Le massacre d'Abbeville est une exécution sommaire survenue le dans la ville française d'Abbeville. Les 21 personnes arrêtées sur le territoire belge et soupçonnées par l'administration belge d'être des espions ou des collaborateurs potentiels sont passées par les armes sans jugement par une compagnie de l'armée française en pleine débâcle lors de la bataille de France.
Arrestations administratives belges
Le , dans la crainte de voir surgir une cinquième colonne en Belgique et à la suite des renseignements accréditant l'hypothèse d'une invasion imminente de son territoire, le gouvernement belge promulgue une loi sur la défense des institutions nationales[1]. Une procédure est mise en place pour procéder aux arrestations administratives des activistes susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l'État. En fin , des listes de suspects susceptibles de venir en aide à l'ennemi sont constituées et devaient faire l'objet de vérifications. Toutefois, l'ordre d'arrestation est lancé par le ministre dès la déclaration de l'état de siège, à 4 heures du matin, le . Les ordres de procéder à ces arrestations sont appliqués avec disparités. Ces listes sont frappantes par leur caractère hétéroclite puisque s'y retrouvent aussi bien des activistes de la Ligue nationale flamande, du Verdinaso comme Joris Van Severen, des rexistes comme Léon Degrelle mais également des communistes, des neutralistes et d'authentiques agents allemands. Certains, comme Staf Declercq, sont libérés à la suite de pressions. L'avance des troupes allemandes sur Liège libère le contingent liégeois. D'autres connaissent un sort plus funeste.
Évacuation des prisonniers vers la France
Les Belges, en pleine débâcle, constituent à la hâte, sur ordre de Walter Ganshof van der Meersch, des convois de prisonniers étiquetés comme « espions », qu'ils confient à la France. Le , 79 prisonniers sont ainsi évacués de l'ancienne prison de Bruges(nl) et sont acheminés en France par un convoi de trois autocars. Le convoi rallie Dunkerque via Ostende. À Dunkerque, Léon Degrelle est reconnu par des Français, qui l'extraient du convoi et le rouent de coups. Le convoi poursuit sa route, sans ce dernier, vers Béthune, où les prisonniers sont remis à la sûreté française, qui les interroge sommairement le . Les 78 détenus restants se retrouvent emprisonnés, pour la nuit du 19 au , dans le sous-sol du kiosque à musique du parc d'Abbeville[Note 1]. Le , en pleine panique face à l'avance allemande et probablement sous l'emprise de l'alcool[1], des militaires français procèdent, sur ordre oral du capitaineMarcel Dingeon, par groupes de quatre à l'exécution sommaire des prisonniers détenus dans le kiosque. Après 16 exécutions, les Français, parfois interrompus par les bombardements allemands, poursuivent les exécutions.
Le lieutenant René Caron, avec un revolver dégainé, clairement sous l'influence de l'alcool, entre dans le kiosque pour menacer les prisonniers restants. Lucien Monami sort de la cave, et ils tirent sur tous ceux qui sortent. Joris Van Severen pense pouvoir négocier avec le lieutenant Caron mais est exécuté, ainsi que Jan Ryckoort. Un cinquième groupe, comprenant Robert Bell (Canadien et entraîneur de l'équipe allemande de hockey sur glace) et composé cette fois de cinq personnes, est simplement abattu de sang froid.
Le lieutenantJules Léclabart met fin au massacre en demandant l'ordre écrit d'exécution, que personne ne peut produire[2].
Le fondateur et dirigeant du mouvement d'extrême-droite flamand Verdinaso, Joris Van Severen, et son secrétaire, Jan Ryckoort, sont ainsi exécutés, ainsi que le conseiller communal communiste de Saint-Gilles, Lucien Monami, des Italiens antifascistes, des Juifs allemands et hongrois, et des espions nazis, allemands et belges[1].
Jugement allemand
Du au , d'abord à Abbeville (reconstitution) et à Amiens, puis devant le conseil de guerre allemand du grand Paris, Émile Molet, sergent-chef de réserve, et son supérieur direct, le lieutenant René Caron, sont jugés par les Allemands pour le massacre d'Abbeville. Ils sont condamnés à mort et exécutés au mont Valérien, le . Le capitaine Marcel Dingeon est passé en zone libre, où il s'est donné la mort à Pau le [3],[4].
Robert Bell, entraîneur de l'équipe nationale allemande de hockey sur glace[3],[7].
Hongrois
Miguel Sonin-Garfunkel, Juif, ancien d'Espagne[1],[7].
Italiens
Ferrucio Bellumat[7],[Note 4], antifasciste et escroc notoire. Il est condamné en Italie et en France, dont il est expulsé. Il s'installe ensuite en Belgique.
Luigi Lazzarelli, responsable du PSI en Belgique[7],[9].
« Suspects de mai 1940 », dans Paul Aron et José Gotovitch (dir.), Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, Bruxelles, André Versaille éditeur, , 560 p. (ISBN978-2-87495-001-8), p. 420-421.
(nl) Tom Cobbaert, « De lijken van de kiosk : Op zoek naar een graf voor de 21 slachtoffers van Abbeville », ADVN-Mededelingen, no 50, , p. 4-10 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
Tim Trachet, Het drama van Abbeville, Houtekiet, 2009, 174 p.
Etienne Verhoeyen, « Achille Mareel en de ‘Organisation Parti’ », dans Etienne Verhoeyen, Spionnen aan de achterdeur : Duitse Abwehr in België 1936-1945, Anvers, Maklu (no vol. IV), , 622 p. (ISBN978-9-04660-427-4), p. 553 et sq.
↑Cette rue est en partie située à moins de 100 mètres du kiosque concerné.
↑ ab et cRéhabilitation par les autorités belges en 1978.
↑Ferrucio Bellumat est né à Feltre en Italie, le . Réfugié politique antifasciste, marié, il est propriétaire d'un magasin de lingerie en Belgique. Plus jeune, il avait été condamné en Italie comme voleur et faussaire (Carlos H. De Vlaeminck, Dossier Abbeville: arrestaties en deportaties in mei 1940, Davidsfond, 1977, 424 p. , pp. 259 et sq.). À 23 ans, en 1926, il est valet de chambre de la famille Bouvery à Montégut-Ségla. Il disparaît, en emportant pour 150 000 francs de bijoux appartenant à la veuve Bouvery de Pau (en visite chez ses enfants à Muret) et de 3 à 4 000 francs en espèces. Il dérobe également une bicyclette pour prendre la fuite. Il est condamné par défaut à trois années de prison (L'Express du Midi, no 12298 du [PDF], consulté le ; L'Express du Midi, no 12381 du [PDF], consulté le ). En 1934, il est de retour sur le territoire français et séjourne à Marseille puis à Carcassonne, avant d'être arrêté à Toulouse pour infraction à l'arrêté d'expulsion pris à son encontre (40 jours de prison) (L'Express du Midi, no 15285 du [PDF], consulté le ). Il s'installe par la suite en Belgique où il figurera sur les listes de l'administration belge conduisant à son arrestation en et à son transfert à Abbeville.
↑« Quelques points d'histoire "oubliés" : Le kiosque d'Abbeville », sur francaislibres.net (consulté le ) : « Le lieutenant Jean Leclabart du 28e RR qui lui aussi passait par là et qui connaissait le règlement militaire s'exclame: "Mais enfin, êtes-vous devenu fou?" et demande l'ordre d'exécution. Comme personne ne peut montrer un tel ordre, il fait arrêter le massacre. ».
↑Anne Morelli, « Les Italiens de Belgique face à la guerre d'Espagne », Revue belge d'histoire contemporaine, no 1-
2, , p. 196 ; 211-212 (lire en ligne [PDF], consulté le ).