Différentes plaintes d'abus sexuels visant Thomas Philippe ont conduit l'Arche à demander une enquête indépendante rendue publique en janvier 2023. Celle-ci a révélé que Jean Vanier avait non seulement connaissance des pratiques « mystico-sexuelles » de Thomas Philippe, mais qu'il s'était livré lui-même à des abus semblables sur au moins vingt-cinq femmes non handicapées entre 1970 et 2005. Les conclusions de l'enquête ont amené l’Arche « à revisiter les circonstances de sa fondation historique ».
Biographie
De nationalité canadienne[1], Jean François Vanier naît en 1928, en Suisse, quatrième et avant-dernier enfant de la famille[2]. Son père, Georges Vanier, alors en mission auprès de la SDN, plus tard gouverneur général du Canada de 1959 à 1967, a fait carrière dans la diplomatie, entraînant sa famille au gré de ses fonctions en France et en Angleterre où Jean passe son enfance. En 1942, Jean rejoint la Marine royale britannique en tant que cadet au Collège naval de Dartmouth au Royaume-Uni. Il a alors 13 ans. Le jeune garçon s’embarque pour huit ans dans la marine anglaise, puis canadienne à partir de [3], en pleine Seconde Guerre mondiale. En 1950, il choisit de démissionner de la marine canadienne.
Son père, le général Georges Vanier, l'oriente alors en 1950 vers l'Eau vive, un centre de formation catholique international créé en 1946 et dirigé par le père dominicainThomas Philippe[4]. Jean Vanier devient son « fils spirituel ». Impliqué en 1952 dans un scandale d'abus sexuel, Thomas Philippe est rappelé à Rome pour rendre compte de ses agissements. Jean Vanier prend à sa suite la direction de l'Eau vive.
Malgré l'interdiction du Saint-Office chargé de l'enquête sur Thomas Philippe, Jean Vanier garde des contacts avec son « père spirituel » et sept femmes de l'Eau vive avec lesquelles il entretient des liens érotico-mystiques[5]. Le Saint-Office dissout l'Eau vive en 1956. Thomas Philippe est condamné à la peine vindicative de déposition qui lui interdit à vie d'exercer son ministère. Le noyau de l'Eau vive formé autour de Jean Vanier a interdiction de se reformer, mais perdure cependant[6].
En quête d'une vitrine honorable sous laquelle reformer le groupe de l'Eau vive autour de Thomas Philippe[5], Jean Vanier s'installe en 1964 avec lui et les autres femmes[7], en toute discrétion dans une maison près de Trosly-Breuil où ils accueillent deux handicapés mentaux rencontrés à l'asile psychiatrique de Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux[8]. C'est ainsi que naît l'Arche dont Thomas Philippe devient l'aumônier, malgré la sentence de déposition de 1956[6].
Jean Vanier meurt à Paris le [11]. Le 22 février 2020, une enquête[12] diligentée par l'Arche est rendue publique[13]. Elle conclut que Jean Vanier avait poursuivi ses relations avec le père Thomas Philippe, qu'il était au courant de ses agissements, et qu'il a lui-même abusé sexuellement d'au moins six femmes adultes entre 1970 et 2005[6]. Selon les termes du rapport, Vanier « a usé de son ascendant pour profiter d'elles à travers divers comportements sexuels »[14],[15].
Jean Vanier et Thomas Philippe « ont non seulement partagé des proies mais ils pourraient aussi avoir entretenu une relation homosexuelle. « Cette question est posée. Elle est légitime et fera partie du champ de la recherche », confirme Stephan Posner. »[16],[6]. Le rapport commandé à l'Arche conclut que l'hypothèse n'est pas à écarter, mais qu'en l'état actuel des connaissances, la question, qui reste ouverte, n'a pu être tranchée[17].
Responsable international de l'Arche, ce dernier déclare : « Notre histoire fondatrice vole en éclat, tout comme notre mythe fondateur »[18]. Pierre Jacquand, responsable de l'Arche en France exprime son désarroi : « L'écart est si vertigineux entre l'homme que j'ai connu et celui que je découvre… je lutte pour accepter, alors même que je sais les faits indiscutables »[18]. Louis Pilotte, responsable national de l'Arche au Canada, se déclare sous le « choc », « abasourdi » par cette nouvelle concernant un homme qu'il connaissait personnellement : « c'est pire que tout ce qu'on aurait pu imaginer »[14].
Selon François-Xavier Maigre, rédacteur en chef du Pèlerin Magazine, « Le choc de ces révélations est double : contrairement à ce qu’il a toujours clamé, Jean Vanier a su dès les années 1950 que son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe, avait été condamné par l’Église en raison de ses pratiques sexuelles, et de la mystique déviante qui les sous-tendait. Pire : il y a lui-même pris part, et perpétué, jusqu’à une période récente, ces relations d’emprise avec des femmes auxquelles il imposait des relations intimes, sous couvert de justifications mystiques »[19].
En novembre 2020, une commission pluridisciplinaire d'études est mise en place par l'Arche qui doit remettre ses conclusions en octobre 2022 : « [...] ces révélations ne mettent pas un terme aux interrogations importantes qu’elles génèrent et exigent de l’Arche une compréhension rigoureuse et profonde lui permettant de tirer toutes les conséquences possibles quant à son histoire, sa culture et son fonctionnement d’hier et d’aujourd’hui. »[21].
Le rapport de la commission indépendante mandatée par l’Arche est publié le 30 janvier 2023. Celui-ci mentionne des agressions sexuelles contre vingt-cinq femmes entre 1952 et 2019. Selon les responsables de l'Arche : « Certaines se sont présentées comme victimes d’une relation abusive, d’autres plutôt comme des partenaires consentantes d’une relation transgressive. Ces relations (…) s’inscrivent toutes dans un continuum de confusion, d’emprise et d’abus »[22].
Une dizaine d'écoles catholiques portent son nom en Ontario[14]. À la suite de la révélation des abus sexuels de Jean Vanier, celle de Welland a changé le sien en 2020[29].
Stefan Foltzer, Jean-Marie Guénois et Julien Jeffredo, « Revivez les obsèques de Jean Vanier », Le Figaro, (lire en ligne, consulté le ).
Guyonne de Montjou, « Jean Vanier: “L'espérance est dans la rencontre vraie” », Le Figaro, (lire en ligne, consulté le ).
↑ abc et dMarie-Béatrice Baudet et Cécile Chambraud, « Les noirs secrets de Jean Vanier, le fondateur de l’Arche : « Il a joué avec son corps et a fait mal à des femmes » », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
↑Céline Hoyeau, « Douloureuses révélations sur Jean Vanier », La Croix, (lire en ligne, consulté le ).
↑Anne-Bénédicte Hoffner et Martine de Sauto, « Jean Vanier, le fondateur de l’Arche, est mort », La Croix, (ISSN0242-6056, lire en ligne, consulté le )
↑L'Arche internationale, « Rapport de synthèse », sur larche.org, (consulté le ).
↑Céline Hoyeau, « Révélations sur Jean Vanier : comment l’Arche a géré la crise », La Croix, (ISSN0242-6056, lire en ligne, consulté le )
↑Cécile Chambraud, « Abus sexuels : les témoignages de six femmes mettent en cause Jean Vanier, fondateur de l’Arche », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
↑Stephan Posner est le responsable international de l’Arche.
↑« Violences sexuelles : « l’emprise » du fondateur de l’Arche, Jean Vanier, confirmée dans une nouvelle enquête », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
François-Xavier Maigre et Jean Vanier, Un cri se fait entendre, Montrouge, Bayard Culture, coll. « Essais religieux divers », , 200 p. (ISBN978-2-227-48917-2)
Florian Michel, Antoine Mourges et al., Commission d’étude mandatée par L’Arche internationale, Emprise et abus, enquête sur Thomas Philippe Jean Vanier et L’Arche (1950-2019), , 907 p. (ISBN979-10-92137-15-6, lire en ligne)
Céline Hoyeau / « Le mystère des frères Philippe », Enquête, dans « Cahier central » du journal La Croix, Lundi 22 février 2021, Quotidien N° 41942, édition papier p. 13-20, [lire en ligne]
Marie-Béatrice Baudet et Cécile Chambraud, « Les noirs secrets de Jean Vanier », Le Monde, , p. 20-21 (lire en ligne)