, Tokyo (ISSN0015-6426)
Nakanishi K., Tada M., Yamada Y., Ohashi M., Komatsu N. & Terakawa H. (1963) — Isolation of lampterol, an antitumour substance from Lampteromyces japonicus, Nature197 : 292.
Tanaka K., Inoue T., Tezuka Y. & Kikuchi T. (1996) — Michael-type addition of illudin S, a toxic substance from Lampteromyces japonicus, with cysteine and cysteine-containing peptides in vitrom Chemical & pharmaceutical bulletin44(2) : 273-279 (ISSN0009-2363)
Iwai, K. & Matsumoto, Taishi & Esaki, Motohiro & Yao, Tiantian & Kamada, M. & Iida, M.. (2006). A case of acute duodenitis caused by Lampteromyces japonicus. 48. 2493-2498. Gastroenterological Endoscopy 2006 Volume 48 Issue 10 2493-2498.
Fumitake Kobayashi, Tadahiro Karasawa, Tomohito Matsushita, Osamu Komatsu, Wataru Adachi (2017) : Case report - Tsukiyotaké (Lampteromyces japonicus) Poisoning: Summary of 6 Cases (in 2015), Journal of the japanese association of rural medicine - Volume 66, Issue 4.
↑Pleurotus olearius (DC.) Gillet, Les Hyménomycètes ou Description de tous les Champignons qui Croissent en France: 344 (1876) [MB#163386]
↑Pleurotus japonicus Kawam., Bot. Mag., Tokyo 24: 278 (1910)
↑Armillaria japonica (Kawam.) S. Imai, J. Fac. agric., Hokkaido Imp. Univ., Sapporo 43(1): 52 (1938)
↑Singer, New genera of fungi III, in Mycologia39: 79.
Hitoshi Neda a suggéré de ressusciter le taxon décrit par Miles Joseph Berkeley sous le nom d'Agaricus guepiniformis en 1878, comme type car il correspond parfaitement à la description of O. japonicus et de plus, au nom du principe de priorité, le nom correct devrait être Omphalotus guepiniformis (Berk.) Neda. Une proposition de conservation ayant été introduite en 2006 en faveur de l'épithète japonicus contre guepiniformis et un autre synonyme, Pleurotus harmandii. La conservation a été acceptée par le Comité de Nomenclature des Fungi en 2008.
↑ a et bUn basionyme antérieur existait : Pleurotus noctilucens Inoko 1889 [ cf. Inoko, Y., 1889. Toxikologisches ueber einen Japanischen Giftschwamm. Mitteilung der Medikalishen Faclutät der Kaiserlish-Japanischen Universität, Tokyo 1: 277-306 ] mais le nom choisi par son auteur était malheureusement préoccupé. Ce fut le Pleurotus japonicus de Seiichi Kawamura 1915 qui fut choisi comme basionyme pour devenir le type du genre : Lampteromyces japonicus, Rolf Singer, 1947, jusqu'à ce que le genre Lampteromyces soit fusionné aux Omphalotus en 2004.
↑Pleurotus japonicus Kawam., Journal of the Coll. of Sci., Imperial Univ. Japan 35(3): 2 (1915)
↑(en) Scott A. Redhead et Hitoshi Neda, « (1741) Proposal to conserve the name Pleurotus japonicus against Agaricus guepiniformis and Pleurotus harmandii ( Basidiomycota ) », TAXON, vol. 55, no 4, , p. 1032–1033 (DOI10.2307/25065705, lire en ligne, consulté le )
↑Zang, M. 1979. Some new species of higher fungi from Xizang (Tibet) of China. Acta Botanica Yunnanica. 1(2):101-105
↑ a et bKirchmair, M., Morandell, S., Stolz, D., Põder、R., and C. Strurbauer, 2004. Phylogeny of the genus Omphalotus Based on Nuclear Ribosomal DNA-sequences Mycologia 96: 1253-1260.
↑La famille des Omphalotaceae, décrite A. Bresinsky in 1985 comme distincte des Tricholomataceae, a parfois été synonymisée aux Marasmiaceae. Cependant l'analyse séquentielle de leur ADN par Moncalvo et al. en 2002, puis Matheny et al. en 2006 a conduit à leur reconnaissance par les auteurs modernes. Au sens restreint actuel, elle regroupe les genres Anthracophyllum, Gymnopus, Lentinula, Marasmiellus, Mycetinis, Rhodocollybia, Omphalotus.
↑Yoshinori Nishino et Yuichi Oba, 2013. Shining Mushrooms and Night Forest, 82 p. Iwanami Shoten, Tokyo, (ISBN978-4-00-005883-4)
↑ a et b(en) Minoru Isobe, Duangchan Uyakul et Toshio Goto, « Lampteromyces bioluminescence—1. Identification of riboflavin as the light emitter in the mushroomL. japonicus », Journal of Bioluminescence and Chemiluminescence, vol. 1, no 3, , p. 181–188 (ISSN0884-3996 et 1099-1271, DOI10.1002/bio.1170010306, lire en ligne, consulté le )
↑Rapport sur l'intoxication alimentaire (2000-2009) Ministère de la santé, du travail et des affaires sociales, 食中毒報告状況(2000〜2009年)厚生労働省
↑(ja) Hayashida, Akiko, Seino, Keiko et Iseki, Ken, « "Treatment of mushroom poisoning by Lampteromyces japonicus; four case reports and review of the literature". », . Yamagata Medical Journal (in Japanese). 29 (2): 57–62. ISSN 0288-030X, (ISSN0288-030X)
↑Fumitake Kobayashi, Tadahiro Karasawa, Tomohito Matsushita, Osamu Komatsu, Wataru Adachi (2017) : Case report - Tsukiyotaké (Lampteromyces japonicus) Poisoning: Summary of 6 Cases (in 2015), Journal of the japanese association of rural medicine - Volume 66, Issue 4 〔日農医誌 66巻4号 499~503頁 2017.11〕
↑Iwai, K. & Matsumoto, Taishi & Esaki, Motohiro & Yao, Tiantian & Kamada, M. & Iida, M.. (2006). A case of acute duodenitis caused by Lampteromyces japonicus. 48. 2493-2498. Gastroenterological Endoscopy 2006 Volume 48 Issue 10 2493-2498.
↑Nakai, K. (1958)- Medicine and Biology [en japonais] 49: 129.
↑ a et bNakanishi K., Tada M., Yamada Y., Ohashi M., Komatsu N. & Terakawa H. (1963) — Isolation of lampterol, an antitumour substance from Lampteromyces japonicus, Nature197 : 292.
↑(en) Trevor C. McMorris, Michael J. Kelner, Wen Wang et Leita A. Estes, « Structure-activity relationships of illudins: analogs with improved therapeutic index. », The Journal of Organic Chemistry, vol. 57, no 25, , p. 6876–6883 (ISSN0022-3263 et 1520-6904, DOI10.1021/jo00051a037, lire en ligne, consulté le )
↑ a et bTanaka K., Inoue T., Tezuka Y. & Kikuchi T. (1996) — Michael-type addition of illudin S, a toxic substance from Lampteromyces japonicus, with cysteine and cysteine-containing peptides in vitrom Chemical & pharmaceutical bulletin44(2) : 273-279 (ISSN0009-2363)
↑« Gastrointestinal toxicity of Lampteromyces japonicus and its reduction by curing », Food Hygiene and Safety Science (Shokuhin Eiseigaku Zasshi), vol. 1, no 1, , p. 17–29 (ISSN0015-6426 et 1882-1006, DOI10.3358/shokueishi.1.17, lire en ligne, consulté le )