Je viens te l’annoncer ; descends, que je t’embrasse.
Ne me retarde point, de grâce ;
Je dois faire aujourd’hui vingt postes (2) sans manquer (3).
Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires ;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux (4) dès ce soir,
Et cependant viens recevoir
Le baiser (5) d’amour fraternelle.
- Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais (6)
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle
De cette paix ;
Et ce m’est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers,
Qui, je m’assure (7), sont courriers
Que pour ce sujet on envoie :
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.
- Adieu, dit le Renard, ma traite (8) est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l’affaire
Une autre fois. " Le galant (9) aussitôt
Tire ses grègues (10), gagne au haut (11),
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur ;
Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
Vocabulaire
(1) rusé, sans scrupule, filou. "Rusé, difficile à être trompé, adroit à tromper les autres" (dictionnaire de Furetière)
(2) Une poste est la distance qui sépare deux relais de chevaux pour les courriers (environ deux lieues) : 20 relais de poste c'est donc une distance d'environ 160km
(3) sans faute
(4) réjouissez-vous. "Faire des feux de joie. Ce sont des marques de la joie publique qui se font par le feu, les fusées volantes, pétards, canons et boîtes, etc." (dictionnaire de Richelet)
(5) baiser de paix de l'église catholique
(6) je n'aurais jamais pu
(7) "On dit je m'assure pour dire je le conjecture" (dictionnaire de Furetière). Voir Molière L'école des femmes, II, 2 : "Quelque chien enragé l'a mordu, je m'assure"
(8) chemin qu'un voyageur fait d'un lieu à un autre sans se reposer
(9) le rusé
(10) relève ses hauts de chausses ou culotte (pantalon) pour courir plus vite, s'enfuit
La source de Jean de La Fontaine est sans doute Guéroult (Le coq et le renard / Premier Livre des emblèmes, 1550). Dans le roman de Renart, le texte "Le renard et la mésange" raconte une ruse du goupil similaire.