À l'extrémité nord-ouest du pays d'Auge, ces falaises de 4,5 km de long et 100 m de haut se dressent comme un véritable musée à ciel ouvert tant par leur valeur didactique (profil en marche d'escaliers plus ou moins fortes en termes de reliefs accidentés, morphologie unique de badlands évoluant sous l'action combinée de processus subaériens et marin) que leur richesse paléontologique.
Toponyme
Le toponyme « Vaches Noires » désigne des blocs de craie ayant roulé du haut de la falaise sur l'estran, dont la couleur noire est due au varech qui s'y est fixé[2]. Ces masses sombres évoqueraient du haut des falaises ou du large un troupeau de vaches noires (qui ne seraient donc pas de race normande) paissant sur la plage. Au XIXe siècle, les pêcheurs de Trouville prenaient pour amers de navigation ces rochers qu'ils nommaient ainsi en opposition aux rochers du pied des falaises de Trouville qu'ils nommaient les Roches Noires[3].
Description du site
Les falaises des Vaches Noires sont constituées de falaises d'argile coiffées à leur sommet (altitude 110 m), d'une mince falaise de craie.
Cette zone est remarquable sur le plan géologique. Les marnes de l'Oxfordien, sous l'action du ruissellement des eaux de l'aquifère qui les surmonte, sont entaillées de profonds ravins. Ceux-ci sont parcourus de coulées boueuses qui avancent lentement vers la mer et contiennent des blocs de craie crétacée venus du sommet. À marée haute, les vagues attaquent le front des coulées, dégageant des fossiles extrêmement variés[4].
Géologie
La fracturation subverticale favorise le façonnement de murailles verticales formant des crêtes morcelées d'arêtes rocheuses (pinacles, aiguilles, et cheminées de fée qui sont des piliers d'argile coiffés de chapeaux de calcaire marneux).
Les falaises sont constituées de deux parties principales : une falaise externe, composée de marnes grises et de calcaires roux d'âge jurassique (Callovien et Oxfordien), et une falaise interne composée de craies blanchâtres d'âge crétacé (Cénomanien). Ces deux falaises sont séparées par une surface instable et fissurée (appelée « Chaos ») formant un replat plus ou moins large où de gros blocs de craies détachés de la falaise côtoient une végétation abondante[5].
Oxfordien inférieur (environ 162 millions d'années).
Calcaire d'Auberville
Épaisseur 6/15 m
Oxfordien moyen (environ 160 millions d'années)
Calcaire oolithique de Trouville » composé de calcaire oolithique et bioclastique, bioturbé, en bancs massifs entrecoupés de cordons de galets intraformationnels
Marnes et des calcaires bioclastiques détritiques à pelletoïdes ferrugineux
épaisseur 1/3 m
« Coral rag de Trouville ».
Altitude 100 m épaisseur 40/50 m
Crétacé (entre 130 et 100 millions d'années environ).
Couches de craie glauconieuse et de craie à spongiaires reposant sur un lit de sable glauconieux
Surface
Tertiaire (à partir de 66 millions d'années)
Argile à silex et limons des plateaux
Paléontologie
Le site des Vaches Noires est célèbre pour ses fossiles qui ont été signalés dès le début du XVIIIe siècle[7],[8].
Les couches inférieures des falaises recèlent des fossiles de nombreux reptiles, dont des crocodiliens (représentés par les genres Metriorhynchus, Steneosaurus et Tyrannoneustes)[9], des ichtyosaures et des plésiosauriens. Pour les dinosaures, la plupart des fossiles appartiennent aux Théropodes (dinosaures carnivores) comme Streptospondylus[10]. C'est notamment aux Vaches Noires que l'abbé Charles Bacheley (1716-1795) se procura les premiers restes de dinosaures trouvés en France [11],[12]. Ces ossements furent décrits par Georges Cuvier et sont d'un point de vue historique les plus anciens restes de dinosaures suffisamment complets pour être les types d'un nom valide de dinosaure.
Le site est classé zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type I, sous le no 250006507[17]. Du fait de l'extraction des fossiles dans les falaises et des risques d'éboulement et de la fragilité des masses argileuses, ce site est aujourd'hui protégé, par décret de classement en « site d’intérêt scientifique et paysager du département du Calvados » du 20 février 1995 du ministère de l’Environnement, au titre de la loi du 2 mai 1930[18]. Les falaises sont interdites au public par arrêté préfectoral. Elles peuvent s'observer par un itinéraire qui parcourt leur pied et n'est praticable qu’à marée basse[19].
Le ramassage des fossiles est toléré sur la grève au pied des falaises[20]. En 2022, un projet de réserve naturelle nationale des falaises jurassiques du Calvados prévoit que la collecte sur l'estran soit elle aussi hors la loi, soumise à dérogations, ce qui susciste des polémiques[21].
↑Brignon, A. (2015) Les débuts de la paléoichthyologie en Normandie et dans le Boulonnais. Fossiles, Revue française de Paléontologie21 : 43-62.
↑Brignon, A. (2017) Les « ossements pétrifiés » du Jurassique des Vaches Noires dans les cabinets d’histoire naturelle du XVIIIe et du début du XIXe siècles. L’Écho des Falaises, Association paléontologique de Villers-sur-Mer21 : 7-35.
↑Allain, R. (2001) Redescription de Streptospondylus altdorfensis, le dinosaure théropode de Cuvier, du Jurassique de Normandie. Geodiversitas23(3) : 349–367
↑Brignon, A. (2016) L’abbé Bacheley et la découverte des premiers dinosaures et crocodiliens marins dans le Jurassique des Vaches Noires (Callovien/Oxfordien, Normandie). Comptes Rendus Palevol15 : 595–605.
↑Brignon, A. (2016) Le premier "chasseur de dinosaures" en France : l'abbé Charles Bacheley (1716-1795). Fossiles: Revue française de Paléontologie27 : 36-42.
↑Recouverte de cristaux de pyrite qui apparaît doré quand il est frais (d’où son nom d'« or des fous »). La pyritisation est souvent masquée par une altération chimique : l'oxydation des ammonites au contact de l'eau de mer entraîne la formation d'oxydes de fer, qui donnent aux fossiles des teintes de couleur rouille cuivrée. Cf (en) A.P. Chandra, A.R. Gerson, « The mechanisms of pyrite oxidation and leaching: A fundamental perspective », Surface Science Reportsl, vol. 65, no 9, septembre, p. 293-315 (DOI10.1016/j.surfrep.2010.08.003).
Arnaud Guérin, Normandie sauvage. Découverte d'une région de pays, éditions Ouest-France, , p. 81-91
Thomas Roulland, Olivier Maquaire, Stéphane Costa, Vincent Compain, Robert Davidson et Mohand Medjkane, « Dynamique des falaises des Vaches Noires : analyse diachronique historique et récente à l’aide de documents multi-sources (Normandie, France) », Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol. 25, no 1, , p. 37-55 (DOI10.4000/geomorphologie.12989)
Patrice Lebrun, « Les falaises des Vaches noires, un gisement emblématique du jurassique à Villers sur mer, Normandie », Fossiles (Revue française de paléontologie), , HS n°4, p.16-27