Formule de Weizsäcker

La formule de Weizsäcker, appelée aussi formule de Bethe-Weizsäcker, est une formule semi-empirique donnant une valeur approximative de l'énergie de liaison nucléaire B caractérisant la liaison entre les nucléons qui constituent le noyau des atomes (voir un résumé dans Modèle de la goutte liquide).

Histoire

L'éponyme de formule de Weizsäcker[1] est le physicien allemand Carl Friedrich von Weizsäcker (-) qui l'a proposée en [2],[3] dans un article publié dans le Zeitschrift für Physik[4],[5]. Les physiciens Hans Bethe (-) et Robert Bacher (-) en ont simplifié l'expression en [2],[3],[6],[7]. Le physicien Eugene Wigner (-) l'a généralisée en [2],[3],[6],[8]. En , Niels Bohr (-) et John Wheeler (-) y ont introduit le terme [9],[10].

Expression


où :

Remarques :

Dans le terme coulombien, est souvent remplacé par [11],[13],[21] car [22].

Dans certaines formules, le terme d'appariement varie en plutôt qu'en [23].

Les valeurs des constantes utilisées sont (en MeV) :

  • av = 15,56
  • as = 17,23
  • ac = 0,7
  • aa = 23,6
  • ap = 11,2
Courbe représentant l'énergie de liaison par nucléon en fonction du nombre de nucléons dans le noyau.

Il existe différents jeux de paramètres pour la formule de Weizsäcker. Le choix du jeu de paramètres se définit en fonction des noyaux étudiés. Ainsi certains jeux de paramètres donneront des énergies de liaison plus précises pour les noyaux stables tandis que d'autres jeux donneront des résultats plus satisfaisant pour les noyaux exotiques.

Cette formule permet d'expliquer avec une bonne approximation la courbe d'Aston (ci-contre), qui représente l'énergie de liaison par nucléon en fonction du nombre de nucléons dans le noyau. C'est une courbe expérimentale car chaque énergie de liaison y est calculée à partir de la masse du noyau atomique mesurée par spectrométrie de masse.

Explication des différents termes

La formule de Bethe-Weizsäcker fait apparaitre cinq termes :

.
Illustration des termes de la formule de Bethe-Weizsäcker dans le modèle de la goutte liquide du noyau atomique. Les protons sont représentés par les ronds rouges et les neutrons par les ronds blancs.
Illustration des termes de la formule de Bethe-Weizsäcker dans le modèle de la goutte liquide du noyau atomique. Les protons sont représentés par les ronds rouges et les neutrons par les ronds blancs.

Pour expliquer ces différents termes, il faut supposer que le noyau est sphérique, de rayon . Et comme il est compact (son volume est proportionnel au nombre de nucléons A), alors est proportionnel à .

Énergie de volume

Pour expliquer le premier terme, on peut utiliser une analogie avec un gaz parfait pour lequel l'énergie interne est proportionnelle au nombre de particules constituant le gaz. Ainsi, on pose que cette énergie de volume est proportionnelle à A. Elle permet d'expliquer les forces nucléaires de courtes portées, et la saturation des forces nucléaires :
.

Énergie de surface

La notion de tension de surface (ou superficielle) d'une goutte liquide peut être utilisée pour interpréter le second terme. Intuitivement, les nucléons à la surface du noyau sont en contact avec moins de nucléons que ceux du centre, l'énergie de liaison en est donc diminuée, à l'instar (sans que ce soit le même phénomène physique en jeu) de ce qu'il se passe à une interface liquide/gaz telle qu'une goutte d'eau dans l'air.

En introduisant comme le second terme de la formule, on prouve, en première approximation, que la surface du noyau est proportionnelle à .

Pour cela, on approxime que le volume du noyau est proportionnel au nombre de nucléons. Il s'agit d'une approximation courante[24] :

Avec le rayon moyen d'un nucléon.

La surface d'une sphère de rayon étant , en remplaçant par son approximation, on obtient :
D'où,

Répulsion électrostatique

Les protons étant tous chargés positivement, ils se repoussent mutuellement. Cela participe à diminuer l'énergie de liaison par un terme de répulsion électrostatique . Dans une approximation grossière, le noyau peut être considéré comme une sphère avec une densité de charge uniforme. L'énergie potentielle d'une telle distribution de charge est donnée par :

est la charge totale, le rayon de la sphère. En identifiant à et en prenant le rayon proportionnel à , on obtient la forme du terme coulombien. Cependant, la répulsion coulombienne n'existe que lorsqu'il y a plus d'un proton ce qui induit que devient . La valeur de peut être calculée approximativement en utilisant l'équation ci-dessus :

L'énergie potentielle de la distribution de charge est donc :

La constante du terme de répulsion électrostatique est :

Une autre valeur de peut être obtenue en utilisant la constante de structure fine :

est la constante de structure fine, , le rayon du noyau avec qui vaut approximativement 1,25 femtomètres. Cela donne une valeur théorique de de 0,691 MeV ce qui est peu éloigné des valeurs mesurées.

Énergie d'asymétrie

La répulsion électrostatique étant en compétition avec l'interaction forte pour stabiliser le noyau, les noyaux lourds ont besoin d'un surplus de neutrons afin que cette interaction forte contrebalance l'effet de la répulsion électrostatique. Il y a donc une asymétrie du nombre de neutrons par rapport au nombre de protons. Cela n'a, a priori, aucun autre effet sur l'énergie de liaison que ceux qui ont été étudiés plus haut. En réalité, un effet quantique va jouer un rôle : les nucléons se trouvent sur des niveaux d'énergie, ce qui fait qu'un surplus de neutrons va augmenter leur énergie. On obtient alors que l'effet sur l'énergie de liaison s'écrit : .

Énergie d'appariement

Un deuxième effet quantique joue un rôle dans l'énergie de liaison : les nucléons ayant un spin demi-entier ont tendance à s'apparier deux à deux, pour se grouper préférentiellement en nombre pair. Ainsi, un nombre impair de neutrons ou de protons sera moins stable.
Une formule empirique permet de rendre compte de cet effet en ajoutant à l'énergie de liaison une énergie d'appariement (ou de parité) ayant différentes valeurs selon qu'il y a un nombre pair ou impair de nucléons, neutrons ou protons :

Les noyaux ayant un nombre pair de nucléons, neutrons et protons sont plus stables que ceux ayant un nombre impair de nucléons, eux-mêmes plus stables que ceux ayant un nombre pair de nucléons et impair de neutrons et protons, donc l'énergie de liaison varie en conséquence.

Utilisation de la formule

Équation de la vallée de la stabilité

Pour un nombre de masse donné A, on s'aperçoit que la formule de Bethe-Weizsäcker fournit une équation quadratique en fonction de la charge Z. On a ainsi :

Par définition, les noyaux stables sont définis comme étant des noyaux qui maximisent l'énergie de liaison . Ainsi en cherchant les valeurs de qui annulent la dérivée par rapport à , on peut obtenir une équation donnant les noyaux de la vallée de stabilité.

Améliorations

De nombreux modèles ont par la suite tenter de raffiner le modèle de la goutte liquide proposé initialement par Carl Friedrich von Weizsäcker en introduisant de nouveaux paramètres afin de reproduire plus finement les masses mesurées expérimentalement.

Modèle de la gouttelette liquide

Ce modèle a été proposé par William D. Myers et Wladyslaw J. Swiatecki dans les années 1970. Il ajoute deux paramètres supplémentaires au modèle de la goutte liquide, à savoir la compressibilité de la matière nucléaire et l’asymétrie locale proton-neutron[25].

Modèle de Duflo–Zuker

Proposé initialement en 1995 par Jean Duflo et Andres Zuker[26] puis raffiné en 1999[27].

Notes et références

  1. Taillet, Villain et Febvre 2018, s.v.Weizsäcker (formule de), p. 785-786.
  2. a b et c Pfalzner 2006, B.4, p. 217.
  3. a b c d et e Taillet, Villain et Febvre 2018, s.v.Weizsäcker (formule de), p. 786, col. 1.
  4. Wapstra 1958, § 15, p. 26, n. 1.
  5. Weizsäcker 1935.
  6. a et b Wapstra 1958, § 15, p. 26.
  7. Bethe et Bacher 1936.
  8. Wigner 1937.
  9. Wapstra 1958, § 15, p. 26, n. 3.
  10. Bohr et Wheeler 1939.
  11. a b c et d Le Sech et Ngô 2014, chap. 2, § 2.9, p. 30.
  12. Mayet 2017, chap. 2, § 2.1, p. 41, 1).
  13. a et b Reuss 2003, chap. 2, § 2.2.4, p. 49.
  14. Mayet 2017, chap. 2, § 2.1, p. 42, 2).
  15. Reuss 2003, chap. 2, § 2.2.4, p. 49-50.
  16. Mayet 2017, chap. 2, § 2.1, p. 42, 3).
  17. a b et c Reuss 2003, chap. 2, § 2.2.4, p. 50.
  18. Le Sech et Ngô 2014, chap. 2, § 2.9, p. 30-31.
  19. Mayet 2017, chap. 2, § 2.1, p. 42-43, 4).
  20. Mayet 2017, chap. 2, § 2.1, p. 43, 5).
  21. Taillet, Villain et Febvre 2018, s.v.Weizsäcker (formule de), p. 785, col. 2.
  22. Khater 2009.
  23. Le Sech et Ngô 2014, chap. 2, § 2.9, p. 31.
  24. « Le noyau atomique », sur www.sciences-en-ligne.com (consulté le )
  25. Guy Royer, Contribution à la description macroscopique des phénomènes nucléaires de fusion, fission et fragmentation (thèse de doctorat en physique nucléaire), (lire en ligne [PDF]), p. 14
  26. (en) J. Duflo et A.P. Zuker, « Microscopic mass formulas », Physical Review C, vol. 52,‎ , R23 (DOI 10.1103/PhysRevC.52.R23)
  27. (en) J. Duflo et A.P. Zuker, « Microscopic mass formulas », Physical Review C, vol. 59,‎ , R2347 (DOI 10.1103/PhysRevC.59.R2347)

Voir aussi

Bibliographie

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Publications originales

Manuels d'enseignement supérieur

Dictionnaires et encyclopédies

Articles connexes

Liens externes

  • [Khater 2009] Antoine Khater, « Introduction à la physique nucléaire », dans Ressources numériques pédagogiques pour la licence physique, (lire en ligne), § 2.10 (« Relation empirique pour l'énergie de liaison par nucléon ») (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • [Valentin n.d.] Luc Valentin, « Nucléaire (physique) : noyau atomique », dans Encyclopædia Universalis, n.d. (lire en ligne), § 2 (« Masse et énergie de liaison ») (lire en ligne).