Mohamed Iguerbouchène était l'aîné des onze enfants nés de Saïd Ben Ali et de Sik Fatma Bent Areski. Il a fréquenté une école primaire anglaise à Alger. C'est là qu'il étudie pour la première fois le solfège[2]. C'est aussi là dans un cours de musique qu'il a été vu par Bernard Fraser Ross (né Bernard Fraser), un riche célibataire homosexuel écossais, qui passait ses hivers à Alger et avait purgé huit ans de prison comme proxénète pour Cyril Flower, 1er Baron Battersea et d'autres aristocrates[3]. Ross a convaincu les parents d'Iguerbouchène de lui permettre d'emmener le garçon en Angleterre pour son éducation musicale.
En raison de la réputation de Fraser Ross, Iguerbouchène a probablement reçu une éducation privée. Plus tard, il a menti sur ses premières années : prétend avoir étudié dans un Norton College, la Royal Academy of Music, le Royal College of Music, ou même l'un des prédécesseurs du Royal Northern College of Music (ces écoles ne détiennent aucune trace de lui), et sous Robert Fischhof et Alfred Grünfeld. [3]. Cependant, il était certainement un musicien prodige. Les premières œuvres comprenaient Kabylia Rapsodie n. 9 et Arabe rapsodie n. sept.
Héritage et mariage
A la mort de Fraser Ross en 1929, Iguerbouchène hérite de tous ses biens en Algérie. Fraser Ross lui légua également 1 500 livres supplémentaires à condition qu’il n’épouse pas une fille d’origine européenne[4]. Cependant, Iguerbouchène a épousé une citoyenne française d'Algérie, Louise Gomez. Le mariage a échoué, bien qu'ils n'aient pas divorcé[3].
Au début des années 1930, Iguerbouchène compose la musique de plusieurs documentaires algériens et d'un court métrage (Dzaïr). Cela a conduit Julien Duvivier à lui demander de collaborer avec Vincent Scotto sur la bande originale du long métrage de 1937 Pépé le Moko avec Jean Gabin. Il a été crédité comme "Mohamed Ygerbuchen". Le film fut refait en 1938 à Hollywood sous le nom de Alger, et utilisa à nouveau sa musique : cette fois il fut crédité sous le nom de 'Mohammed Igarbouchen'.
Dans les années 1930, Iguerbouchène devient également copropriétaire d'un bar-restaurant et cabaret, « El Djazaïr » (Alger en arabe), rue de la Huchette dans le Quartier Latin de Paris. En 1938, il rencontre à Paris le chanteur Salim Halali (originaire d'Annaba), avec qui il compose une cinquantaine de chansons, principalement dans un style flamenco arabe. La collaboration a été couronnée de succès dans les clubs parisiens, et ils ont également tourné dans le reste de l'Europe. Ils étaient particulièrement populaires en Afrique du Nord. En 1937, il écrira notamment la partition du film Terre idéale en Tunisie.
La BBC diffusa en 1939 l'une de ses œuvres orchestrales, une Moorish Rhapsody, dirigée par Charles Brill[6].
Seconde Guerre mondiale
Durant la Seconde Guerre mondiale, Iguerbouchène est un collaborateur Nazi, gérant la direction musicale des émissions ciblant l'Afrique du Nord de la station de radio Paris-Mondial. Son objectif était de diffuser la culture française et la propagande nazie à travers le monde en 20 langues différentes[7],[8]. Le 17 juin 1940, Paris-Mondial relaie le discours du maréchal Pétain, nommé la veille Président du Conseil, qui annonce la cessation des combats et la demande d'armistice, puis suspend ses émissions juste après la diffusion de celui-ci, comme tous les postes d'État. La suspension devient définitive à la signature de la convention d’armistice et le service de Pascal Copeau est démantelé. À la fin de la guerre, il n’a pas été poursuivi pour trahison par le gouvernement français grâce à la protection d’un haut fonctionnaire[9]. Il aura une relation avec une germano-belge, Iwane 'Yvonne' Vom Dorp, avec qui il a eu cinq enfants illégitimes, qui finira par le quitter[10].
Les dernières années
Au début de 1945, Iguerbouchène compose une centaine de chansons basées sur des poèmes de Rabindranath Tagore. En 1946, il compose la musique de Les plongeurs du désert de Tahar Hannache[11]. Iguerbouchène a également composé pour le court métrage français de 1962 Le songe de chevaux sauvages, réalisé par Albert Lamorisse sur les chevaux sauvages en France.
En 1957, Iguerbouchène retourne en Algérie, où il travaille pour la radio algérienne, compose et dirige l'orchestre de l'Opéra d'Alger. Cependant, à la suite de la guerre d'indépendance algérienne et de la politique officielle d'arabisation qui a suivi, en tant que personne fortement identifiée à la France, et aussi en tant que Kabyle, il s'est retrouvé marginalisé. Ignoré et aigri, il est mort du diabète à Alger dans l'obscurité[3]. Ces dernières années ont vu des tentatives pour réhabiliter et faire revivre ses œuvres, et en faire une icône nationale.
Bibliographie
(en) Peter Jordaan, A Secret Between Gentlemen: Lord Battersea's hidden scandal and the lives it changed forever, Alchemie Books, .
Ethan B. Katz, The Burdens of Brotherhood: Jews and Muslims from North African to FranceHarvard, Harvard University Press, , 2015.
Mouloud Ounnoughene, Mohamed Iguerbouchène : Une œuvre intemporelle, Dar Khettab, Algiers, 2015.
Notes et références
↑[1]Liberté, 4 décembre 2013, Proposition de classement de la maison du compositeur Mohamed Iguerbouchène