En 1816, Walter Scott a déjà publié trois romans : Waverley (1814), Guy Mannering (1815) et L'Antiquaire (1816). Il voit en eux une trilogie évoquant les mœurs de l'Écosse en trois époques récentes[1] : 1745, 1783 et 1794. Dans la préface de L'Antiquaire, il estime en avoir fini avec ce passé récent. Il prend congé de ses lecteurs[2].
Il entame alors une série qu'il nomme Tales of My Landlord(Contes de mon hôte), destinée « à faire connaître les anciennes mœurs écossaises[3] ». Le projet initial est bien d'une seule série, comprenant quatre courts romans d'un volume chacun. Chacun de ces romans doit évoquer les traditions d'une région différente d'Écosse[4].
Scott respecte en partie son idée première. Il transporte le lecteur dans des périodes antérieures à 1745 et dans des régions différentes d'Écosse (si l'on excepte Robert, comte de Paris, dont le théâtre est Constantinople) :
en 1097, à Constantinople (Robert, comte de Paris) ;
en 1306 ou 1307, dans le sud de l'ancien comté de Lanark (Le Château périlleux).
Évolution du projet
Le Nain noir est le premier roman des Contes de mon hôte. Il est le seul qui va rester dans le dessein initial d'une histoire en un volume[1]. Car le projet change de visage. Emporté par son inspiration, Scott a tôt fait d'étendre le deuxième roman, Les Puritains d'Écosse, à trois volumes, ce qui correspond à la longueur habituelle de ses romans. Et les Contes de mon hôte vont se composer non pas d'une série unique, mais de quatre ; et non pas de quatre romans, mais de sept.
Trois séries paraissent de 1816 à 1819. La quatrième vient bien plus tard, en 1831, année précédant la mort de l'auteur.
Chaque série comprend deux romans, à l'exception de la deuxième qui en comporte un seul, Le Cœur du Midlothian. Ces romans se répartissent de façon très inégale sur les quatre volumes de chaque série.
Walter Scott signait jusque-là ses romans « l'auteur de Waverley ». Changeant d'éditeur pour les Contes de mon hôte, il adopte une nouvelle signature : Jedediah Cleishbotham. L'auteur censé porter ce nom extravagant fait donc figure de rival de « l'auteur de Waverley »[4].
Le premier roman de la première série, Le Nain noir, est précédé d'une introduction générale[5] où le fat Jedediah Cleishbotham se présente et fait découvrir son petit univers dérisoire. Il entretient ce contact avec le lecteur au fil de préambules, péroraisons et envois qui encadrent les Contes.
Il s'attribue les droits de publication des Contes de mon hôte, bien qu'il n'en ait pas écrit une ligne[6]. Il s'est contenté de trouver les manuscrits dans le tiroir d'un mort. Il avoue en effet que les contes ont été compilés et rédigés par son défunt collègue Peter Pattieson[7]. Celui-ci, dans le chapitre premier de la plupart des romans, se met en scène pour expliquer où, quand et comment il a recueilli les informations dont il tire son récit.
Quant à « mon hôte », les contes qui portent son nom ne sont pas de lui non plus. « Ce ne sont pas les contes de l'hôte, et il n'est pas facile de savoir à qui les attribuer », fait remarquer Scott dans un article qu'il publie anonymement dans la Quaterly Review[8]. « Mon hôte » met simplement son auberge à la disposition des voyageurs, et c'est là que se racontent et se collectent les histoires. Alain Jumeau voit donc dans le titre de la série un hommage au véritable auteur de ces contes : la tradition populaire[9].
Publication
Première série
La première série comprend Le Nain noir (un volume) et Les Puritains d'Écosse (trois volumes). Elle n'est pas publiée chez l'ÉcossaisConstable ni chez l'Anglais Longman, qui éditaient jusque-là les romans de Scott. Ne voulant pas être dans la dépendance de Constable[10], Scott confie la série à un concurrent anglais, John Murray, qui a un correspondant en Écosse, William Blackwood. Elle paraît le [4].
Deuxième série
La deuxième série paraît le . Scott préfère revenir chez ses éditeurs habituels, Constable à Édimbourg[11] et Longman à Londres[12]. Il garde néanmoins le pseudonyme de Jedediah Cleishbotham, qu'il va réserver aux Contes de mon hôte. La série comporte un seul roman, en quatre volumes, Le Cœur du Midlothian. Cette longueur est inhabituelle chez Scott. La plupart de ses romans s'étendent sur trois volumes[13].
Troisième série
La troisième série paraît le chez Constable, et le 26 chez Longman[14]. Elle comprend La Fiancée de Lammermoor (deux volumes et demi) et Une légende de Montrose (un volume et demi). À la fin du dernier volume, Scott considère les Contes de mon hôte comme finis. Il annonce que Cleishbotham s'est « évanoui dans les airs[15] ».
Quatrième série
Douze ans plus tard, le [16], une inattendue quatrième série vient compléter les Contes de mon hôte. Elle comprend Robert, comte de Paris (deux volumes et demi) et Le Château périlleux (un volume et demi). Ce sont les deux derniers romans de Scott parus de son vivant. Constable ayant fait faillite en 1826[17], cette quatrième série est confiée au nouvel éditeur écossais de Scott, Robert Cadell(en). L'éditeur anglais est Whittaker. Cleishbotham ressurgit, et consacre une introduction commune à ces deux romans. Ils sont dépourvus de l'habituel chapitre introductif où Peter Pattieson se mettait en scène.
Accueil
Les Puritains d'Écosse reçoit un accueil enthousiaste[18] qui fait de l'ombre au Nain noir, paru en même temps[4].
Le Cœur du Midlothian connaît un succès triomphal. Les Puritains d'Écosse et Le Cœur du Midlothian sont considérés de nos jours par la critique comme deux des meilleurs romans de Scott[19],[11].
La Fiancée de Lammermoor met plus de temps à trouver son public[14], mais le succès va être durable. À l'exemple de ce qui s'est produit dans la première série, Une légende de Montrose est éclipsé par La Fiancée de Lammermoor[20].
Robert, comte de Paris et Le Château périlleux ont beaucoup de succès auprès du public, en dépit de critiques défavorables[21],[16].
↑Alain Jumeau, notice du Nain noir, dans Walter Scott, Waverley et autres romans, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 2003, p. 1411.
↑Dédicace des Contes de mon hôte, dans Œuvres de Walter Scott, Paris, Furne, 1830, t. VII, p. 3.
↑L'ordre de parution n'est pas toujours respecté dans les éditions des œuvres complètes de Scott. Ainsi, dans l'édition Furne de 1830, l'« Introduction aux Contes de mon hôte » se trouve-t-elle dans le tome VII, précédant Les Puritains d'Écosse ; tandis que Le Nain se trouve dans le tome X. On trouve cette introduction en appendice dans Walter Scott, Waverley et autres romans, op. cit., p. 1345-1350. Dans l'édition en langue anglaise Magnum Opus de 1830, elle est suivie de l'« Introduction au Nain noir », qui n'est pas signée de Jedediah Cleishbotham.
↑« Introduction aux Contes de mon hôte », Œuvres de Walter Scott, éd. cit., t. VII, p. 7.
↑« Introduction aux Contes de mon hôte », Œuvres de Walter Scott, éd. cit., t. VII, p. 10.
↑Quaterly Review, datée de janvier 1817, publiée en avril. Cité par Alain Jumeau, notice du Nain noir, dans Walter Scott, Waverley et autres romans, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 2003, p. 1411.
↑Michel Crouzet, « Sir Walter Scott baronet », dans Walter Scott, Waverley, Rob Roy, La Fiancée de Lammermoor, coll. « Bouquins », Paris, Laffont, 1981, p. 925.