Louis Mullem est issu d'une famille juive, établie à La Haye au début du XIXe siècle. Les registres d'état civil de cette ville conservent la trace de la naissance, en 1816, de Jacob Elias Mullem (parfois aussi écrit Mülheim[2]), fils d'Elias Jacob Mullem et de Sara Ezechiëls Posnanki, émigrants juifs polonais. Jacob Elias épousera en Hollande une femme juive allemande, Judith Lion Cohen Kulker, dont il aura au moins trois enfants : Félix, Julia et Louis[3]. Jacob Elias, musicien de profession, devient par la suite professeur à l'Académie de Lille. Ses enfants s'installeront pour la plupart à Paris[3].
Louis a donc pour frère aîné Félix et pour sœur Julia. Félix, employé en 1870 comme commis-rédacteur à l'Assistance Publique de l'Hôtel de Ville de Paris, y rencontre Léon Cladel, qui bénéficie du même emploi. Peu après la Commune de Paris, Julia, alors jeune musicienne, épouse Léon Cladel qui encouragera la carrière littéraire de Louis[4]. Ils auront cinq enfants dont Judith-Jeanne (1873-1958), dite « Pochi », « Pouchi » ou « Petit Plouche », à qui sera offert Le Livre de Pochi, une œuvre collective[5] à laquelle participera Louis en 1886, et Pierrine-Esther, qui épousera Jean Rolin et sera la mère de l'écrivaine belge Dominique Rolin[3].
Quant à Louis, il épousera une certaine Louise Lussat (1859-1921) à une date indéterminée[6].
Le journaliste
Journaliste républicain, proche de l'extrême gauche de l'époque, il est décrit par Léon Daudet comme un « gros, pessimiste, polyglotte » qui « s'attendrit en pensant à Clemenceau »[7] dont il était un familier. Ce pessimisme foncier est également noté par Edmond de Goncourt dans son Journal[8]. Mais peut-être ce trait a-t-il été grossi par ces deux auteurs, antirépublicains et antisémites notoires.
Louis Mullem est l'un des principaux rédacteurs de la Correspondance libérale (dite « correspondance Asseline »), fondée en 1869 par Louis Asseline dans le but d'alimenter les journaux républicains de province tels que La France républicaine de Lyon[9]. Lors de la mort brutale de ce dernier, le , c'est Mullem, accompagné d'un autre témoin, qui en fera la déclaration officielle le lendemain[10].
Louis Mullem participe également à la rédaction de L'Aurore[15], du Globe[16] et de La Démocratie[17].
L'écrivain
Ami de Joris-Karl Huysmans, de Maurice Rollinat — chez qui il se rend parfois à Fresselines — et d'Alphonse Daudet[18], Louis Mullem se rattache, de manière générale, aux écoles réaliste et naturaliste[19]. Il produit son œuvre la plus marquante relativement tard, des années 1880 à sa mort. Ses contes et nouvelles paraissent dans divers journaux et revues littéraires ou scientifiques, tels que L'Aurore, La Vie populaire, La Société Nouvelle (« Revue internationale. Sociologie, arts, sciences, lettres »), La Chronique moderne, le Gil Blas illustré hebdomadaire, etc.
Ainsi, La Vie populaire publie le le conte fantastique « Feu Harriett ». On y trouve à la fois une satire du spiritualisme, du progrès, de l'amour conjugal et de l'idéalisme aussi bien qu'un hommage aux œuvres fantastiques de Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Edgar Poe et Villiers de L'Isle-Adam[19]. Ce texte, l'un des meilleurs et des plus caractéristiques de l'auteur, est repris dans le recueil Contes d'Amérique, publié en par Alphonse Lemerre, et très apprécié d'Henri Céard, l'auteur naturaliste de Terrains à vendre au bord de la mer[4]. Louis Mullem ignorera qu'en secret, Daudet a payé Lemerre afin d'assurer la publication du recueil de son ami[20] !
De même, La Société Nouvelle fait paraître en « Le marchand de mots. Conte paradoxal » et en mars de la même année « Le progrès suprême. Conte psychopathique », dont les sous-titres ironiques dévoilent les intentions satiriques de l'auteur.
Les nouvelles de Louis Mullem, où se mêlent le fantastique, la fantaisie, l'anticipation et la rêverie scientifique, s'inspirent de la littérature symboliste, et particulièrement des contes de Villiers de L'Isle-Adam. Plusieurs d'entre elles, considérées comme des exemples de proto-science-fiction, furent traduites et rééditées en anglais en 2009 et 2011 par Brian Stableford dans deux anthologies consacrées aux auteurs français représentatifs de ce genre littéraire, et dont l'un des titres est emprunté à celui du « Progrès suprême » cité plus haut[21].
L'amitié de Louis Mullem et de son confrère de La Justice Gustave Geffroy avait en outre amené les deux journalistes et écrivains à envisager la rédaction à deux mains d'un ouvrage philosophico-humoristique intitulé Traité de l'inutile, qui ne devait jamais voir le jour[14].
Quelque temps après le décès de Louis Mullem, survenu en 1908, le chroniqueur Philippe-Emmanuel Glaser en fait ainsi l'éloge dans Le Figaro[22] :
« Louis Mullem, qui mourut il y a quelques mois, était un de ces écrivains discrets, modestes et rares, occupés à leur labeur et à leur art, qui ne savent pas courtiser la renommée et que la renommée oublie. Après avoir publié des œuvres charmantes et un fort beau livre : Chez Mme Antonin, il est mort obscur ; mais des amis veillaient et, parmi eux, le très noble et très bel écrivain qui s'appelle Gustave Geffroy et qui a voulu, du moins, offrir à l'ami disparu, un peu de gloire posthume en livrant au public un dernier livre de Louis Mullem : ce sont les Contes ondoyants et divers, pages très inégales, très variées, souvent délicieuses où Mullem, suivant l'expression de M. Gustave Geffroy, s'est “mis tout entier, avec son humour scientifico-philosophique, sa verve d'invention et aussi les sentiments exquis et profonds qui attendrissaient son esprit ironique et faisaient battre son cœur sensible”. »
Le musicien
Fils et frère de musiciens, Louis Mullem baigne très tôt dans un univers sonore qui imprègnera sa personnalité : en témoigne par exemple son activité de critique musical pour le journal La Justice. Lui-même excellent pianiste, il est le compositeur avéré de plusieurs morceaux dont une Marche chinoise et une Retraite péruvienne[17],[23], non datées, et vraisemblablement écrites pour le piano.
Gustave Geffroy, au fil de la plume, aime à rappeler les qualités musicales de son ami qui en faisait régulièrement profiter les hôtes qui le recevaient. Ainsi, dans son évocation du peintre et sculpteur Jean-François Raffaëlli, note-t-il en passant :
« Louis Mullem aussi, qui ne fut pas seulement l'écrivain supérieur de Chez Mme Antonin, des Contes d'Amérique, des Contes ondoyants et divers, était un musicien d'un goût rare, compositeur et exécutant, et il donna le charme de sa maîtrise à ces réunions amicales[24]. »
Le même auteur rapporte par ailleurs comment, de passage à Fresselines, Louis accompagnait sans complexe à l'harmonium la voix de son ami Maurice Rollinat chantant à l'occasion d'une messe de minuit locale :
« Cette voix, il la fit entendre parfois à l'église de Fresselines, petite église de campagne qui n'avait jamais été, sans doute, à pareille fête, et c'était encore là une raison pour le brave curé d'être reconnaissant à « Monsieur Maurice ». Je me souviens, un soir de Noël, d'avoir ainsi entendu Rollinat donner à l'assistance paysanne de la messe de minuit, toute l'ampleur, toute la gravité, toute la pureté de ses chants, pendant que notre ami Louis Mullem tenait l'harmonium[25]. »
Contes ondoyants et divers, Éditions d'art et de littérature, 1909; préface de Gustave Geffroy.
Contes et nouvelles
« L'Union libre » (1881). — Initialement publié dans La Vie populaire en 1881 ; recueilli dans Contes d'Amérique, Alphonse Lemerre, coll. « Bibliothèque contemporaine », ; ouvrage réédité chez C. Marpon et E. Flammarion, coll. « Auteurs célèbres », no 216, 1892.
« Feu Harriett » (1882). — Initialement publié dans La Vie populaire, ; recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892 (lire sur Onuphrius).
« L’ “Express-Times” (fantaisie américaine) » (1889). — Publié dans Paris illustré, ; recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« À la Schopenhauer » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Deux débuts » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Fin d'année » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
Traduction en anglais : « The New Year », dans The Supreme Progress, anthologie de Brian Stableford, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 63, 2011 ; rééd. 2012.
« La Nuit de Noël » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« La Philantropophagie » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892 (lire en ligne).
« La Tragédie du magnétisme » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Le Docteur Burns » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892 ; repris dans le Gil Blas illustré hebdomadaire, 2e année, no 37, (avec une planche de dessins hors texte par Albert Guillaume).
« Le Théâtre de la misère » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Une nouvelle école » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Une nouvelle méthode judiciaire » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Une soirée improvisée » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Vengeances de femmes » (1890). — Recueilli dans Contes d'Amérique, 1890, 1892.
« Le Marchand de mots » (1894). — Publié dans La Société Nouvelle de , p. 55-59.
« Le Progrès suprême » (1894). — Publié dans La Société Nouvelle de , p. 308-324.
Traduction en anglais : « The Supreme Progress », dans The Supreme Progress, anthologie de Brian Stableford, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 63, 2011 ; rééd. 2012.
« Autour de l'argent » (1897). — Publié dans L'Aurore du , p. 1-2 (lire sur Gallica).
« “Les Trois Glorieuses” » (1897). — Publié dans L'Aurore du , p. 1-2 (lire sur Gallica).
« Conte de Noël » (1897). — Publié dans L'Aurore du , p. 1-2 (lire sur Gallica).
« L'Ombre et son homme » (1904). — Publié dans L'Aurore du , p. 3 (lire sur Gallica).
Traduction en anglais : « The Shadow and his Man », dans The Supreme Progress, anthologie de Brian Stableford, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 63, 2011 ; rééd. 2012.
« Causeries de cercle » (1909). — Recueilli dans Contes ondoyants et divers, 1909.
Traduction en anglais : « Club Conversation », dans The Supreme Progress, anthologie de Brian Stableford, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 63, 2011 ; rééd. 2012.
« Désir d'immortalité » (1909). — Recueilli dans Contes ondoyants et divers, 1909.
« L'Éternité chimique » (1909). — Recueilli dans Contes ondoyants et divers, 1909.
Traduction en anglais : « Chemical Eternity », dans The Supreme Progress, anthologie de Brian Stableford, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 63, 2011 ; rééd. 2012.
« Les Similitudes psycho-physiques » (1909). — Recueilli dans Contes ondoyants et divers, 1909.
« Un rival d'Edison » (1909). — Recueilli dans Contes ondoyants et divers, 1909.
Traduction en anglais : « A Rival of Edison », dans The Germans on Venus, anthologie de Brian Stableford, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 20, 2009.
Théâtre
1890 : Une nouvelle école, comédie-drame en un acte, en prose[27], au Théâtre-Libre () [28]. Programme illustré par George Auriol. Tresse & Stock, Paris, 1890.
↑ a et bBeïda Chikhi et Marc Quaghebeur, Les écrivains francophones interprètes de l'histoire: entre filiation et dissidence, coll. « Documents pour l'histoire des francophonies » no 10, Peter Lang, 2007, p. 70, n. 8.
↑Jean-Paul Damaggio, « Judith Cladel, éléments d’un parcours », blog des Éditions La Brochure, 11 octobre 2010. Cet étrange surnom lui fut donné en souvenir d’une reproduction du Polichinelle de Manet qui décorait le salon familial et dont elle épelait ainsi le nom.
↑Inscription sur la tombe de Louis Mullem au cimetière du Montparnasse.
↑Noëlle Benhamou, « Feu Harriett de Louis Mullem : un conte bien étrange », dans Anales de Filologíca Francesca no 15, 2007, p. 68.
↑Émile Mermet, Annuaire de la presse française, Paris, 1880, p. 241.
↑Archives numérisées de Paris, registre des décès du 1er arrondissement, acte no 344 du 7 avril 1878. Déclarants : Théodore Gillet-Vital, ingénieur civil, et Louis Mullem, homme de lettres.
↑Gustave Geffroy, Clemenceau. suivi d'une Étude de Louis Lumet, avec citations de G. Clemenceau, sur les États-Unis d'Amérique, 3e édition, G. Crès et Cie, Paris, 1918, p. 15-17.
↑Michel Winock, Clemenceau, éditions Perrin, 2007, p. 118.
↑Pierre Glaudes et Marie-Catherine Huet-Brichard, Léon Cladel, Presses universitaires du Mirail, coll. « Cribles », Toulouse, 2003, p. 288.
↑ a et bNoëlle Benhamou, « Feu Harriett de Louis Mullem : un conte bien étrange », dans Anales de Filologíca Francesca no 15, 2007, p. 59.
↑Anthony Glinoer et Vincent Laisney, L'âge des cénacles, Arthème Fayard, 2013.
↑Brian Stableford, The Germans on Venus, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 20, 2009 (ISBN978-1-934543-56-6) ; The Supreme Progress, Black Coat Press, coll. « Black Coat French Science Fiction » no 63, 2011 (ISBN978-1-935558-82-8); ce dernier titre d'après la nouvelle « Le progrès suprême », parue dans La Société Nouvelle, mars 1894, p. 308-324.
↑La Chronique des arts et de la curiosité. Gazette des beaux-arts, 1908, p. 282a.
↑Gustave Geffroy, « Jean-François Raffaëlli. 1850-1924 », Gazette des beaux-arts, 5e période, tome X, no 2, octobre 1924, p. 171.
↑Gustave Geffroy, « Le Monument de Rollinat », dans L'Aurore du 31 août 1906, p. 1.
↑Jean-Pierre Ariey-Jouglard et France Raimbault, Le cimetière Montparnasse : dictionnaire biographique de personnalités enterrées au cimetière, Christian, Paris, 2012.
↑Adaptation théâtrale du conte homonyme paru dans Contes d'Amérique, 1890.
Noëlle Benhamou, « Feu Harriett de Louis Mullem : un conte bien étrange », dans Anales de Filologíca Francesca no 15, 2007.
Jean-Pierre Ariey-Jouglard et France Raimbault, Le cimetière Montparnasse : dictionnaire biographique de personnalités enterrées au cimetière, Christian, Paris, 2012.