Fille d'Isaac Dubas, caoutchoutier d'origine polonaise, et de Pauline Muschkat[1], une famille juive[2], la jeune Anna Marie fait ses débuts en 1908 au théâtre de Grenelle, à peine âgée de 14 ans. Se destinant à une carrière au théâtre lyrique et à l'opérette, elle suit en parallèle des cours de danse, de chant et de comédie au Conservatoire d'art dramatique. Elle connaît rapidement un succès croissant et se retrouve en tête de distribution de plusieurs opérettes en vogue. Elle participe notamment à la création de L'Amour masqué (1923), opérette de Sacha Guitry et André Messager, aux côtés d'Yvonne Printemps. En 1924, elle chante dans La Danse des Libellules opérette de Franz Lehár, adaptée par Roger Ferréol et Max Eddy au Bataclan, première le 15 mars, 138 représentation[3]. Mais en 1926 (elle a alors 32 ans), une défaillance des cordes vocales la prive d'une partie de ses moyens, réduisant irrémédiablement l'étendue de son registre[4].
Reconversion et consécration
Se croyant perdue pour le chant, Marie Dubas traverse une période douloureuse, jusqu'à ce que Pierre Wolff, qui donne des conférences sur l'histoire de la chanson, lui propose d'illustrer celles-ci en interprétant des thèmes du folklore. Repartant ainsi sur des bases techniques différentes, elle s'oriente alors vers le tour de chant et entame officiellement sa nouvelle carrière le sur la scène de l'Olympia de Paul Franck . S'inspirant d'Yvette Guilbert, elle commence à chanter dans les petits cabarets de Montmartre dans un registre fantaisiste. En mars 1928, elle participe à la Revue Wagram pour l'inauguration des Folies-Wagram avec Ruth Virginia Bayton comme partenaire[5].
En quelques mois la voilà reconnue comme l'une des reines du music-hall. Elle inaugure en 1932 la formule du « récital » (deux heures sur scène, sans micro). Enchaînant ses passages dans les plus grandes salles, elle établit une sorte de record en étant cinq fois à l'affiche de l'ABC au cours de la seule saison 1935-36. Elle est également en tête d'affiche au Casino de Paris et à Bobino. Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre assistent régulièrement à ses spectacles, qu’ils prisent fort, tenant Marie Dubas pour une « anarchiste »[6].
Exploitant à fond les multiples facettes de son talent et jouant sur plusieurs registres à la fois, pour mieux mélanger les genres établis, elle passe en un instant de la fantaisie à l'émotion et du drame à la futilité. Chantant, dansant, mimant ses textes, parfois jusqu'à la caricature, jouant des hanches, des yeux, de sa frange brune ou des intonations aiguës de sa voix, qu'elle fait mine de rattraper d'un geste de la main, lorsqu'elle se lance dans une parodie d'opérette, Marie Dubas occupe toute la scène avec une vitalité et une jubilation communicatives. Ce qui fit écrire à Michel Georges-Michel : « Avec elle, le sujet ne compte plus. Le texte et la musique même s'effacent. C'est Marie Dubas que l'on regarde, que l'on écoute ; rien d'autre »[7].
Sa chanson la plus célèbre est Mon légionnaire (sur des paroles de Raymond Asso et une musique de Marguerite Monnot), qu'elle enregistre en 1936. Elle crée également Le Doux Caboulot (sur le poème de Francis Carco), Le Tango stupéfiant (« Je me pique à l'eau de Javel / Pour oublier celui que j'aime / Je prends ma seringue / Et j'en bois même »), et interprète en 1933 La Prière de la Charlotte de Jehan Rictus.
Sa popularité et sa renommée, qui lui valent d'être à l'affiche des plus prestigieux casinos, lui permettent également de faire une tournée aux États-Unis en 1939.
Dernières années
Bien que mariée à un aviateur officier de carrière, elle doit s'exiler durant l'Occupation à Lausanne en raison de ses origines juives ; elle y restera jusqu'à la fin de la guerre. À son retour elle apprend que sa sœur a été exécutée et son neveu envoyé en camp de concentration[réf. nécessaire].
Elle fait sa rentrée à Paris au théâtre de l’ABC en janvier 1945, trois mois défilés, puis en mars 1946 fait une rentrée triomphale au théâtre de l’Etoile, avenue de Wagram. Elle enchaîne ensuite Bobino, l’Alhambra, l’Européen et l'Olympia lors de l’été 1955 avec Damia. Elle alterne théâtre et music-hall, se produisant notamment en 1950 au théâtre Antoine avec Bernard Blier dans Le petit café de Tristan Bernard. Après des tournées au Canada, en France et en Afrique du Nord, frappée de la maladie de Parkinson, elle doit se retirer en mai 1958[8]. Elle meurt à Paris en 1972 et est inhumée au Père Lachaise (36e division).
Marie Dubas, « cette grande comédienne de la chanson aujourd'hui tombée dans l'oubli »[9], fut la principale inspiration d'Édith Piaf (de 21 ans sa cadette) : « Je dois beaucoup à Marie Dubas. Elle a été mon modèle, l'exemple que j'ai voulu suivre ; et c'est elle qui m'a révélé ce qu'est une artiste de la chanson… »[10] Elles avaient trois chansons en commun à leurs répertoires : Mon légionnaire,Le Fanion de la légion et Monsieur est parti en voyage.
Vie privée
Marie Dubas a été mariée avec Georges-Roger Adolphe-Bellaire du 21 novembre 1951 au 15 novembre 1956[1]. Elle a un fils, François Bellair-Dubas[2].
Chansons interprétées par Marie Dubas
1927 : L'amour est un jeu ; T'aimer librement
1928 : Ça fait peur aux oiseaux
1929 : Pedro ; Mais qu'est ce que j'ai ?
1930 : Quand je danse avec lui ; C'est si bon quand c'est défendu ; Les housards de la garde, d'Eugénie Buffet; La chanson du roulier
1931 : Butterfly-Tox ; Quand la dame ; Ca m'fait mal
1932 : Son voile qui volait ; J'suis bête ; La java du crochet ; Rengaine ; Le doux Caboulot
1933 : (Quand) Charlotte prie Notre-Dame (la nuit du Réveillon)
1934 : Croyez-vous ma chère ! ; Les chansons du Monsieur Bleu ; D'amour et D'eau Fraîche
1935 : C'est toujours ça d'pris ; Le dimanche à Nogent ; C'est pour lui plaire
↑ ab et cActe no 2176 (vue 22/31), avec mention marginale du décès et de l'union, registre des naissances de l'année 1894 pour le15e arrondissement sur Paris Archives (archives numérisées de la Ville de Paris).
« À Bobino, nous entendîmes le vieux Georgius et la nouvelle étoile, Marie Dubas, qui déchaînait les rires et l’enthousiasme du public ; elle était très drôle quand elle chantait les chansons 1900 — je m’en rappelle une entre autres, qui s’appelait : Ernest, éloignez-vous — et nous vîmes dans ces parodies une satire de la bourgeoisie ; elle avait aussi dans son répertoire de belles chansons populaires dont la brutalité nous semblait un défi aux classes policées : elle aussi, nous la considérions comme une anarchiste. »
— La Force de l’âge, Paris, Gallimard, , 1re éd., 622 p. (lire en ligne), p. 55
(it) Gianni Lucini, Luci, lucciole e canzoni sotto il cielo di Parigi - Storie di chanteuses nella Francia del primo Novecento), Novara, Segni e Parole, 2014, 160 p. (ISBN978-88-908494-4-2)