La construction des Forts-de-Lévis a débuté en 1865 sous le régime britannique en prévision d'une éventuelle attaque américaine. À cette époque, la guerre de Sécession vient tout juste de se terminer aux États-Unis. Le Canada est, à l'époque, toujours une colonie britannique. Sa défense est donc responsabilité de la couronne britannique.
La paix est fragile. La Grande-Bretagne craint que l'armée de l'Union (États du Nord) envahisse le Canada pour récupérer le terrain qui aurait été perdu aux Confédérés (États du Sud) lors de la guerre civile. L'Angleterre se dit neutre durant le conflit même si elle maintient l'important commerce de coton avec les États du sud. En effet, les manufactures de textiles britanniques dépendent grandement de l'approvisionnement en coton dans le sud des États-Unis.
En Europe
De plus, une guerre menace d'éclater en Europe entre la Prusse et l'Autriche. Dans l'éventualité de ce conflit, les Britanniques prévoient que l'accès à la mer Baltique pourrait être bloqué, ce qui couperait l'approvisionnement en bois de la Grande-Bretagne. Dans cette optique, les forêts canadiennes deviendraient le fournisseur principal de bois des îles Britanniques.
Commission Gordon
En 1862, la Commission Gordon enquête sur la défense du Canada et en vient à la conclusion que des ouvrages défensifs doivent être construits sur les hauteurs de Lévis pour défendre la ville de Québec. Le Lieutenant-colonel W.F.D. Jervois étudie la situation pour établir le plan de défense. Selon les plans d'origines, 5 forts devaient être construits sur la pointe Lévy. Cependant, ce chiffre sera réduit à quatre, et seulement trois forts seront construits par les Britanniques à la Pointe-Lévy.
Frais de construction
L'Angleterre craint des représailles de la part des États du nord et décide de financer la construction de trois forts détachés sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Ce sont les contribuables britanniques qui paieront la facture évaluée à non loin de 200 000 livres sterling, un équivalent d'un million de dollars de l'époque. Le Canada ne déboursera pas de frais pour la construction des Forts-de-Lévis. Ces forts feront partie intégrante du système de défense de la ville de Québec.
Expropriations des terres
Les propriétaires des terrains utilisés pour la construction du fort ont dû être expropriés. Ces terres étaient utilisées à des fins agricoles. Les montants alloués aux anciens propriétaires étaient inférieurs à leur valeur réelle. Certains terrains expropriés n'ont pas été utilisés par les Britanniques et ont même ensuite été loués à leurs anciens propriétaires à des fins de pâturage.
Les 3 forts
Les Forts de Lévis sont une série de trois forts détachés située à Lévis au sud de la Ville de Québec. Chacun des trois forts est à portée de tir du fort adjacent. Ce système de forts détachés permet de défendre une grande superficie sans avoir recours à des remparts ou des murs continus comme on peut les observer dans la ville de Québec, de l'autre côté du fleuve Saint-Laurent. Cette technique de défense est beaucoup moins coûteuse que la précédente. De plus, chaque fort est indépendant. L'ennemi qui attaquerait une série de forts détachés devrait envahir chacun des forts. Les Forts-de-Lévis étaient autrefois reliés entre eux par un chemin couvert. Cette tranchée était utilisée pour la communication entre les trois forts. Elle n'est plus visible aujourd'hui malheureusement. Le Fort no 1 est situé dans le secteur Lauzon, le no 2 était situé dans l'ancienne Ville de Lévis (près du terrain du Golf de Lévis) et le no 3 est situé dans le secteur de l'ancienne Ville de St-David-de-l'Auberivière.
Le Fort no 1 a été construit par l'armée britannique tandis que la construction des deux autres forts a été confiée aux frères Worthington, une entreprise privée. On voulait ainsi comparer les coûts des deux façons de procéder. La construction des forts de Lévis n'a pas créé autant d'emploi que l'espéraient les gens de Lévis, car les employés travaillant à la construction sont des soldats britanniques ou des ouvriers ontariens que les frères Worthington emploient.
Les différences entre les trois forts sont illustrées dans le tableau suivant, directement tiré du livre «Le Fort No 1 de la pointe Lévy» de Lise Légaré.
Des Chiffres qui parlent
FORT no 1
FORT no 2
FORT no 3
Main d'œuvre principale
militaire
civile
civile
Début des travaux
Fin des travaux
été 1872
été 1869
été 1869
Coût des travaux en livres sterling
59 762 livres
57 600 livres
58 909 livres
Équivalent en dollars de l'époque
299 000 $
289 500 $
294 500 $
Forme du fort
pentagone
rectangle
rectangle
Nombre de caponnières
quatre
quatre
quatre
Nombre de casemates
12
15
15
Garnison prévue
144 hommes
170 hommes
170 hommes
Emplacement à l'époque
Mount Pleasant
Spruce Cliff
Lemure
Ce qu'il reste en l'an 2023
fort presque entièrement restauré
emplacement du siège social des Assurances du mouvement Desjardins
Le Fort no 1 a été restauré par Parcs Canada en 1972 et est aujourd'hui ouvert aux visiteurs. Le Fort no 1 est celui situé le plus à l'est dans le secteur de l'ancienne Ville de Lauzon qui était nommée à l'époque St-Joseph-de-Lévis. Il est près de la rue Mgr-Bourget à proximité du Cégep Lévis-Lauzon. Sa position lui permet d'avoir à sa portée le chenal de l'Île d'Orléans, dans le fleuve Saint-Laurent. Le contrôle du trafic maritime était nécessaire pour la défense des villes de Québec, de Lévis ainsi que du port de Québec. Sa position, plus haute en altitude que la Citadelle de Québec, lui permet d'avoir une vue sur les alentours. Sa forme de pentagone irrégulier diffère des 2 autres forts.
12 casemates
Le Fort no 1 est composé de 12 casemates. Chaque casemate devait abriter 12 soldats, pour un total de 144 soldats casernés. Toutes les casemates ont des murs de pierre et des plafonds voutés en briques. Malgré la complexité de construction de voûtes, cette forme demeure l'une des plus résistantes. C'est pour cette raison qu'elle sera utilisée pour les plafonds du Fort no 1.
Fossé
Le fossé entourant le fort ainsi que le système de caponnières assurait la défense du fort. Le fossé sec du Fort no 1 avait une profondeur de 5 mètres. Aujourd'hui, même après la restauration effectuée par Parcs Canada, le fossé n'atteint pas cette profondeur. Bien qu'aujourd'hui recouvert de gazon, le fond du fossé d'époque était directement sur le roc. Cela provoquait différents problèmes de drainage.
Pierre utilisée
La pierre utilisée dans les murs du fort est une pierre de grès. Celle-ci était extraite d'une carrière située dans la région de Lévis, sur la rive sud. La pierre est taillée à la main par des tailleurs de pierre. Les plafonds des casemates sont quant à eux, construits de briques.
4 Caponnières
Les 4 caponnières assuraient la défense du fort. Il s'agissait de pièces souterraines où des caronades étaient stratégiquement placées afin de défendre entièrement le fossé. La caponnière de tête était située à l'avant du fort et celle de gorge, à l'arrière. Les caponnières de droite et de gauche étaient situées dans ces directions respectives. Des galeries de tir, accompagnées des caronades éliminaient tout angle mort dans le fond du fossé. Seules les caponnières de droite et de gorge sont aujourd'hui ouvertes au public.
Chaque caponnière contenait également une poudrière miniature, permettant d'entreposer une quantité raisonnable de poudre noire et de cartouches en cas d'attaque.
Porte d'entrée et pont roulant
La seule porte d'entrée du fort est à l'arrière où se trouve le pont roulant. Le pont roulant tient sur deux rails de chemin de fer. Il était possible de tirer le pont à l'intérieur du fort et de le ressortir lorsque nécessaire. L'accès au fort devenait donc beaucoup plus difficile. Un puissant treuil et la force de plusieurs hommes était nécessaire.
Poudrière
La poudrière avait une capacité de 600 à 700 barils de poudre noire. Cette dernière était importée directement de Grande-Bretagne et apportée par bateau jusqu'à Lévis. Le Fort no 1 contenait la poudre des trois forts de Lévis. L'éclairage de la poudrière était assuré par une lanterne placée derrière une fenêtre, assurant ainsi la sécurité de la pièce et du fort tout entier. Un système de Lazy-Susan permettait de transférer la poudre noire de la poudrière vers la salle de transvidage (où les cartouches et les gargousses de poudre sont fabriquées).
La poudrière est entourée par un étroit tunnel d'aération. Ce dernier a pour fonction d'absorber l'humidité de l'air sur ses murs, afin de mieux conserver la poudre noire à l'intérieur. Le tunnel agit comme vide d'air et est relié à la poudrière à travers des conduits.
Canon Armstrong
La principale arme du Fort no 1 était le canon Armstrong. Ce canon rayé, à chargement par la culasse, fut apporté au fort en 1878, devant la menace de l'Alerte russe. Ce canon à chargement par la culasse est un exemplaire très rare. Le canon tire des obus côniques d'environ 45 kilos en utilisant une charge de poudre de 4 kilos. La plupart des canons Armstrong de ce modèle furent ensuite resoudés et ré-utilisés comme canons à chargement par la bouche. Le canon Armstrong du Fort no 1 n'a pas subi cette modification et conserve donc son apparence originale.
Camp des ingénieurs
Le camp des ingénieurs, situé au bas de la colline sur laquelle est construit le fort, abritait les ingénieurs étant affectés à la construction du Fort no 1 ainsi que leurs familles. Ce véritable petit village militaire contenait école, chapelle et la plupart des services nécessaires que l'on retrouverait dans n'importe quel village. Plusieurs soldats, quant à eux, résidaient chez l'habitant de Lévis. Le camp était situé sur l'actuel Parc de la Paix qui contient la Marre à Pompon.
Le Fort no 2
Le Fort no 2 était de forme rectangulaire. Ses 15 casemates pouvaient caserner 180 hommes. Le Fort no 2 a été démoli en 1963. Avant sa démolition, ses casemates humides étaient utilisées pour la culture des champignons. Le fort a également été utilisé pour l'entreposage des munitions. Le champ de parade servait également de terrain de baseball à la population locale avant que le terrain soit racheté par la Coopérative Desjardins[2]. Les bâtiments de la coopérative sont visibles aujourd'hui sur un des points les plus géographiquement élevés de la ville de Lévis.
Bien que le fort n'existe plus, il est possible de visualiser sa forme par vue satellite à l'aide de logiciels tels que Google Earth, Virtual Earth ou sur WikiMapia.
Le Fort no 3
Le Fort no 3 était de même forme et de même taille que le Fort no 2. Ils étaient construits avec des plans semblables. Tous deux avaient la même capacité de casernement de 180 hommes. Il existe toujours des vestiges du fort no 3. Ce dernier a été transformé en usine de béton qui elle aussi a fermé ses portes dans les années 1990. Certains tunnels du Fort no 3 sont aujourd'hui immergés. Les casemates de briques sont, pour la plupart, en état de décrépitude, même si elles tiennent toujours en place. Le fort n'est pas ouvert au public, car sa visite en est périlleuse et risquée.
Un plan de restauration a été examiné et les coûts de restauration s'estimeraient à plusieurs millions de dollars. Le site a finalement été démolis en 2016 après plusieurs années de combats juridiques[1]. La dangerosité du site était évoquée par le propriétaire de l'époque, André Fortin, même si le Groupe d'initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) défendait que les voûtes étaient encore en parfait état[3].
Il n'y a jamais eu de guerre qui justifia l'utilisation des Forts-de-Lévis. Cette absence de combat explique pourquoi on a conservé les numéros des forts pour leurs noms. En effet, la signature du Traité de Washington, en 1871, met fin à la possibilité d'hostilité entre l'Angleterre et les États-Unis. Ce traité intervient avant même la fin de la construction du Fort no 1. Les forts n'auront donc jamais à défendre Québec d'une invasion américaine. Par contre, les forts auront servi pour l'entraînement des nouvelles armées canadiennes et pour entreposer des munitions. On y entraînait la milice canadienne pendant la Première Guerre mondiale dans les trois forts.
Aujourd'hui, les Forts-de-Lévis sont un Lieu historique national du Canada et le Fort no 1 est ouvert aux visiteurs. Différents événements s'y produisent annuellement, notamment en août, le spectacle du Concert au Crépuscule où la musique du Royal 22e Régiment est accompagnée de pièces pyrotechniques et de canons d'artillerie du 6e régiment d'artillerie de campagne de Lévis.
Anecdote
Lors de la construction du Fort Numéro-Un (entre 1865 et 1872), le curé Joseph-Honoré Routier de la paroisse Saint-Joseph-de-Lévis, donna une autorisation pour que les militaires anglais et écossais puissent faire leur dévotion dans la chapelle processionnelle Sainte-Anne située sur la rue Saint-Joseph à quelques mètres de l'église paroissiale. À cette époque, il n'existait pas un lieu de culte pour les Anglicans ou les Protestants dans le secteur du futur village de Lauzon qui va naître en 1867.