Ce retable est réalisé par Caravage en 1608[1] lors de son arrivée en Sicile après avoir fui Malte. La commande provient probablement du Sénat de Syracuse ; Caravage l'obtient sans doute grâce à l'entremise de son ami le peintre Mario Minniti, qui a de très bons rapports avec les Franciscains qui dirigent l'église et son couvent[2]. Bellori, l'un des tout premiers biographes de Caravage au XVIIe siècle, en fait mention[2] :
« Parvenu à Syracuse, il fit un tableau pour l'église de Sainte-Lucie, située au-delà de la Marina : il peignit la Sainte, morte, avec l'évêque qui la bénit ; deux hommes, armés d'une pelle, creusent la terre pour l'ensevelir. »
La date de réalisation de la toile est bien circonscrite : elle est réalisée entre le , date où Caravage quitte Malte, et le de la même année, puisqu'il se trouve alors à Messine et non plus à Syracuse. Il est possible que la commande soit prévue de telle manière que le tableau soit livré pour le , c'est-à-dire le jour où est célébrée la mémoire de sainte Lucie[4].
Les deux églises
Le retable est initialement prévu pour être installé dans la basilique Santa Lucia al Sepolcro du quartier de Borgata ; mais au gré de déplacements et de restaurations elle se retrouve désormais installée dans une autre église de la même ville, également dédiée à sainte Lucie : l'église Santa Lucia alla Badia, située dans un quartier touristique sur la petite île d'Ortygie[5]. Les conditions de conservation y semblent meilleures que dans la basilique, ce qui est d'autant plus important que le tableau est en mauvais état, surtout depuis une restauration de piètre qualité effectuée en 1979[5]. Cette situation provoque toutefois des contestations, au vu de l'intérêt touristique que représente le tableau, que viennent admirer près de 3 000 visiteurs par jour : des voix s'élèvent pour obtenir le retour du tableau à Santa Lucia al Sepolcro[6].
La scène représente au premier plan deux fossoyeurs d'aspect massif qui s'affairent à creuser une tombe : derrière eux gît le corps de Lucie de Syracuse, martyrisée pour avoir refusé d'abjurer sa foi chrétienne[9]. Une plaie à son cou montre qu'elle a été égorgée[2]. La composition de la scène est enfermée dans un triangle formé par les corps des fossoyeurs en diagonale, et à la pointe le sommet de la tête du diacre au manteau rouge ; une foule se dresse à l'arrière et sur la droite, mais elle est située en dehors de ce triangle au centre duquel le visage de Lucie concentre l'attention du spectateur[2]. Même le prélat en grande tenue, sur la droite, est marginalisé et se mêle à l'anonymat de cette foule[10]. L'axe horizontal et l'axe vertical se croisent précisément à l'emplacement des deux personnages centraux que sont la sainte et le diacre[11].
Il est possible qu'un autoportrait de Caravage apparaisse dans le visage de l'homme à droite, frappé par la lumière et qui détourne son regard de la scène en direction de la droite du tableau[2].
L'espace monumental et vide au-dessus des personnages occupe plus de la moitié de la toile : c'est là une importante innovation du peintre lombard, qui l'avait toutefois déjà expérimentée quelques mois plus tôt dans sa Décollation de saint Jean-Baptiste[2]. Ce grand vide au-dessus des personnages environnés de ténèbres fait penser à une caverne aux contours indéfinis, comme dans la Résurrection de Lazare que Caravage va peindre un peu plus tard à Messine[12]. Par ailleurs, la lumière qui éclaire le visage de la sainte renvoie — de même que de nombreux parallèles formels — à un autre grand tableau de la période romaine : La Mort de la Vierge[2].
D'autres tableaux de la même époque adoptent une composition similaire
↑ a et b(en) Michael Day, « Caravaggio row: Two Sicilian churches at war over ownership of The Burial of Saint Lucy masterpiece », The Independent, (lire en ligne).
↑(it) Isabella di Bartolo, « La battaglia del Caravaggio conteso che divide Siracusa », La Repubblica, (lire en ligne).
Sybille Ebert-Schifferer (trad. de l'allemand par V. de Bermond et J-L Muller), Caravage, Paris, éditions Hazan, , 319 p. (ISBN978-2-7541-0399-2).
Catherine Puglisi (trad. de l'anglais par D.-A. Canal), Caravage, Paris, éditions Phaidon, (1re éd. 1998), 448 p. (ISBN978-0-7148-9995-4), 1re éd. française 2005, réimp. brochée 2007.
Rossella Vodret (trad. de l'italien par Jérôme Nicolas, Claude Sophie Mazéas et Silvia Bonucci), Caravage : l’œuvre complet [« Caravaggio. L'opera completa »], Milan/Paris, Silvana Editoriale, , 215 p. (ISBN978-88-366-1722-7).