Il naît dans la propriété familiale de Las Cases, commune de Blan dans le Tarn, près de Revel en Haute-Garonne. À l'âge de quatorze ans, il apprend le suicide de son père, François-Hyacinthe de Las Cases, rendu fou par une blessure de guerre à l’œil gauche[2],[3].
La Révolution française de 1789 cause son émigration, et il passe plusieurs années en Allemagne et en Angleterre, participant au désastre de l'expédition de Quiberon (1795). Il retourne à Londres, où il vit dans la pauvreté. Il réussit cependant à se faire engager comme tuteur pour les enfants de Lady Clavering, une dame d'origine française, de la région d'Angers. Il envisage un temps d'écrire des romans mais se décide pour l'histoire, et c'est ainsi qu'il compose un monumental Atlas historique en grand in-folio (55 × 34 cm), qu'il publie sous le nom d’emprunt de Le Sage[5],[6]. Augmenté de notices historiques, l'ouvrage est réédité à Paris et réimprimé à plusieurs reprises entre 1804 et 1845 environ[7].
Avec Napoléon
Il retourne clandestinement en France pendant le Consulat avec d'autres royalistes qui rallient Napoléon Ier, et qui feront plus tard allégeance à l'Empereur. Il épouse son amie d'enfance Henriette de Kergariou, fille de Pierre-Joseph de Kergariou (décédé à Quiberon en 1795), en août 1799 à Saint-Méen (Finistère). En 1810, il reçoit le titre de chambellan et de comte d'Empire (il était auparavant marquis par hérédité). Après l'abdication de l'empereur (), il se retire en Angleterre, mais retourne servir Napoléon durant les Cent-Jours.
La reddition de l'Empereur ouvre pour Las Cases la partie la plus notable de sa carrière. Il suit avec quelques autres privilégiés l'empereur à Rochefort ; et c'est Las Cases qui le premier et assez fortement incite l'empereur à se rendre à la nation britannique.
Le 10 juillet, devant l'île d'Aix, Napoléon, qui se trouve à bord de la frégate Saale, charge Las Cases (à cause peut-être de sa connaissance de l'anglais) et Savary de négocier avec le capitaine Maitland, commandant du Bellerophon. Las Cases revêt un uniforme et se rend auprès de l'Empereur[4] :
« – Pourquoi, Monsieur, ne mettez-vous aucune de vos décorations ? – Mais, Sire, parce que je n'en ai point. – N'avez-vous pas au moins la Légion d'honneur ? – Non Sire. – Comment est-ce possible ? Allez demander à Marchand une des miennes. »
Et c'est avec une croix d'officier trouvée par Marchand dans une cassette que Las Cases se rend à bord du navire anglais[4].
Las Cases est le premier à faire une proposition[évasif] au capitaine Maitland du Bellerophon et reçoit une réponse positive. Il l'accusera plus tard d'avoir agi perfidement, en attirant l'Empereur dans les filets anglais, sous la suggestion d'un accueil favorable en Angleterre, tout en sachant que ses ordres étaient plutôt de le capturer.
À Sainte-Hélène
Las Cases accompagne Napoléon à Sainte-Hélène et joue de façon informelle mais très assidûment un rôle de secrétaire particulier, prenant différentes notes de leurs conversations, qu'il va remettre ensuite en ordre dans son Mémorial de Sainte-Hélène[8] écrit au château de Sohan.
Ce Mémorial (document de plus de 2 000 pages) reste le vecteur de la légende de Napoléon Bonaparte, et le témoignage le plus complet et abouti sur la fin et la déchéance de l'Empereur. « Le Mémorial présente le meilleur recueil, non seulement des pensées réelles de Napoléon Bonaparte, mais encore des opinions qu'il voulait faire passer pour telles », a dit Walter Scott.
Une correspondance illicite que Las Cases tente d'envoyer à Lucien Bonaparte et à Lady Clavering cause son arrestation à Longwood par le gouverneur Hudson Lowe, puis son départ de l'île de Sainte-Hélène en fin 1816[9]. Le mystère plane sur les causes de ce départ : les uns parlent d'expulsion par le gouverneur Hudson Lowe et d'autres évoquent d'autres hypothèses[10]. Le manuscrit du Mémorial est confisqué, scellé puis envoyé en Angleterre[11].
Retrouvée en 2005 par Peter Hicks, une copie de ce manuscrit original effectuée vers 1817 en Angleterre a été éditée en 2017 sous les auspices de la Fondation Napoléon. Sa lecture révèle une amplification notable dans la versions publiée par Las Cases, y compris pour des formules célèbres (« Quel roman que ma vie ! ») qui ne se trouvent pas dans le manuscrit. Cependant, « la tonalité générale du manuscrit n'est pas fondamentalement différente de celle de la publication » : avec l'aide de Las Cases, Napoléon se donne la figure d'un libéral, même si la formule « Je suis le Messie de la Révolution » est elle aussi absente du journal original[12].
Retour en Europe
Son entrée en France n'est pas au début autorisée par le gouvernement de Louis XVIII. Il réside en Allemagne et en Belgique (province de Liège) au château de Sohan entre Theux et Pepinster ; mais il obtient la permission de venir à Paris après la mort de Napoléon, où il prend sa résidence et publie le Mémorial en 1823. Il en gagne bientôt une énorme richesse.
↑Las Cases a lui-même donné dans le Mémorial de Sainte-Hélène (chap. VII, journée du 15 mai 1816) le récit de la conception de cet ouvrage, qui fut en son temps l'équivalent français du The Commercial and Political Atlas de William Playfair.
↑D'après Lalanne, Renier et al., Biographie portative universelle, Paris, Garnier, 1861. Sur l’Atlas Historique de Lesage, voyez Walter Goffart, Historical Atlases : The First Three Hundred Years, Chicago, , p. 305-314, 391-394.
↑On peut signaler encore cet hommage humoristique rendu à Las Cases par Alphonse Daudet dans son roman Port-Tarascon (N.B. : le narrateur est Pascalon, qui avait accompagné un groupe de Tarasconnais dans une colonie de peuplement implantée à l’initiative de Tartarin dans une île du Pacifique sud et qui avait entrepris de rédiger un Mémorial de Port-Tarascon) :
« Songez-vous que Las Cases a fait ce métier pendant des années ! L’Empereur le réveillait à six heures du matin, l’emmenait, à pied, à cheval, en voiture, et sitôt en route : « vous y êtes, Las Cases ?... Alors continuons… Quand j’eus signé le traité de Campo-Formio… » Le pauvre confident avait ses affaires, lui aussi, son enfant malade, sa femme restée en France, mais qu’était cela pour l’autre qui ne songeait qu’à se raconter, à s’expliquer devant l’Europe, l’Univers, la Postérité, tous les jours, tous les soirs et pendant des années ! C’est-à-dire que la vraie victime de Sainte-Hélène n’a pas été Napoléon, mais Las Cases. »
A. Lesage, Atlas historique, Paris, M. de Sourdon, (réimpr. 1810, 1814, 1822, etc.), in-folio de 34 planches
Emmanuel Las Cases, Thierry Lentz (texte établi, présenté et commenté), Peter Hicks, François Houdecek et Chantal Prévost, Le mémorial de Sainte-Hélène. Le manuscrit retrouvé, Paris, Editions Perrin, , 977 p. (ISBN978-2-262-09642-7)
Mémoires de F A. D., comte de Las Cases (Bruxelles, 1818)