Elle est la fille d'un professeur des universités (militant du SNESup) et d'une mère au foyer, dont dit-elle le « destin horrible » (diplômée de HEC Jeunes Filles et de Langues O, celle-ci a interrompu un moment sa carrière de traductrice après son mariage pour s'occuper de son foyer) a façonné son propre engagement féministe[1].
Enseignante, puis chercheuse au CNRS, Irène Théry est élue en 1997 directrice d’études à l’EHESS. Elle y est tout d'abord membre associée du Centre de recherches politiques Raymond Aron. En 2001, elle a rejoint le centre Sociologie, histoire et anthropologie des dynamiques culturelles (SHADYC Marseille), devenu au Centre Norbert Elias. Elle a également été jusqu'en 2009 responsable de la formation doctorale en sciences sociales du pôle régional de Marseille de l’EHESS[2].
Spécialisée dans la sociologie du droit, de la famille et de la vie privée, elle travaille sur les transformations contemporaines des liens entre les sexes et les générations. Elle a publié plusieurs ouvrages sur les mutations du droit et de la justice de la famille, sur les familles recomposées et sur le masculin et le féminin.
Ayant introduit le terme de « famille recomposée » en français, elle a dirigé de 1991 à 1997, un réseau international de recherche pluridisciplinaire sur les recompositions familiales (fondé en collaboration avec Marie-Thérèse Meulders-Klein, directrice du Centre de droit de la famille de l'université catholique de Louvain).
Irène Théry a occupé au cours de sa carrière de nombreuses fonctions :
Ayant recueilli des témoignages dans le cadre de la libération de la parole des victimes liée à #MeToo et de ce qu'elle nomme « la nouvelle civilité sexuelle », elle-même témoigne avoir été victime d'une agression sexuelle pédocriminelle à l'âge de 8 ans[6],[7].
Engagement
Irène Théry est une sociologue engagée dans le débat public. En 1998, elle a rédigé à la demande de Martine Aubry et Élisabeth Guigou, ministres du gouvernement Jospin, le rapport « Couple, filiation et parenté aujourd’hui » préconisant de nombreuses réformes du droit de la famille. Elle y présente une analyse des changements rompant avec les thèses classiques de la « désinstitutionnalisation » de la famille. Pour elle, c'est la dynamique d’égalité des sexes, et non le passage de la valeur « groupe » à la valeur « individu », qui est le principal moteur des transformations contemporaines. Elle y critique l’idéologie qui déprécie radicalement l’institution au nom de la subjectivité et de l’authenticité du « moi », à un moment historique où l’enjeu est de métamorphoser les institutions de la famille et de la parenté pour mettre fin à une conception hiérarchique des sexes dans le couple et la filiation.
Pourtant, parce qu'elle avait critiqué sévèrement et systématiquement les projets de contrat ou de partenariat homosexuel (CUC, CUS, PACS)[8],[9], le gouvernement Jospin n'a pas suivi ses préconisations sur le Pacte civil de solidarité et elle fut désavouée[10].
Sur le mariage homosexuel, elle a exprimé en 1997-1999 ses réticences : bien que favorable à une union solennelle en mairie, elle était opposée au mariage des couples homosexuels car elle ne voyait pas d’issue à la question de la présomption de paternité, « cœur du mariage » selon Jean Carbonnier. Pour Irène Théry, une présomption de paternité entre personnes de même sexe n’a pas de sens car c’est une présomption de procréation. Mais lorsque le Parti socialiste a déposé en une proposition de loi sur le mariage des couples homosexuel qui répondait à cette question de façon satisfaisante, elle a soutenu cette proposition[réf. nécessaire].
Sur l'homoparentalité, elle a dès 1998 proposé dans son rapport les mêmes droits pour tous les beaux-parents, y compris l’adoption simple, quel que soit le couple, homosexuel ou hétérosexuel. Mais elle s’est toujours opposée aux approches prônant l’égalité par l’indifférenciation des sexes. Combattant la formule selon laquelle « les homosexuels n’atteignent pas à la différence des sexes », elle développe l’idée que les relations de même sexe relèvent, comme les relations de sexe opposé, de ce qu’elle nomme la « distinction de sexe »[11]. En 1997-99, elle critique l'adoption plénière ou l’accès à la PMA pour les couples de même sexe s'ils interviennent sans modification du droit commun de l’adoption ou de la PMA pour tous, elle écrit alors « c’est du côté des pluriparentalités que se trouve l’espoir ». Ses positions ont suscité des controverses parfois très vives[12].
L'approche « relationnelle » du genre d'Irène Théry est développée et précisée, notamment dans Des humains comme les autres, bioéthique, anonymat et genre du don[13], où se rallie à la revendication d’accès des couples de même sexe à l’adoption plénière et à la PMA, dans la perspective où serait abandonné le modèle traditionnel de filiation mimétique de la procréation. Le droit de l'enfant à son origine et à son histoire permettrait, selon elle, d’instituer un nouveau droit de la filiation à la fois commun à tous et pluraliste.
En 2011, lors de l'affaire Dominique Strauss-Kahn, Irène Théry propose d'introduire dans le droit français le crédit de véracité au bénéfice des victimes, c'est-à-dire de présupposer la bonne foi d'une personne dénonçant des violences sexuelles à son encontre[14].
En , Dominique Bertinotti, alors ministre déléguée à la famille, lui confie la présidence d'un groupe de réflexion visant à examiner les questions posées par la diversité des modes actuels d'établissement de la filiation. Le rapport publié en comporte deux volumes. Le volume IRéflexion prospective sur la filiation reprend sa proposition d'instaurer une filiation commune et pluraliste (un mode d'établissement distinct et sui generis en cas de procréation médicalement assistéehétérologue) ; le volume II : Accès aux origines et parentalité, propositions pour une loi famille veut accorder davantage de garanties aux droits des tiers et de l'enfant, aujourd'hui restreintes selon elle par la confusion entretenue entre existence sociale et filiation dans le débat public[15].
Elle reconnaît que divers courants s'affrontent au sein du féminisme et se réclame du féminisme universaliste, qui refuse d'assigner les individus à une différence, qu'elle oppose au féminisme différentialiste, qui met l'accent sur les différences réelles ou supposées (« par exemple : les femmes sont censées incarner l'amour de la paix quand les hommes incarnent l'amour de la guerre »[1]).
Marie-Thérèse Meulders-Klein (dir.) et Irène Théry (dir.), Les recompositions familiales aujourd'hui, Paris, Nathan, coll. « Essais et recherches », , 350 p. (ISBN978-2-09-190421-4)
Marie-Thérèse Meulders-Klein (dir.) et Irène Théry (dir.), Quels repères pour les familles recomposées ? : Une approche pluridisciplinaire internationale, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société », , 225 p. (ISBN978-2-275-00324-5)
Irène Théry (dir.), Malaise dans la filiation, Paris, Esprit, (lire en ligne)
Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui : Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Rapport à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux ministre de la Justice, Paris, Éditions Odile Jacob, , 413 p. (ISBN978-2-7381-0644-5, lire en ligne)
« autour d'un livre la distinction de sexe. une nouvelle approche de l'égalité « famille et distinction de sexe : une approche relationnelle » conférence-débat dans le cadre des universités des familles, le », Recherches familiales, vol. 1, no 6, , p. 143-161 (DOI10.3917/rf.006.0143)
Irène Théry, « Réponse d'Irène Théry », Travail, genre et sociétés, no 21, , p. 181-187 (DOI10.3917/tgs.021.0181)
Irène Théry et Pascale Bonnemère, La dimension sexuée de la vie sociale, Paris, Éditions de l’EHESS, coll. « Enquête »,
Irène Théry, Qu'est-ce que la distinction de sexe ?, Bruxelles, Yapaka, coll. « Temps d'arrêt », , 52 p. (ISBN978-2-84922-124-2, lire en ligne)
Irène Théry (dir.), Mariage des personnes de même sexe et filiation : le projet de loi au prisme des sciences sociales, Paris, Éditions de l’EHESS, coll. « Cas de figure », , 148 p. (ISBN978-2-7132-2413-3)
Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, Filiation origines parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Paris, Odile Jacob, , 382 p. (ISBN978-2-7381-3177-5, lire en ligne)
Irène Théry, Mariage et filiation pour tous : Une métamorphose inachevée, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La république des idées », , 122 p. (ISBN978-2-02-127985-6)
Irène Théry, « Sur quelques paradoxes du PACS français », dans François Dermange, Céline Ehrwein, Denis Müller, La reconnaissance des couples homosexuels : enjeux juridiques, sociaux et religieux, Labor et Fides, (ISBN978-2-8309-0978-4), p. 25-35
Irène Théry, « De la question de la maternité à celle de la mixité », dans Yvonne Knibiehler (dir.), Maternité, affaire privée, affaire publique, Bayard, (ISBN978-2-227-13934-3)
Irène Théry, « L’énigme de l’égalité. Mariage et différence des sexes dans À la recherche du Bonheur », dans Sandra Laugier et Marc Cerisuelo (dir.), Stanley cavell, cinéma et philosophie, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, (ISBN978-2-87854-216-5), p. 67-93
Irène Théry, « Au-delà de la transgression. Pour une approche socio-anthropologique des mutations de la famille et de la sexualité », dans Gilbert Diatkine, Jean-Claude Arfouillaux, Annette Fréjaville et Auguste N'Guyen (dir.), Éducation et maltraitance, PUF, coll. « Monographies de la psychiatrie de l’enfant », (ISBN978-2-13-052148-8)
Irène Théry, « La vie familiale : la question des définitions », dans Frédéric Sudre (dir.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Paris/Bruxelles, Bruylant, (ISBN978-2-8027-1640-2)
Irène Théry, « Les trois révolutions du consentement ; pour une approche socio-anthropologique de la sexualité », dans (coll.), Les soins obligés ou l’utopie de la triple entente, Actes du XXXIIIe congrès de la société française de criminologie, Dalloz, (ISBN978-2-247-05015-4)
Irène Théry, « Division des sexes/division par sexes : sur une leçon de Marcel Mauss », dans Dominique Fougeyrollas-Schwebel, Christine Planté, Michèle Riot-Sarcey, Claude Zaidman (dir.), Le genre comme catégorie d’analyse, Paris, L’Harmattan, coll. « Bibliothèque du féminisme », (ISBN978-2-7475-4639-3)
Irène Théry, « L’individu comme valeur et l’institution des liens de parenté ; éléments pour une sociologie des débats éthiques sur la famille », dans Monique Canto-Sperber (dir.), Éthique d’aujourd’hui, PUF, (ISBN978-2-13-054304-6)
Irène Théry, « Différence des sexes, homosexualité et filiation », dans Martine Gross (dir.), Homoparentalités : État des lieux, Paris, Érès, coll. « La vie de l’enfant », (ISBN978-2-7492-0388-1), p. 151-178
Irène Théry, « Le genre : identité des personnes ou modalité des relations sociales ? : Une controverse importante à la croisée des sciences sociales et de la philosophie », dans Michel Dugnat (dir.), Féminin, masculin, bébé, Paris, Érès, (ISBN978-2-7492-1368-2, DOI10.3917/eres.dugna.2011.01.0105), p. 105-136
Articles
1997
Irène Théry et Marianne Schulz, « Le contrat d'union sociale en question », Esprit, no 236, , p. 159-211 (lire en ligne)
Caroline Fourest et Irène Théry, « L'ordre symbolique selon Irène Théry », ProChoix, no 7, , p. 6-8 (lire en ligne)
Lucien Degoy et Irène Théry, « Irène Théry : avec le PACS, il n'y a pas loin du compromis au renoncement », L'Humanité, (lire en ligne)
Jean-Pierre Michel et Irène Théry, « Vers des concubins de première et seconde classe ? : un débat entre Jean-Pierre Michel, rapporteur de la proposition de loi, et la sociologue Irène Théry », Le Nouvel Observateur, no 1767, , p. 12-13
1999
Irène Théry, « Pacs, sexualité et différence des sexes », Esprit, no 257, , p. 139-181 (lire en ligne)
Jacqueline Remy et Irène Théry, « L'union libre est un choix positif », L'Express, (lire en ligne)
2001
(en) Claude Martin et Irène Théry, « The PACS and marriage and cohabitation in France », International Journal of Law, Policy and the Family, vol. 15, no 1, , p. 135-158 (DOI10.1093/lawfam/15.1.135, lire en ligne)
Irène Théry, « Peut-on parler d’une crise de la famille ? : Un point de vue sociologique », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, vol. 49, no 8, , p. 492-501 (DOI10.1016/S0222-9617(01)80062-3)
2002
Irène Théry, « Le nom, entre préséance et préférence », Travail, genre et sociétés, no 7, , p. 189-197 (DOI10.3917/tgs.007.0189) (article paru simultanément in Esprit, février)
2003
Irène Théry, « Des manières de distinguer les sexes : une lecture de l’ouvrage “Sexe relatif, sexe absolu ?” », Esprit, no 294, , p. 90-106 (lire en ligne)
Irène Théry, « Les Françaises entre sphère privée et sphère publique », Nichifutsu Bunka, Tokyo, la Maison franco-japonaise, no 69, (lire en ligne)
Irène Théry, « De l’identité substantielle à l’identité narrative : la question du genre », Identités, , p. 107-117 (DOI10.3917/eres.ain.2009.01.0107)
Irène Théry, « L’anonymat des dons d’engendrement est-il vraiment « éthique » ? », Esprit, , p. 133-164 (DOI10.3917/espri.0905.0133)
Irène Théry et Agnès Noizet, « Procréations assistées, secret, accès aux origines », Esprit, , p. 77-81 (DOI10.3917/espri.0905.0077)
2010
Irène Théry et Marc-Olivier Padis, « Bioéthique et anonymat des dons : le projet Bachelot esquive l’essentiel », Esprit, , p. 171-175 (DOI10.3917/espri.1011.0171)