Il est considéré par les Romains, notamment les patriciens, comme un des héros du premier siècle de la République et comme un modèle de vertu et d'humilité. Il est une figure historique, avec un rôle semi-légendaire, la réalité de ses actions ayant pu être amplifiée par les historiens romains, tels Diodore de Sicile, Tite Live ou Denys d'Halicarnasse, qui ont décrit ses faits et gestes.
Famille
Il est le fondateur de la branche des Quinctii Cincinnati, membres de la gensQuinctia. Il est le petit-fils d'un Lucius Quinctius et le fils d'un Lucius Quinctius, son nom complet est Lucius Quinctius Lucii Filius Lucii Nepos Cincinnatus[4]. Il est peut-être le frère de Titus Quinctius Capitolinus Barbatus, six fois consul. Selon Dion Cassius, le cognomen Cincinnatus proviendrait du fait qu'il porte les cheveux bouclés[a 1].
Cincinnatus apparaît pour la première fois dans les sources antiques au moment du procès de son fils Cæso Quinctius[6]. Les tribuns de la plèbe souhaitent faire voter le projet de la Lex Terentilia qui a pour but de limiter le pouvoir des consuls. Les patriciens, opposés à ce projet, sont menés par un jeune patricien, brillant mais téméraire selon Tite-Live, Cæso Quinctius, fils de Cincinnatus. Le tribunAulus Verginius(ca), qui voit en Cæso Quinctius un obstacle au vote de la Lex Terentilia, le poursuit en justice pour meurtre avec le témoignage accablant de Marcus Volscius Fictor[a 2],[4]. De nombreux anciens consuls font l'éloge du jeune homme, rappelant ses nombreux exploits malgré son jeune âge, mais le peuple, encouragé par Aulus Verginius, associe l'idée de liberté à celle de condamner le jeune patricien[a 3]. Cæso Quinctius est finalement condamné, malgré les efforts des patriciens. Il s'exile chez les Étrusques avant la fin du procès, évitant la peine, mais obligeant son père à prendre sur ses richesses pour payer l'importante amende qui s'élève à 30 000 livres de bronze, somme inhabituellement élevée[a 4],[4].
Selon sa biographie dans le De viris illustribus urbis Romae, ce serait Cincinnatus lui-même qui aurait « chassé de sa famille son fils Céson, à cause de la violence de son caractère ; ce jeune homme, également noté par les censeurs, se réfugia chez les Volsques et les Sabins, qui, sous les ordres de Claelius Gracchus, faisaient la guerre aux Romains »[a 5].
Cincinnatus reprend la ligne politique anti-plébéienne tenue par son fils et s'oppose violemment aux tribuns de la plèbe réélus sans cesse. Il critique également les autres patriciens pour leur oisiveté[a 7]. Finalement, des sénatus-consulte sont votés d'un commun accord : « les tribuns ne présenteraient point leur loi cette année, et que les consuls n'emmèneraient point l'armée hors des murs. À l'avenir, maintenir les magistrats dans leurs charges, réélire les mêmes tribuns serait, au jugement du Sénat, une atteinte à la République. » Mais les mêmes tribuns sont réélus, et les patriciens veulent alors nommer Cincinnatus au consulat pour faire face. Ce dernier refuse, décrétant avec son collègue « qu'aucun citoyen ne doit porter Lucius Quinctius au consulat ; si quelqu'un le fait, on annulera son suffrage » respectant ainsi les sénatus-consulte[a 8]. Ce sont Quintus Fabius Vibulanus pour la troisième fois et Lucius Cornelius Maluginensis Uritinus qui sont élus consuls, poursuivant la lutte contre le projet de la Lex Terentilia[a 9],[7].
Selon la tradition, ruiné par l'amende qu'il a dû verser pour son fils qui s'est échappé, Cincinnatus se retire sur quatre jugères de terre qu'il lui reste dans l'ager Vaticanus, sur la rive droite du Tibre (Prata Quinctia)[a 10],[8]. Ce détail sur lequel insistent beaucoup les auteurs antiques paraît improbable étant donné que Cincinnatus est un patricien, chef de la famille des Quinctii, qui doit avoir de nombreux clients. Selon les règles de la clientèle, ces derniers ont dû payer une part de l'amende. L'appauvrissement et le retrait politique de Cincinnatus paraissent alors exagérés, surtout quand on considère son retour au pouvoir lors de ses deux dictatures[8].
Une nouvelle guerre est déclarée par les Èques qui rompent les traités de paix en envahissant le territoire latin[9]. Le Sénat romain tente de restaurer la paix et envoie des délégués pour négocier avec les Èques mais en vain[9]. Les tribuns de la plèbe s'opposent une nouvelle fois à la mobilisation, avec quelques succès[a 11] jusqu'à ce que les Sabins menacent à leur tour Rome. Devant ce nouveau danger, le peuple finit par prendre les armes. Le consulCaius Nautius Rutilus est envoyé combattre les Sabins[10]. Il mène une campagne éclair et ravage leur territoire. Son collègue Lucius Minucius Esquilinus Augurinus est quant à lui pris de court face aux Èques et se retrouve assiégé près du mont Algide[10]. Rutilus est rappelé à Rome et en accord avec le Sénat, il nomme un dictateur pour faire face à la situation[a 12],[10].
Selon la tradition, Cincinnatus se consacre à la culture de ses terres quand les sénateurs viennent le supplier d’accepter la dictature. Il sait que son départ risque de ruiner sa famille, déjà appauvrie à la suite du procès de son fils, si, en son absence, les récoltes ne sont pas assurées. Néanmoins, il accepte et prend Lucius Tarquitius Flaccus pour maître de cavalerie[9]. En seize jours, il libère le consul assiégé, défait les Èques à la bataille du mont Algide[a 13], célèbre un triomphe, fait condamner Marcus Volscius Fictor et abdique[a 14],[a 15],[a 16],[a 1]. Sa restitution du pouvoir absolu dès la fin de la crise devient, pour les futurs dictateurs romains, un exemple de bon commandement, de dévouement au bien public, de vertu et de modestie.
« Les envoyés du Sénat le trouvèrent nu et labourant au-delà du Tibre : il prit aussitôt les insignes de sa dignité, et délivra le consul investi. Aussi Minucius et ses légions lui donnèrent-ils une couronne d'or et une couronne obsidionale. Il vainquit les ennemis, reçut la soumission de leur chef, et le fit marcher devant son char, le jour de son triomphe. Il déposa la dictature seize jours après l'avoir acceptée, et retourna cultiver son champ. »
En 439 av. J.-C., les consuls Titus et Agrippa nomment Cincinnatus dictateur pour mater une révolte de la plèbe et condamner Spurius Maelius, riche plébéien qui achète, avec sa fortune, du blé pour nourrir la population. Sa popularité est devenue telle qu'il aurait aspiré à la royauté (adfectatio regni)[13]. Une fois dictateur, Cincinnatus n'a pas à répondre de ses actes et peut donc faire face comme il le souhaite à la situation, contrairement aux deux consuls, tenus par les lois[a 22]. Il choisit pour maître de cavalerieCaius Servilius Ahala. Ce dernier exécute Spurius Maelius alors que celui-ci résiste à son arrestation[a 23], avec la bénédiction du dictateur, qui ordonne qu'on rase sa maison[a 24],[a 25] dont l'emplacement reçoit le nom d'Equimelium[a 5].
Une autre version, donnée par Denys d'Halicarnasse, précise qu'Ahala n'est qu'un simple citoyen lorsqu'il assassine Spurius Maelius[a 26],[14]. Selon cette version, Spurius Maelius aurait été déclaré homo sacer par le Sénat perdant ainsi ses droits de citoyenneté, de sorte que n'importe quel citoyen romain aurait acquis le droit de faire justice par lui-même sans risquer d'être jugé pour meurtre[13],[15]. Cincinnatus, en tant que dictateur, justifie l'assassinat comme nécessaire au rétablissement de la situation avant d'abdiquer une fois la crise sous contrôle[15].
Le retrait politique et le retour à la terre volontaire de Cincinnatus puis les sénateurs romains venant le chercher pour lui proposer les pouvoirs dictatoriaux sont des thèmes récurrents en peinture et en sculpture.
Cincinnatus recevant les ambassadeurs de Rome, Alexandre Cabanel, 1843.
Aux États-Unis, la figure de Cincinnatus est fréquemment rapprochée de celle de George Washington[16], notamment quand ce dernier, à l'instar du héros antique, se retire sur ses terres à Mount Vernon, à la fin de la guerre d'indépendance en 1783[17],[18]. La même année, des officiers de l'armée de la République américaine fondent l'Ordre de Cincinnatus[17] — ou Société de Cincinnatus[19] — présidé par Washington[20]. Le médaillon central de la médaille que portent les membres de l'ordre représente Cincinnatus à sa charrue. Une des plus importantes villes de l'État de l'Ohio a été baptisée Cincinnati en l'honneur de la Société des Cincinnati, elle-même en référence à Lucius Quinctius Cincinnatus.
D'après l'intéressé, Cincinnatus fut le premier pseudonyme utilisé par Edward Snowden[21].
(en) T. Robert S. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic : Volume I, 509 B.C. - 100 B.C., New York, The American Philological Association, coll. « Philological Monographs, number XV, volume I », , 578 p.
Janine Cels-Saint-Hilaire, La République des tribus : Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République romaine (495-300 av. J.-C.), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. « Tempus », , 381 p. (ISBN2-85816-262-X, lire en ligne)
(en) Michael J. Hillyard, Cincinnatus and the Citizen-Servant Ideal : The Roman Legend's Life, Times, and Legacy, Xlibris Corporation,
Bernard Caillot, La Guerre d'Indépendance américaine : Prototype des guerres de libération nationale ?, Éditions L'Harmattan, , 288 p.
Daniel Vaugelade, La question américaine au 18e siècle : au travers de la correspondance du duc Louis Alexandre de La Rochefoucauld (1743-1792), Éditions Publibook, , 362 p.
(en) Michèle Lowrie, « Spurius Maelius : Dictatorship and the Homo Sacer », dans Citizens of discord : Rome and its civil wars, Oxford University Press, , 352 p., p. 171-187
Yann Le Bohec, Les Grands Généraux de Rome... et les autres, Tallandier, 2022.
↑Chronographe de 354, Liste des consuls Il se pourrait qu'un certain Carve(tus) soit élu au consulat mais décède avant le début de son mandat et Minucius est alors élu suffect et commence l'année au côté de Nautius.