Grâce à leur père, les trois fils purent étudier au Collège royal de Nancy, formation qui leur permettra de devenir très rapidement officiers dans l'armée de la Révolution.
Volontaire en 1792
La tempête révolutionnaire approchant, le père, avec la prudence d'un commerçant, se tut au sujet de ses opinions politiques. Ses fils, Joseph Léopold Sigisbert dans un premier temps, puis Louis-Joseph, et plus tard François Juste répondirent tous les trois à l'appel de la République menacée. Louis-Joseph se porte volontaire en 1792 : il n'est alors âgé que de 15 ans. Il s'enrôle dans le 6e bataillon de volontaires de la Meurthe commandé par le général Beurnonville.
Il va apprendre très tôt la dure vie de soldat au cours de la guerre de la Coalition à l'armée du Rhin. À Trèves, le jeune Louis Hugo faillit être victime du froid : retrouvé allongé mollement dans la neige, on le crut mort et il fut jeté au milieu des cadavres destinés à la fosse commune. Miraculeusement, un mouvement corporel le sauva in extremis. Ayant rapidement retrouvé la santé, il eut seulement la désagréable surprise de ne plus retrouver son paquetage, ses compagnons l'ayant divisé, selon son utilité.
Le bataillon de Louis fusionne avec le 55e de Ligne le . Il est envoyé avec sa compagnie à Saint-Omer, sous le commandement de Soult, sa compagnie faisant partie du 1er bataillon du 55e Régiment d'Infanterie de Ligne. Le régiment va suivre l'armée au camp de Boulogne.
Le , Louis Joseph est nommé au grade de lieutenant.
Le lieutenant Hugo faisait partie de l'encerclement qui a provoqué la capitulation du général Mackà Ulm. Le 55e, sous le commandement du maréchal Soult, formant le 4e corps d'armée, était présent à Austerlitz. La division où Hugo servait, commandée par le général de divisionLe Blond de Saint-Hilaire, prit le plateau de Pratzen, et attaqua la division Kamenski. Hugo se distingua mais fut blessé à la jambe par une balle. Son courage fut récompensé par le grade de lieutenant (rang laissé vacant dans le bataillon par la mort du lieutenant Toupé, tombé ce jour-là).
Le , à Iéna, les 1er et 2ebataillons, sous le commandement du colonel Silberman, faisaient partie de la division Saint-Hilaire. Louis Joseph se distingua à nouveau et était nommé un mois plus tard capitaine du 1er bataillon du 55e RIL, par décret impérial du 23 novembre.
Le , à Eylau, le 55e[3] est envoyé près du cimetière avec pour mission de tenir la position. Il faisait extrêmement froid, la glace et la neige recouvraient le champ de bataille. Déterminé à reprendre le village, le commandant russe, le général Bennigsen, fait concentrer, à 7 h 30, une canonnade immense sur ce point : le 55e était au milieu des obus.
Napoléon ordonna à la division Saint-Hilaire et au 7e corps du maréchal Augereau d'attaquer le centre russe. Louis Joseph Hugo et 85 grenadiers du 55e doivent tenir le cimetière. Là, les troupes furent la proie d'une violente tempête de neige. L'artillerie russe décima le corps d'Augereau. Une boîte à mitraille explosa près de Louis Joseph, il reçut une balle dans le bicorne et un biscaïen le blessa au bras droit. Il se donna une poignée de main pour s'assurer qu'il n'avait pas perdu son bras mais tomba inanimé sur la neige. Son lieutenant prit le commandement de la petite troupe, qui avait été décimée par les obus. Lorsque la canonnade russe se termina vers 18h00, il ne restait que trois survivants dans le cimetière, Hugo, le lieutenant et le tambour.
À l'infirmerie, où son argent lui fut volé, la balle qui l'avait touché fut extraite. Quelques jours plus tard la gangrène s'installe, mais personne ne fut trouvé pour l’amputer de son bras. Louis Joseph, par des injections et de la quinine, sauva lui-même son bras.
Dans ses Mémoires, Louis-Joseph Hugo nous décrit un passage de cette bataille :
J’étais capitaine de grenadiers au 55e... '(extrait)
J’étais capitaine de grenadiers au 55e. On s’était battu toute la journée. On avait pris et repris Eylau. La nuit venue, nous fîmes le bivouac auprès du cimetière. Nos camarades avaient l’habitude d’aller chercher à coucher dans les maisons, moi je couchais avec mes grenadiers ; la première botte de paille était pour moi, et mes camarades n’avaient pas encore trouvé un gîte que je dormais déjà depuis quatre heures. Au milieu de la nuit, arriva un ordre qui prescrivait à la compagnie de se transporter dans le cimetière et de garder la position. Le colonel n’était pas là, son lieutenant n’était pas là. Je pris le commandement, et j’installai mes hommes. Tout cela sous la neige, par un froid de douze degrés. En me réveillant, je m’aperçus que j’avais dormi sur un russe gelé. Je me dis : Tiens, c’est un russe. À six heures le feu commença. Le général Saint-Hilaire, commandant de la division, passa devant moi et me dit : — Hugo, avez-vous la goutte ? — Non, mon général. — Je la boirais bien avec vous. — Et moi aussi, mon général. Il faut dire que, depuis trois jours ; nous n’avions rien pris. Un de mes grenadiers, un nommé Desnœuds, se tourna vers moi et me dit : — Mon capitaine, je l’ai, moi. — Bah ! tu l’as, toi ? — Oui, mon capitaine ; tenez, ouvrez mon havresac. J’ai gardé une poire pour la soif. J’ouvris son havresac, et je trouvai une bouteille d’eau-de-vie de France qu’il avait eu la constance de garder depuis Magdebourg, sans y toucher, malgré toutes les privations que nous avions eu à subir. Je bus une bonne goutte, et, avant de remettre la bouteille dans le sac, je lui demandai s’il voulait bien en faire boire au général. - Oui, me répondit-il, mais ils voudront tous boire de mon eau-de-vie et il n’en restera plus pour moi. Je pris alors un gobelet d’étain qu’il portait à la monture de son sabre, je le remplis et le portai au général, qui était à quelques pas sur un petit tertre. - Qui est-ce qui vous a donné ça ? me dit-il. - Mon général, c’est un grenadier de ma compagnie. - Voilà vingt francs pour lui ! Et il me remit un louis que je portai au grenadier et qu’il refusa, me disant : - Mon capitaine, j’ai été assez heureux pour obliger mon général, je ne veux pas d’autre récompense. Pendant tout cela, soixante pièces tiraient à mitraille sur nous. Un quart d’heure après, Desnœuds reçut une balle à la jambe. Il sortit de son rang, alla s’asseoir à quelques pas de là, et, tandis que les balles pleuvaient, ôta son havresac, en tira de la charpie, une compresse, des bandes de toile, se pansa, remit sa guêtre, et revint à sa place. Je lui dis alors : - Desnœuds, va-t’en, tu es blessé. - Non, mon capitaine, la journée est belle, il faut la voir finir. Une heure après, il fut coupé en deux par un boulet. Ce pauvre grenadier était un brave et avait déjà fait parler de lui. C’est le même qui, à Iéna, tandis que nous étions à la poursuite d’un détachement de prussiens, s’était jeté sur leur colonel, l’avait pris à bras-le-corps, criant à ses camarades : « J’ai le mien, que chacun prenne le sien ! »
Le , « Napoléon, qui signe tout », nomme Louis chef de bataillon du régiment Royal-Étranger en Espagne. Louis Hugo avait été appelé en Espagne par son frère, qui voulait le faire profiter de son crédit, et qui y avait attiré aussi son autre frère, Francis. Leur ainé les poussa activement, et Louis était déjà colonel
On confia à Louis Hugo la sécurité de l'axe Paris-Madrid. Sa responsabilité était très grande et la mission ardue : il devait remplir cette tâche difficile avec des soldats fraîchement recrutés. Le à Mengamnos, la trahison de certains de ses soldats le mit dans une situation difficile. Avec courage et lucidité, et l'avantage de la nuit, en utilisant une ruse pour faire croire qu'ils étaient plus nombreux, Louis et ce qui lui restait de troupes rétablirent la sécurité du lieu. Pour cette action, il fut promu au grade de major le 12 septembre et fait chevalier de l'Ordre royal d'Espagne le . Le , il fut nommé au grade de colonel, avec la commandement de Brihuega.
Au cours de l'année 1810, il est envoyé deux fois en mission à Paris. La première pour avertir Napoléon Ier d'un complot[5] et la seconde pour transmettre l'ordre, du roi Joseph à Madame Hugo, sa belle-sœur (épouse de Léopold) et mère du poète, de rejoindre, avec ses enfants, son mari en Espagne[6]. Le beau-frère préféré de Sophie Trébuchet[1], en passant à la propriété des Feuillantines, impressionne fortement et laisse un souvenir marquant au jeune Victor Hugo qui fit d'« oncle Louis » le héros d'un de ses poèmes (voir plus haut) :
« Donc, un matin d'automne, les enfants, qui déjeunaient dans ce moment-là, virent entrer, vivement et joyeusement, avec des broderies sur tout l'habit et un grand sabre brillant qui lui traînait aux jambes, un homme grand et élégant de taille qui ressemblait à leur père et qui venait du pays du soleil. Ce sabre brillant, l'Espagne qui s'y mêlait, la mâle bienveillance du visage, le prestige qui environnait alors tout ce qui était militaire, leur fit de cet oncle une vision éblouissante. M. Victor Hugo, racontant cette entrée de son oncle dans la salle à manger des Feuillantines, disait : — Il nous fit l'effet de l'archange saint Michel dans un rayon.[7] »
Le 4 décembre la même année, Louis Hugo reçut le commandement du Royal-Étranger. Le Royal-Étranger était composé en partie par des anciens combattants de la campagne de Prusse (1806), mais aussi d'Espagnols, de Suisses, d'Italiens, et quelques déserteurs ennemis.
Le , au pont d'Auñon(es), avec 550 fantassins, il fut attaqué par 5 000« guérillas ». Son frère Léopold arriva avec ses troupes pour le sauver à environ 17h00.
Mais pour lui, Waterloo sera la fin de 24 années d'aventure militaire en Europe. Dans ses correspondances, au moment où l'on enquête sur l'esprit politique des officiers supérieurs et généraux, Louis ne manifeste aucun attachement particulier à l'Empereur et se déclare prêt à servir le Roi. Il n'estime n'avoir pris « aucune part à la dernière guerre », parle même de l'« usurpateur » et veut prouver la « sincérité de [son] dévouement et de [sa] fidélité à l'auguste personne de Sa Majesté[1] ».
La Seconde Restauration ne pardonnera pas ceux qui ont rejoint l'« usurpateur ». Pendant cinq ans, il sera l'un des « demi-soldes ». Enfin, le , Hugo fut rappelé, et nommé, en qualité de colonel, « temporairement », membre du conseil de recrutement de la Corrèze, à Tulle, où il épousa Marie Pinaud.
« Je vis mon colonel l'épée en main. Par qui donc la Victoire a-t-elle été gagnée ? Par vous dit-il. La neige était de sang baignée. Il reprit : C'est bien vous Hugo ? C'est votre voix. Oui. Combien de vivants ? Etes-vous ici ? Trois. »
Louis Joseph épousa, le à Tulle, Marie Pinaud ( - Tulle † - Chameyrat), dont il eut :
Léopold[11] ( † - Tulle), marié le avec Nathalie de La Treilhe de Lavarde ( † ), dont :
Léopoldine[12] (née le ), mariée en avec Alphonse Violet ( † ), dont postérité ;
Camille (née en ), mariée en avec Albert Masselon ( † ), dont postérité ;
Marie ( - Tulle † - Tulle), mariée le avec Léon Chirac ( † 1854). Veuve après six mois de mariage, elle rentre au Carmel de Tulle et fit profession de foi le sous le nom de sœur Sainte Marie-Joseph.
Joseph Léopold Sigisbert Hugo porte la croix de l'Ordre royal d'Espagne attachée au cou et la plaque de commandeur de cet ordre sur la poitrine (celle liée à un ruban bleu semble être la croix de l'Ordre des Deux-Siciles). Ses frères portent la croix de chevalier.
↑Dans ses Mémoires, le général Léopold Hugo affirme qu'en 1810, ayant eu vent d'un risque d'attentat contre l'Empereur entre Mondragón et Bergera, au moment où une rumeur annonce son retour en Espagne, il charge son frère Louis-Joseph de se rendre au devant de l'Empereur pour le mettre en garde. Il dut prendre cette initiative en l'absence du roi Joseph, alors en Andalousie, et du général Béliard qui était en Castille. Il les prévient tous deux par courrier. Selon Léopold, Louis, ne voyant personne sur la route des Pyrénées, pousse son voyage jusqu'à Paris et se rend aux Tuileries.
↑Il s'agissait de décider madame Hugo à venir retrouver le général en Espagne. Après trois ans de séparation, le mari désirait ravoir sa femme et le père ses enfants. Mais il y avait une autre raison. Le roi Joseph voulait que ceux dont il avait fait la fortune se fixassent près de lui sans arrière-pensée de retour en France, pour avoir toujours là des amis sûrs dans ce royaume mal soumis et pour démontrer aux Espagnols que les Français étaient absolument déterminés à rester et que la résistance était inutile. Le million de réaux donné au général Hugo, ainsi qu'à d'autres généraux et à tous les grands dignitaires, était pour acheter des domaines dans le pays. Le général Hugo n'ayant pas trouvé tout de suite de domaine à sa convenance, le roi l'avait fait venir et, très-affectueusement, mais très-tristement, lui avait reproché de garder son argent pour la France et de penser à le quitter. À quoi le général avait répondu qu'il allait dès le lendemain acheter le premier domaine venu et qu'il y ferait venir sa famille.