Ce concept ayant pour objectif de pallier les insuffisances des propriétés des nombres, est formalisé par la notion d'idéal, à la suite des travaux de Richard Dedekind. Il existe plusieurs propriétés pour caractériser les différents idéaux. Dans les cas simples où l'anneau est principal, tout idéal correspond à un élément de l'anneau, et les idéaux premiers correspondent aux éléments de l'anneau qui sont « premiers » au sens où, comme les nombres premiers, ils vérifient le lemme d'Euclide : tout élément premier qui divise un produit divise l'un des deux facteurs. Dans un anneau factoriel, cette notion d'élément premier coïncide avec celle d'élément irréductible, caractérisation plus usuelle des nombres premiers par le fait que dans toute décomposition en deux facteurs, l'un au moins est inversible. Dans les cas plus complexes, comme les anneaux de Dedekind, le concept d'idéal premier reste opérationnel, alors que celui d'élément premier perd largement sa puissance opératoire.
Les variétés algébriques sont les objets de base de la géométrie algébrique. Elles correspondent à une géométrie définie par des équations algébriques. Un des buts de la géométrie algébrique est le classement des différentes variétés. La notion d'idéal premier est à la base de la décomposition des variétés en variétés irréductibles.
De même qu'un polynôme peut être étudié sous l'angle de l'idéal associé de l'anneau des polynômes, une variété algébrique peut être définie par l'idéal des polynômes qui s'annulent sur cette variété. Une variété est alors parfaitement classée par la donnée des idéaux premiers de polynômes qui s'annulent sur elle. À chaque idéal premier correspond une sous-variété irréductible.
L'association de la géométrie et de l'arithmétique ouvre la voie à la démonstration de nombreux théorèmes. Elle est, par exemple, à la base de la démonstration du grand théorème de Fermat par Andrew Wiles en 1994.
Définitions
Idéal premier
Soit A un anneau commutatif unitaire. Un idéal I de A est dit :
premier si le quotient A/I est intègre. En particulier :
tout idéal premier de A est propre, c'est-à-dire différent de A (en effet, l'anneau nul n'est par définition pas intègre),
l'idéal nul est premier si, et seulement si, A est intègre ;
On dispose de la caractérisation suivante des idéaux premiers :
Un idéal propre I de A est premier si et seulement si
Cette proposition rappelle le lemme d'Euclide qui s'énonce ainsi : « si un entier supérieur à 1 est premier, chaque fois qu'il divise un produit, il divise l'un des facteurs ».
De manière équivalente :
Un idéal propre est premier si et seulement si chaque fois qu'il contient le produit de deux idéaux, il contient l'un ou l'autre.
Cette propriété peut être affinée :
Un idéal propre est non premier si et seulement s'il existe deux idéaux dans lesquels il est strictement contenu et dont il contient le produit.
Démonstrations
Soit I un idéal propre (c'est-à-dire distinct de A), autrement dit A/I est différent de l'anneau nul.
Première caractérisation : I est premier si et seulement si A/I est intègre, c'est-à-dire si et seulement si
Mais dire que a.b est nul dans A/I revient à dire que a.b appartient à I, et de même, dire que a ou b est de classe nulle revient à dire qu'il appartient à I. On en déduit la première caractérisation des idéaux premiers.
Si I est premier et ne contient ni l'idéal J, ni l'idéal K, alors il ne contient pas leur produit : En effet, il existe dans ce cas a (resp. b) élément de J (resp. de K) non éléments de I. Alors a.b est un élément de J.K qui ne peut être élément de I car I est premier.
Si I n'est pas premier alors il existe deux idéaux J et K tels que I contienne le produit J.K mais soit strictement contenu dans J et K (donc ne contienne ni l'un ni l'autre) : En effet, dans ce cas, il existe dans l'anneau deux éléments a et b n'appartenant pas à I mais dont le produit appartient à I. Les idéaux J=I+(a) et K=I+(b) contiennent alors strictement I, tandis que le produit J.K est inclus dans I.
Par conséquent, tout idéal premier est irréductible : s'il est égal à l'intersection de deux idéaux alors il est égal à l'un ou l'autre (puisqu'il contient leur produit et qu'il est premier).
La définition d'élément premier de ℤ correspond donc à la définition usuelle de nombre premier aux inversibles près (dans ℤ, les éléments inversibles sont 1 et –1). Or tout idéal de ℤ est « associé » à deux entiers : un entier naturel et son opposé. Par convention, on choisit, comme générateur canonique de l'idéal, celui des deux qui est positif. Cette convention fournit une bijection entre idéaux premiers non nuls et nombres premiers, et permet une expression plus simple du théorème fondamental de l'arithmétique.
Anneau des polynômes
Polynômes à coefficients dans un corps
L'anneau K[X] des polynômes (en une seule variable) à coefficients dans un corps K est, comme ℤ, euclidien donc principal : tout idéal est composé des multiples d'un polynôme unitaire, et les idéaux premiers non nuls sont en bijection avec les polynômes premiers unitaires.
Cependant, la tradition est de parler plutôt de polynômes irréductibles que de polynômes premiers : d'après la définition ci-dessus, un polynôme de K[X] est irréductible si, et seulement s'il est non constant et si toute décomposition en deux facteurs contient un élément inversible.
En fait, ces deux notions coïncident dans cet anneau de polynômes, de même que dans celui des entiers. Cet état de fait est général dans les anneaux intègres à PGCD, en particulier (cf. infra) les anneaux principaux.
(f) où f est un polynôme irréductible (éventuellement constant) ;
(p, f) où p est un nombre premier et f un polynôme unitaire irréductible modulo p.
Anneau des entiers de Gauss
Les entiers de Gauss forment un anneau euclidien. À chaque idéal correspond une classe d'association engendrant l'idéal, les notions d'idéaux premiers non nuls correspondent aux nombres premiers de Gauss, les éléments premiers – ou : irréductibles – de l'anneau.
Propriétés
Idéaux principaux premiers et éléments premiers dans un anneau
Si p est un élément non nul d'un anneau principal, les propositions suivantes sont équivalentes :
(p) est premier ;
p est premier ;
p est irréductible ;
(p) est maximal.
Preuve plus élémentaire
On démontre une boucle d'implications 1 ⇒ 2 ⇒ 3 ⇒ 4 ⇒ 1, dont nous détaillerons seulement les deux plus délicates.
2 ⇒ 3 : soient a et b deux éléments de A tels que p = ab, alors 2 nous apprend que p divise soit a soit b, en conséquence (puisque p est non nul et que A est intègre) p est associé soit à a soit à b et l'autre facteur est inversible.
3 ⇒ 4 : tout idéal contenant (p) est engendré par un diviseur de p, donc est engendré soit par 1, soit par p. En conséquence, les deux seuls idéaux contenant (p) sont A et (p), ce qui est la définition d'un idéal maximal.
Image réciproque
Si ψ est un morphisme d'anneaux (commutatifs et unitaires) de A dans B, et P un idéal de B, on sait que l'image réciproqueQ de P par ψ est un idéal de A. Dans ces conditions, si P est premier alors Q aussi.
Démonstration
A/Q est intègre car :
A/Q n'est pas l'anneau nul, autrement dit Q n'est pas A tout entier, car il ne contient pas 1A puisque ψ(1A) = 1B n'appartient pas à P ;
A/Q est isomorphe à un sous-anneau de B/P donc est, comme lui, sans diviseur de zéros.
Cette propriété s'applique souvent au cas où A est un sous-anneau de B, le morphisme ψ étant alors simplement l'injection canonique. Elle se formule alors ainsi :
Si A est un sous-anneau de B et P un idéal premier de B alors P∩A est un idéal premier de A.
On définit le nilradical d'un anneau commutatif unitaire A comme l'ensemble de ses éléments nilpotents. On dispose alors de l'énoncé suivant (dont la preuve utilise le lemme de Zorn) :
Le nilradical d'un anneau non nul est l'intersection de tous ses idéaux premiers.
Plus généralement, on en déduit par un passage au quotient que :
Le radical d'un idéal propre I est l'intersection des idéaux premiers contenant I.