Conrad Aurousseau, en néerlandais Koenraad, dit Koen, est un juge d'instructionbelge condamné à une année de prison avec sursis et amende par la justice belge en 1998 pour avoir eu des pratiques très violentes sous contrat masochiste avec sa femme. Egalement condamné pour avoir incité sa femme à la fornication, il lui est interdit d'exercer dans la fonction publique pendant cinq ans, ce qui met un terme à sa carrière. Son histoire a été racontée dans un film sorti en 2009, Domination(nl)[2].
Le magistrat a été condamné par la cour d’appel d’Anvers, celle-ci justifiant sa décision par le respect de la dignité humaine et la protection de la santé de la personne masochiste, rejetant l'argument que la « victime » a le droit de vivre comme elle l'entend. Soutenu par sa femme, le magistrat porte l'affaire devant la Cour européenne des Droits de l'Homme, en s'appuyant sur une approche fondée sur la Convention européenne des droits de l'homme, qui reconnaît le « droit à disposer de son propre corps ». Mais la Cour européenne des Droits de l'Homme rejette la plainte, au motif qu'il est arrivé que la victime demande que les sévices s'arrêtent mais n'a pas été entendue : le magistrat était sous l'influence de l'alcool et incapable de garder le contrôle de la situation.
Éléments biographiques
Koenraad Aurousseau est le fils d'un médecin généraliste. Ses parents divorcent alors qu'il a quinze ans. Pour des raisons financières, la garde est confiée à son père. Sa mère se remarie à un acteur de télévision, Roger Coorens(nl).
En 1997, alors que l'opinion a été choquée par l'affaire Dutroux et les institutions discréditées, des rumeurs circulent dans le tribunal concernant la fréquentation par le magistrat du milieu des prostituées et des proxénètes. Une enquête est diligentée. Au cours d'une perquisition au domicile de celui-ci, la police découvre les enregistrements vidéo des orgies qui se sont déroulées dans des chalets privés à Orchimont, Oignies et Balen[4]. Elle trouve aussi les vidéos des séances de domination de sa femme Madga auxquelles il soumettait celle-ci, dans un premier temps dans leur chambre[5] puis dans un club sadomasochiste de Wetteren[1]. Une inculpation est ordonnée.
Le procès fait la une de certains journaux. Koen Aurousseau plaide l'état de nécessité, ayant répondu à une demande, découlant de l'alcoolisme de sa femme[4]. Sa femme était donc globalement consentante, et n'a d'ailleurs jamais porté plainte contre son mari. La Cour note néanmoins que les deux étaient en permanence alcoolisés, ce qui est contraire à la culture SM, car les participants sont censés pouvoir garder le contrôle. La Cour reconnaît que les traitements violents subis par Magda Aurousseau, fouet, pinces, électricité, aiguilles dans les seins, écarteurs, brûlures, n'ont causé aucune séquelle. Mais elle estime qu'un risque de mutilation était possible et note que Magda Aurousseau « a crié de douleur et parfois s'est évanouie. Quand elle a crié « miséricorde », les activités n'ont pas été interrompues, alors qu'elles auraient dû »[4]. Koen Aurousseau est condamné le [4] en vertu de l'articles 397 du Code pénal[6] à un an de prison avec sursis, c'est-à-dire en liberté surveillée, pour coups et blessures volontaires[1]. C'est la peine minimale[4]. Il doit payer également 2 478 euros d'amende[4].
Koen Aurousseau est également condamné pour incitation à la fornication pour avoir amené sa femme dans des clubs SM, lui-même ayant admis avoir organisé ce transport. Aurousseau reçoit donc la peine minimale de 1 an de prison, la peine maximale étant de 5 ans. Depuis l'affaire Dutroux, cette condamnation est liée automatiquement liée à une déchéance des droits civils et politiques. Aurousseau est donc démis de ses fonctions de juge[4].
Magda s'est comportée comme esclave pour 100 euros dans un sex club de Wetteren, mais le tribunal estime qu'Aurousseau n'a pas voulu l'utiliser financièrement, et le chef d'accusation « exploitation de la fornication » n'est donc pas retenu[4]. Les enregistrements vidéo n'ayant pas été faits dans le but d'une exploitation commerciale, il échappe également à l'accusation de publicité obscène[4]. Un médecin, thérapeute de Magda Aurousseau qui l'a accompagnée dans ses séances de soumission, et un policier sont également condamnés à un mois de prison avec sursis et des amendes pour complicité, respectivement 186 et 248 euros[4]. Deux relaxes sont prononcées et quatre autres personnes sont condamnées à des peines minimales pour coups et blessures volontaires[4].
Du fait de la perte de ses droits civiques, Koen Aurousseau ne bénéficie d’aucune protection ni aide sociale et est amené à vendre sa maison[1]. Sa fille, étudiante, reproche à ses parents d'avoir manqué du sens des responsabilités et quitte le foyer familial. Les liens avec celle ci resteront rompus plus de dix ans[8]. Il fait une tentative de suicide mais garde le soutien de sa femme, quoique leur vie sexuelle soit durablement anéantie[8]. Magda Aurousseau considère que c'est du tribunal, qui a violé l'intimité de sa vie, et non de son mari qu'elle est victime[9].
En , Koen Aurousseau est embauché comme assistant parlementaire par le sénateur nouvellement élu Jean-Marie Dedecker et travaille à un projet de loi porté par René Landuyt visant à encadrer juridiquement les pratiques sadomasochistes mais le projet n'aboutit pas[4]. En , il prend en gérance un petit bistrot de Malines, le Kelderke, qui ouvre sur la Dyle[1]. Il habite le petit appartement au-dessus[1].
Jurisprudence belge et européenne
La cour d'appel d'Anvers a reconnu que condamner Koen Aurousseau pour coups et blessures dans le cadre de pratiques sadomasochiste constitue une ingérence dans la vie privée, qui doit être justifiée. Selon la cour, cette justification se trouve dans une loi de protection de la moralité et de la santé. Donc, même si la cour a estimé que les pratiques sadomasochistes douces sont protégées par le droit à la vie privée, elle a considéré que les faits spécifiques étaient « si graves, choquants, violents et odieux » qu'ils portaient atteinte à la dignité humaine et n'étaient en aucun cas socialement acceptables. Le premier motif de condamnation est donc un argument de principe, le respect de la dignité humaine : « le respect de la dignité de la personne humaine reste en tout cas une limite qui ne peut être franchie sur l'argument du droit à mener sa vie comme on l'entend [...] ou du consentement à des relations sexuelles. ». Le second motif concerne la protection de la santé de la personne livrée aux coups, il s'agit d'un argument d'espèce, basé sur « la gravité des accidents vasculaires cérébraux et le risque de blessures ou mutilations »[6],[4].
Le jugement de cour d'appel d'Anvers de 1998 s'est donc basé sur la jurisprudence de l’affaire Laskey dont l'arrêt été rendu le 19 février 1997 par la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH)[6],[4]. La CEDH avait jugé que les voies de fait et les coups et blessures entre adultes consentants étaient une affaire purement privée, mais elle avait également reconnu aux états membres du Conseil de l'Europe le droit de juger du danger pour la santé physique et morale d'une personne auquel une telle pratique l'expose. L'arrêt du rejette à l'unanimité[10] peu avant le début de l'affaire Aurouseau, une plainte déposée par trois Anglais condamnés par le Royaume-Uni pour s'être livrés mutuellement à une dominationhomosexuelle[11] d'une grande violence (orties, aiguilles, pinces, papier de verre, marquages)[4], elle fonde sa jurisprudence sur le paragraphe 2 de l'article VIII de la Convention européenne des droits de l'homme[10] qui stipule, à propos du droit individuel au respect de la vie privée et familiale, qu'« il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ».
Dans l'affaire Aurousseau, la CEDH ne s'appuie pas sur l'unique jurisprudence relative au sadomasochisme, l'arrêt Laskey de 1997, mais sur celle de l'euthanasie[12] pour exiger que, dans le cadre de relations sexuelles, la restriction de la liberté de la « victime » soit l'expression de la liberté de celle-ci[6]. L'approche de la CEDH n'est donc pas morale : elle se base sur le « droit à disposer de son propre corps » quand bien même les choix d'un individu paraitraient nuire ou mettre en danger son intégrité physique ou morale[6]. Contrairement à la jurisprudence Laskey, le caractère « extrême » des pratiques n'est pas discuté. Ce qui est déterminant est de vérifier que la volonté de la personne masochiste a bien été respectée. Or, la CEDH reconnaît que la décision de la cour d'appel d'Anvers est motivée par trois constats qui vont dans le sens contraire, à savoir que les demandes d'arrêter les sévices par celle qui les subissait n'ont pas été respectées[6], que les participants ont admis qu'ils ne savaient plus où ils s'arrêteraient[6], que la consommation à outrance de bière[4] leur avait fait perdre tout contrôle[6].
Aussi, le , la Cour européenne des Droits de l'Homme rejette la plainte de Koen Aurousseau. Il s'agit pourtant bien d'un revirement par rapport à la jurisprudence de son propre arrêt de 1997[6], de la définition d'un cadre légal aux sévices sexuels consentis et d'un désaveu des arguments moraux de la justice belge[6].
Thèse de doctorat contestant, en particulier à partir du cas Aurousseau, la notion de libre choix de se soumettre à des pratiques sadomasochistes et préconisant à propos de celles ci les principes de mise en danger de la santé et de la morale.
(nl) S. de Jonge, « "SM-Rechter" : Koen Aurousseau en zijn vrouw Magda. », in Humo, no 3574, p. 8-14, .
(nl) W. Vandenhole, Fundamentele rechten en vrijheden - Arresten en Documenten, Acco(nl), Louvain, 2010.
Cours de droit fondamental sur les libertés reprenant, entre autres, les décisions de justice relatives au cas Aurousseau.
Rapport commandé par le gouvernement des Pays-Bas sur les possibles dérives du BDSM.
Sources
↑ abcdef et gR. Olivier, « Le juge condamné », in M. H. Massin, Catalogue des films documentaires, Service général de l’Audiovisuel et des Multimédias de la Communauté française de Belgique du Centre du cinéma et de l’audiovisuel, Bruxelles, 2000.