Dans le domaine juridique, l’appellation droit de déport, issue du monde féodal, renvoie à deux concepts différents. L’un relève du droit canon, tandis que le second a trait au droit féodal.
Droit canon
En droit canonique, le déport, également appelé « droit de vacant »[1], permettait à des seigneurs ecclésiastiques, le plus souvent des évêques, archidiacres ou archiprêtres, de percevoir les revenus des bénéfices vacants d’un diocèse pour une durée déterminée[2].
L’origine de ce droit est incertaine et controversée. Il pourrait être apparu en même temps que l’annate, mais nous n’en avons aucune certitude[3]. Ce n’est que bien plus tard, avec la chute de l’Ancien Régime, qu’il fut aboli par le décret de l’Assemblée nationale daté du 11 août 1789[4].
Le droit de déport pouvait être mis en application dans deux cas : lorsque le bénéficier se trouvait en litige ou lorsqu’il était empêché d’exercer sa fonction[5], faute d’être prêtre ou bien par sa mort[6]. Le seigneur ecclésiastique qui bénéficiait de ce droit devait alors nommer un prêtre pour desservir la paroisse et devait se charger de le rémunérer[7],[8]. C’est du moins ce qui ressort d’une obligation émise par Jean XXII, ce dernier ordonnant que les bénéficiaires du droit de déport partagent les revenus des bénéfices avec leurs titulaires[9]. Cependant, ce droit pouvait aisément être contrecarré dans la mesure où il suffisait que le bénéficier fasse une résignation in favorem avant son décès, faisant en sorte que son bénéfice ne soit pas vacant et que, par conséquent, le seigneur ecclésiastique n’en profite pas[10].
Ce droit était d’application dans diverses provinces françaises et principalement en Normandie[11] où tous les évêques possédaient ce droit – évidemment uniquement envisageable dans les limites de leur diocèse[12].
Droit féodal
En droit féodal, le déport ou déport de minorité était le droit qu’avaient certains seigneurs de percevoir pendant un an les revenus des fiefs appartenant aux vassaux qui n’avaient pas l’âge de les desservir[13] lorsqu’ils héritaient du fief, aucun des parents n’en ayant accepté la garde.
En compensation, ces seigneurs devaient alors nommer des gardiens ou tuteurs pour tenir le fief dont avaient hérité les mineurs. De même, ils devaient fournir aux héritiers une partie des revenus du fief. À titre indicatif, le montant du revenu cédé à l’héritier s’élevait, en Anjou, à un tiers du revenu total[14].
Si on atteste la présence de ce droit sous le nom de « droit de déport » dans les coutumes d’Anjou et du Maine, il convient de rappeler qu’il existait aussi ailleurs sous d’autres appellations, notamment dans l’ancienne coutume de Montargis[15].
Le fait qu’un gardien tenait le fief du mineur représentait, dans le rapport féodal, une véritable transformation. Le gardien, se comportant dès lors comme un véritable vassal, devait l’hommage au seigneur comme s’il tenait lui-même le fief. C’est ainsi que, pour remédier aux inconvénients causés par la garde, la tutelle fut introduite ; cette dernière n’impliquait pas un même rapport féodal que celui tenu entre le seigneur et le garde. Cependant, les seigneurs de certaines provinces continuèrent d’exiger le payement d’une certaine somme en échange d’un droit de rachat. Le déport, caractérisé par la perception des revenus du fief par le seigneur durant un an, était alors le paiement de ce droit de rachat[16].
Si certains auteurs soutinrent que, dès les XVIIe siècle et XVIIIe siècle, ce droit avait été abrogé par non usage, on peut nuancer ces propos. En effet, différents arrêts (datant de 1695, 1729, 1745, 1747 et 1756) confirmèrent qu’il resta toujours d’usage[17]. Ce n’est, tout comme dans le droit canon, qu’avec l’Ancien Régime qu’il disparut.
↑Lepointe G., Petit vocabulaire d’histoire du droit français, nouvelle éd. entièrement refondue et augmentée, Paris, Editions Domat, 1948, p. 97.
↑Michel André, Condis Pierre, Wagner J., Dictionnaire de droit canonique et des sciences en connexion avec le droit canon ou Le dictionnaire de Mgr André et de l’abbé Condis, vol.1, 3e éd., Paris, Walzer, 1901, p. 623.
↑Jean-Henri-Romain Prompsault, Jacques-Paul Migne, Dictionnaire raisonné de droit et de jurisprudence en matière civile ecclésiastique, vol.2, Paris, Migne, 1849, p. 65 (Encyclopédie théologique, 36-38).
↑Naz Raoul, Dictionnaire de droit canonique contenant tous les termes du droit canonique avec un sommaire de l’histoire et des institutions et de l’état actuel de la discipline, t. iv, Paris, Letouzey et Ané, 1935-1965, p. 1152-1153.
↑Dans le régime féodal, un homme obtenait sa majorité féodale à l’âge de 20 ans, alors qu’une femme l’obtenait déjà à 14 ans. Denisart Jean-Baptiste e.a., Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, t. II, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Chez la veuve Desaint, 1777, p. 53.
↑Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières. Par une société de gens de lettres, de savants et d'artistes. Jurisprudence, t. iii, Paris, Panckoucke, 1783, p. 655 ; Rageau François e.a., Glossaire du droit français : contenant l’explication des mots difficiles qui se trouvent dans les ordonnances des Roys de France, dans les coutumes du royaume, dans les anciens arrests et les anciens titres, Genève, Slatkine, 1969, p. 165 (Bibliothèque des dictionnaires patois de la France, 2).
↑Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières. Par une société de gens de lettres, de savants et d'artistes. Jurisprudence, op. cit., p. 655.
Fortunato Bartolomeo De Felice, Dictionnaire universel et raisonné de justice naturelle et civile : contenant le droit naturel, la morale universelle, le droit des gens, le droit politique, le droit public, le droit romain, le droit canonique et le féodal, avec l'histoire littéraire relative à ces sciences, t. IV, Yverdon, imprimerie de M. Felice, coll. « Encyclopédie dite d'Yverdon »,
Bibliographie
DE FELICE F., Dictionnaire universel et raisonné de justice naturelle et civile, t. iv, Yverdon, imprimerie de M. Felice, 1777.
LEPOINTE G., Petit vocabulaire d’histoire du droit français, nouvelle éd. entièrement refondue et augmentée, Paris, Editions Domat, 1948.
MICHEL André, CONDIS Pierre, WAGNER J., Dictionnaire de droit canonique et des sciences en connexion avec le droit canon ou Le dictionnaire de Mgr André et de l’abbé Condis, vol.1, 3e éd., Paris, Walzer, 1901.
PROMPSAULT Jean-Henri Romain, MIGNE Jacques-Paul, Dictionnaire raisonné de droit et de jurisprudence en matière civile ecclésiastique, vol.2, Paris, Migne, 1849, p.65 (Encyclopédie théologique, 36-38) .
CHERUEL Adolphe, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de France, vol.1, Paris, Hachette, 1855.
MARION Arcel, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1972.
NAZ Raoul, Dictionnaire de droit canonique contenant tous les termes du droit canonique avec un sommaire de l’histoire et des institutions et de l’état actuel de la discipline, t. IV, Paris, Letouzey et Ané, 1935-1965.
DENISART Jean-Baptiste e.a., Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, t. II, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Chez la veuve Desaint, 1777.
Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières. Par une société de gens de lettres, de savants et d'artistes. Jurisprudence, t. III, Paris, Panckoucke, 1783.
RAGEAU François e.a., Glossaire du droit français : contenant l’explication des mots difficiles qui se trouvent dans les ordonnances des Roys de France, dans les coutumes du royaume, dans les anciens arrests et les anciens titres, Genève, Slatkine, 1969 (Bibliothèque des dictionnaires patois de la France, 2).