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Caïn (prononciation : [kaɛ̃] ; hébreu : קין Qáyin, arabe : قابيل Qābīl) est un personnage du Livre de la Genèse (premier livre de la Bible) et du Coran.
Selon la Genèse, Caïn, fils aîné d'Adam et Ève, est un cultivateur qui offre à Dieu une partie de ses récoltes. Cependant, Dieu n'en est pas satisfait et préfère les offrandes du berger Abel, qui est le frère cadet de Caïn. Envieux, Caïn tue son frère. En raison de ce meurtre, il est maudit par Dieu et doit porter une « marque » en souvenir de son crime.
Caïn est à la fois le premier humain biologiquement « né » et le premier meurtrier. Il a plusieurs descendants, parmi lesquels Hénoch et Lamech.
Le récit biblique n'est pas explicite sur la raison pour laquelle Dieu a rejeté le sacrifice de Caïn ni sur l'aspect de sa « marque ».
Le mythe de Caïn a donné lieu à de nombreuses interprétations, théologiques, mais aussi artistiques, psychanalytiques ou anthropologiques[1].
L'onomastique propose plusieurs pistes concernant l'étymologie du nom de Caïn. Le mot hébreu : קין Qáyin signifie « javelot », mais aussi par métonymie « forgeron[2] » ou « artisan » qui fabriquaient des instruments de cuivre et de fer pour en faire des lances et des javelots pour la guerre. L'explication étiologique du nom de Caïn résulterait d'une construction littéraire du rédacteur biblique dans sa composition non pas d'une simple histoire de famille, mais d'un mythe qui cherche à expliquer l'origine de la guerre et de la violence[3].
Le nom peut être aussi interprété à partir du verbe qanah en hébreu (« créer ») qui rappelle l'intention de l'auteur biblique de présenter Caïn comme le créateur de la civilisation. Ce verbe est décliné dans Gn 4,1 en qaniti, « j'ai acquis, j'ai créé, j'ai formé »[4] ou « j'ai procréé un homme avec le Seigneur », verset dans lequel on peut voir une référence œdipienne, Ève ayant enfanté un fils meurtrier avec un substitut du père[5].
Il peut également être lié au jeu de mots avec la racine qnn, « nid d'impuretés » ou qna, « jalousie », thèmes présents dans le récit biblique du livre de la Genèse. La dernière acception rejoindrait la valeur programmatique du rédacteur biblique contenue dans Abel dont l'étymologie évoque l'existence précaire, le cadet étant tué à cause de la jalousie de son frère aîné[6].
D'après le récit biblique de Caïn et Abel, Caïn est le fils aîné d'Adam et Ève. Il est paysan et a un frère, Abel, qui est berger. Un jour, les deux frères apportent chacun une offrande à Dieu : Caïn offre des fruits de la terre, tandis qu'Abel présente des premiers-nés de son troupeau de moutons et leur graisse. Dieu préfère ostensiblement l'offrande d'Abel. Puis il perçoit la colère et la tristesse de Caïn, et lui enjoint de bien agir et de dominer le péché[7]. Mais Caïn, jaloux, échoue. Un peu plus tard, il invite son frère à sortir dans les champs, se jette sur lui et le tue. C'est le premier meurtre inscrit dans la Bible.
Dieu interpelle Caïn au sujet du meurtre, celui-ci lui répond par une question : « suis-je le gardien de mon frère ? »[8], puis Dieu lui apprend qu'il est maudit par le sol qui a recueilli le sang versé. Ainsi il ne pourra plus récolter. Dieu le chasse de la terre fertile dont il jouissait et le condamne à errer sur la terre. Caïn assure qu'il sera tué par le premier venu, et Dieu déclare qu'alors il serait vengé sept fois, et lui impose une marque afin qu'il échappe à l'agression des autres hommes. Caïn gagne le pays de Nod, à l'est d'Éden ; là, il connaît une femme (sa sœur Awan selon le livre des Jubilés[9]) dont il a un enfant, Hénoch[10]. Après sa naissance, Caïn bâtit une ville qu'il appelle aussi Hénoch, tandis que sa famille lui assure une descendance importante[11].
Bereshit Rabba 22,7 fait de Caïn et Abel des frères jumeaux. Le meurtre résulterait d'une rivalité sentimentale ayant pour objet Lilith ou une des jumelles nées avec les deux frères[1].
Selon une légende médiévale d'origine juive, Caïn est tué accidentellement d'une flèche au cours d'une chasse par l'un de ses descendants : Lamech[12].
Le récit biblique de la rivalité fratricide dans le livre de la Genèse en évoque d'autres présentes sur tous les continents[13], ce qui laisse penser qu'elle a une origine très ancienne, de même (dans le Coran) que l'invitation à enterrer les morts, souvent présentée comme un indice d'apparition de civilisation chez l'Homme préhistorique. L'opposition entre deux frères (parfois jumeaux) est très répandue dans les mythes, contes et légendes. Ethnologues et historiens notent que dans ces récits mythiques, l'un des deux frères tue souvent l'autre, devenant ainsi la souche d'une lignée postérieure ; citons par exemple les jumeaux de mythes sibériens et amérindiens, Osiris et Seth dans la mythologie égyptienne, les frères Shun et Yao de la mythologie chinoise et enfin Rémus et Romulus dans le mythe de la fondation de Rome. Ainsi Caïn pourrait représenter le mal et Abel le bien, dans une dualité qui évoque la chute et le péché originel. Comme le remarque René Girard, la singularité du mythe biblique par rapport aux mythologies archaïques est la malédiction divine. Dans un cas, le meurtrier fonde la grande civilisation romaine, dans l'autre cas, la descendance de Caïn est maudite par Dieu (et doit donc être rachetée par l'imitation du Christ).
De nombreuses explications ont été proposées pour expliquer l'hostilité de Dieu envers l'offrande de Caïn à l'origine de sa jalousie et de son meurtre : sacrifice de mauvaise qualité du frère aîné, offrande végétale issue du sol qu'a maudit Yahvé après la chute du jardin d'Éden[14], tribut de Caïn fait sans amour ni respect[15]. Le choix de l'offrande d'Abel (l'agneau) renvoie plus simplement que ces explications à la nature des offrandes aux dieux : du bétail ! Les milliers d'holocaustes, depuis le sacrifice d'Isaac, cités dans l'Ancien Testament montrent clairement ce qui plaisait au Seigneur. La mythologie gréco-latine de même cite les récurrents sacrifices d'animaux, les dieux se nourrissant des fumées de leur cuisson.
Dans La Violence et le Sacré, publié en 1972, René Girard esquisse une autre explication à ce rejet divin de l'offrande de Caïn. Selon René Girard en effet, ce passage biblique exprime ici une esquisse de retour sur la substitution cachée des victimes dont René Girard avance qu'elle est à la base de tout sacrifice rituel des sociétés humaines primitives. La violence ayant une nette tendance, chez les hommes, à ne pouvoir être canalisée que si elle se décharge sur une victime expiatoire, et la Bible ne mentionnant de différence entre les deux frères que le fait qu'Abel fait des sacrifices d'animaux puisqu'il est éleveur tandis que son frère, cultivateur, ne possède pas ce moyen de canaliser sa violence et son ressentiment, René Girard avance que la jalousie de Caïn ne fait qu'un avec l'accumulation de la tension et du ressentiment qu'il ne peut expier, comme son frère, par une canalisation violente. Ne pouvant expulser cette violence refoulée, Caïn finit par y céder et tuer son frère qui, lui, n'a pas connu cette tension. L'attribution à Dieu d'un refus de l'offrande non-violente de Caïn et d'une acceptation de celle violente d'Abel ne serait, sous cet angle, que la révélation à demi-mot et la traduction de ce que, pour les sociétés primitives, le sacrifice violent seul peut délivrer un homme ou un groupe humain de sa violence.
Cette histoire peut être la trace relictuelle de conflits anciens entre les cultures de type Chasseur-cueilleur ou d'éleveurs nomades, et les cultures nouvelles se développant chez les peuples qui se sédentarisent grâce à l'agriculture et à un élevage non nomade. Caïn est agriculteur, et tue son frère pasteur. Dans Genèse 4,4, l'arbitraire divin[16] a en effet marqué une préférence pour les éleveurs[17]. Alors que Dieu semble valoriser l'agriculture lorsqu'il place Adam dans le jardin d’Éden pour le cultiver (Genèse 2,15), après la chute de l'homme il maudit le sol (Genèse 3,17), l'agriculture apparaissant comme la conséquence du péché originel. L'agriculteur interdit à son frère nomade l'accès aux terres et eaux les plus riches, désormais réservées à l'agriculture, à la pisciculture, à la coupe du bois et à la sylviculture, par exemple, au détriment des nomades et propriétaires de troupeaux itinérants.
On peut aussi voir dans ce mythe l'opposition entre, d’une part, les cultures nouvelles de l'espace privatisé (marqué par les clôtures, les contrats de propriété et une gestion défensive de l’espace), et d’autre part, les cultures de l'espace partagé (géré selon la coutume et d’autres modes de gestion des conflits). Plus largement, ce mythe peut évoquer l'opposition entre « culture » et « nature » ou entre « exploitation rationalisée de l'environnement » et « reconnaissance de la naturalité » de l'Homme et de sa relation à la Nature.
Elle peut symboliser un choc culturel plus ancien ayant opposé des peuples chasseurs-cueilleurs itinérants (représentés par Abel) et les premiers éleveurs nomades (la descendance de Caïn est présentée par la Bible comme nomade).
Caïn est souvent représenté vêtu d'une peau de bête, comme Héraclès, qui évoque l'animal, le chasseur, un caractère sauvage, et la violence[18] qui sous-tend ce meurtre. Le mythe est l'expression d'une culpabilité refoulée (Cf. la colère de Dieu, l'Œil de Dieu, etc.), et de deux tendances intérieures – individuelle et collective – qui chez l'homme s'opposent encore ; le civilisé sédentaire, et l'itinérant (doublement refoulé selon cette interprétation du mythe).
Si le récit du meurtre a longtemps été interprété comme à un renvoi aux conflits récurrents qui existeraient depuis le Néolithique entre les agriculteurs sédentaires (représentés par Caïn) et les éleveurs-bergers nomades (représentés par Abel), la recherche actuelle propose plusieurs hypothèses.
Une interprétation exégétique semble plutôt vouloir intégrer ce récit qui relate l'expérience de l'inégalité sans explication (la Bible ne donne en effet aucune raison à la préférence de Dieu) dans un ensemble littéraire plus vaste qui élabore un mythe cherchant à expliquer l'origine de la violence[19],[20]. Derrière ce récit étiologique pour expliquer l'origine de la violence, le chercheur Henning Heyde voit plutôt un récit de la tribu des Qénites qui se sont retrouvés dans la figure de Caïn, leur ancêtre. Le passage sur Caïn qui a une relation étroite avec Yahweh dont il voit la face serait un récit primitif mettant en scène la légende étiologique qui explique le nomadisme des Qénites considérés comme les premiers adorateurs de Yahweh[21].
Caïn fonde la première ville, donne naissance aux coutumes et à la civilisation grâce à une descendance nombreuse[11]. Le livre de la Genèse nomme certains d'entre eux : Hénoch, Irad, Méhujaël, Méthusaël, Lamech (de qui date la polygamie[22]), Jabal (« courant de l'eau »), Jubal (« produit »), Tubal-Caïn et Nahama. Cette généalogie caïnique décline l'origine des arts et des techniques car les descendants de Caïn se distinguent par leurs vies de nomades et d'éleveurs de troupeaux, de musiciens ou de forgerons.
L'auteur biblique élabore un récit étiologique qui explique la naissance des arts et des techniques et suggère qu'ils permettent une certaine gestion de la violence[23].
La quasi totalité de la lignée de Caïn prend fin lors du Déluge à l'époque de Noé. Seule Nahama la femme de Noé survit au déluge.
De nombreux commentateurs (bibliques notamment et rabbiniques en particulier, mais aussi romanciers[24]) ont spéculé sur la nature exacte d'une stigmatisation[25] ou d'une marque de Caïn : marque symbolique ou physique (les commentateurs juifs proposent maintes interprétations : corne, lèpre, tremblement intempestif, circoncision, lettre du Tétragramme YHWH, tatouage clanique, etc[26].), elle représente le « sceau de sa déchéance », qu'elle soit une marque d'opprobre ou de repentance selon le statut accordé à Caïn par ses interlocuteurs. L'antijudaïsme chrétien traditionnel s'est emparé de cette marque caïnique pour stigmatiser les juifs déicides, les représentant notamment pourvus d'un nez busqué, d'un visage disgracieux et de cornes diaboliques[27],[28].
Dans le mormonisme, le Livre de Moïse (1830)[29], affirme que la peau de Caïn est devenue noire après la condamnation divine et que ce changement de couleur de peau est le signe distinctif (la marque) de sa lignée. Cette supposition, liée aux théories racistes du XIXe siècle, sur la prétendue peau noire de Caïn n'appartient qu'aux mormons. Dans la Bible, le mot hébreu אות, oth, utilisé pour le « signe » de Caïn n'est jamais employé en référence à une couleur de peau.
Le caractère elliptique du récit génésiaque sur Caïn et Abel fournit un vivier de thèmes dans lequel ont puisé les artistes[30].
Parmi les prototypes bibliques du Juif errant, figurent les personnages de Caïn et Moïse condamnés à l'exil. Caïn est parfois représenté avec le regard fourbe et le bonnet juif pointu (judenhut). Le pape Innocent III l'impose au peuple juif déicide destiné à rester sans patrie et aux nomades[31].
L'arme du meurtre d'Abel n'est pas mentionnée dans le récit biblique mais, selon de nombreuses traditions extrabibliques, elle est généralement représentée par une bêche, une serpe, une fourche, une massue de bois, une mâchoire de chameau ou d’âne[32], un poignard ou une simple pierre[33].
Plusieurs traits iconographiques exprimant la dualité des deux frères et l'allégorie du bien et du mal s'imposent progressivement dans les peintures, sculptures, vitraux : Abel blond, tout en délicatesse et en finesse avec des attributs animaux (blé, agneau), face à un Caïn brun et fort, sauvage et violent avec des attributs végétaux (gerbe de blé, ivraie voire grappe de raisin). Abel est parfois paré d'un nimbe avec à ses côtés un ange, Caïn a un visage plus sévère et est accompagné d'un démon[34].
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L'interprétation augustinienne faisant de Caïn et Abel les emblèmes du mal et du bien prédomine dans la littérature jusqu'au XVIIIe siècle. Ce modèle caïnique se complexifie à partir du XVIe siècle avec des auteurs comme d'Aubigné, Scève, ou Shakespeare qui s'intéressent au Caïn civilisateur. « Mais c'est avec Byron qu'éclatera, en 1821, le scandale d'un Caïn innocenté. Révolte d'un côté (Byron, Baudelaire, Nerval, Leconte de Lisle), réhabilitation de l'autre (Coleridge, Blake, Hugo, Bloy) échoueront à s'imposer : prévaut en réalité une lecture sociologique (Balzac, Dickens, Hardy), politique (Hugo, Rossetti, Wilde), qui prépare le XXe siècle (Hesse, Unamuno, Conrad, Shaw, Steinbeck, Butor, Tournier, Emmanuel, Camus) »[35].
De nombreux mythes et histoires représentent des frères « ennemis » ou « opposés » pouvant être comparés à Caïn et Abel :
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