Dans la Rome antique, le cens (en latin : census) est un recensement des citoyens romains et de leurs biens effectué tous les 5 ans. Cette liste des citoyens est dressée par des magistrats élus nommés censeurs. Le cens servait de base au recrutement de l'armée romaine, à la délimitation des droits politiques, à l'organisation des scrutins, au calcul des impôts, puis à l'élaboration d'un état civil.
Objectifs
Le cens, institution fondamentale de la République romaine, constitue le peuple romain (populus) en un corps civique organisé et hiérarchisé. À chaque citoyen est attribué un rang précisant sa dignité, ses droits et ses devoirs envers la cité. Ce rang dépend principalement du patrimoine foncier.
Procédure de recensement
On trouve un exposé des formalités de l’ouverture du recensement dans un fragment des Tabulae Censoriae, repris par Varron. Après la prise des auspices, les citoyens sont sommés par un crieur public (praeco) de se présenter devant les censeurs. Chaque tribu est appelée séparément. Dans chaque tribu la liste des noms est faite préalablement par les tribuns des tribus.
Chaque paterfamilias doit venir en personne devant les censeurs qui établissent les règles spécifiant les différentes sortes de propriétés sujettes au recensement et la méthode d'estimation de leur valeur. Selon ces lois chaque citoyen doit fournir — sous serment — un décompte de lui-même, de sa famille et de ses propriétés :
Fournir d'abord ses nom, prénom et surnom et ceux de son père ou s'il est affranchi ceux de son patron ; puis donner son âge.
Indiquer s'il est marié, donner le nom de son épouse et aussi le nombre, les noms et les âges de ses enfants éventuels. Les femmes célibataires (viduae) et les orphelins sont représentés par leurs tutores ; leurs noms sont inscrits sur des listes séparées et ils ne sont pas compris dans la somme totale des capita.
Faire un compte rendu de tous ses biens qui sont objets de recensement. Dans un premier temps il semble que chaque citoyen donne simplement la valeur de l’ensemble de ses biens sans entrer dans les détails ; mais bientôt l'usage s'établit de déclarer les spécifications détaillées de chaque objet ainsi que la valeur générale du tout. C’est la terre qui est la partie la plus importante dans le recensement.
Chiffres des recensements
Les recensements romains connus par les annalistes sont au nombre de 37 échelonnés entre 508 av. J.-C. et 28 av. J.-C., pour un nombre théorique de 96 avec un rythme quinquennal. Des incertitudes sont possibles, par les erreurs de transcriptions dans les manuscrits. J. Beloch en a corrigé plusieurs valeurs qui s'écartaient manifestement de la tendance générale[2].
Toutes les dates sont av. J.-C. et les valeurs établies par Peter Astbury Brunt sont les suivantes[3] :
Recensements romains connus
Date
Nombre
Source
Commentaires
508
130 000
Denys, V, 20
503
120 000
Jérôme de Stridon, Ol, 69, 1
498
150 700
Denys, V, 75
493
110 000
Denys, VI, 96
474
103 000
Denys, IX, 36
465
104 714
Tite-Live, III, 3
« Sans les veuves et les orphelins »
459
117 319
Tite-Live, III, 24 Eutrope, I, 16
393-2
152 573
Pline, Histoires naturelles, XXX, 10, 16
340
165 000
Eusèbe, Ol, 110, 1
323
150 000
Orose, V, 22, 2 Eutrope, V, 9
294-3
262 321
Tite-Live, X, 47
289-8
272 000
Tite-Live, Periochae, XI
280-79
287 222
Tite-Live, Periochae, XIII
276-75
271 224
Tite-Live, Periochae, XIII
265-4
292 234
Eutrope, II, 18
382 233 dans Periochae, XVI
252-51
297 797
Tite-Live, Periochae, XVIII
276-75
241 712
Tite-Live, Periochae, XIX
241-40
260 000
Jérôme de Stridon, Ol, 134, 1
234-33
270 713
Tite-Live, Periochae, XX
209-08
137 108
Tite-Live, XXVII, 36
Rectifié en 237 108
204-03
214 000
Tite-Live, XXIX, 37
194-93
143 704
Tite-Live, XXXV, 9
Rectifié en 243 704
189-88
258 318
Tite-Live, XXXVIII, 36
179-78
258 794
Tite-Live, Periochae, 41
174-73
269 015
Tite-Live, XLII, 16
267 231 dans Periochae, 42
169-68
312 805
Tite-Live, Periochae, 45
164-63
337 022
Tite-Live, Periochae, 46 Plutarque, Aem., 38
159-58
328 316
Tite-Live, Periochae, 47
154-53
324 000
Tite-Live, Periochae, 48
147-46
322 000
Eusèbe, Ol., 158, 3
142-51
322 442
Tite-Live, Periochae, 54
136-35
317 933
Tite-Live, Periochae, 56
131-30
318 823
Tite-Live, Periochae, 59
125-24
394 736
Tite-Live, Periochae, 60
ou 294 336 ?
115-114
394 336 (?)
Tite-Live, Periochae, 73
86-85
463 000
Jérôme, Ol, 173, 4
ou 963 000 ?
70-69
910 000
Tite-Live, Periochae, 98 Phlégon de Tralles, fr. 12, 7
Le saut quantitatif de 70 av. J.-C. marque l'extension du droit de cité aux Italiens. La pause pendant plus d'une génération vient de la mise en sommeil de la censure par Sylla, et de la reprise par Auguste. Un nouveau saut quantitatif en 28 av. J.-C. est dû à un changement du comptage, par individu, comprenant femmes et enfants (sans doute d'au moins un an), et non par citoyen mâle et adulte. En raison des lacunes du cens, les chiffres sont minorés, peut-être jusqu'à 20%[5].
Notes et références
↑Élisabeth Deniaux, Rome, de la Cité-État à l'Empire, Institutions et vie politique, Hachette, 2001, 256 p., (ISBN2-01-017028-8), p. 59-60
↑Pour cette même année, un fragment des Fasti Ostienses (Année épigraphique, 1946, 169) donne seulement 4 100 900. Claude Nicolet, L'inventaire du Monde…, p. 144-145.
↑François Jacques et John Scheid, Rome et l'intégration de l'Empire (44 av. J.-C. 260 ap. J.-C.). Tome 1, PUF, coll. « Nouvelle Clio, l'histoire et ses problèmes », 2010 (1re éd. 1999), 480 p., (ISBN9782130448822), p. 140
Bibliographie
A. Bérenger, « Les Recensements dans la partie orientale de l'Empire : le cas de l'Arabie », dans Les archives du census : le contrôle des hommes, MEFRA, 113-2, 2001, p. 605-619.
Michel Christol, « Le Census dans les provinces, ses responsables et leurs activités », dans François Chausson dir., Occidents romains, Errance, Paris, 2009, p. 247-275.
Theodor Mommsen, Le Droit public romain, IV, 1892, p. 1-160.
Claude Nicolet, Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine, Gallimard, Paris, 1976, part. chap. II, « census », p. 71-121.
Claude Nicolet, L'inventaire du monde : géographie et politique aux origines de l'Empire romain, Paris, Fayard, 1988, chap. VII « Contrôle de l'espace humain : les recensements », p. 133-157.
Claude Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen 264–27 av. J.-C., Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio, l'Histoire et ses problèmes », , 10e éd. (1re éd. 1979), 462 p. (ISBN2-13-051964-4)
Claude Nicolet, « Les listes des centuries : la prétendue centurie Niquis scivit », Mélanges de l'École française de Rome. Antiquité, t. 113, no 2, , p. 723-734 (lire en ligne).
Georges Pieri, L'Histoire du cens jusqu'à la fin de la république romaine, Sirey, Paris, 1968.