Bernard Demiaux est un artiste français, né à Nice le . Il vit et travaille à Paris et en Bretagne. Il est lauréat de la Villa Médicis dans le cadre du programme Hors les Murs en 1996 et Grand Prix de la Biennale d’Art Graphique de Séoul en 1990.
Avec son collectifDigital Art, Bernard Demiaux participe à une manifestation importante au Grand Palais en 1980, laquelle demeure une contribution emblématique et pionnière du domaine des arts numériques.
Parcours, théorie et pratique artistique
L’avènement de l’art numérique (1970-1980)
C’est au cours d’un voyage aux États-Unis que Bernard Demiaux découvre, au début des années 1970, le micro-ordinateur. L’informatique étant alors exclusivement liée aux secteurs de pointe, l'artiste y voit un outil d’expression novateur, et plus encore, un moyen de questionner le rapport à la technologie et aux signes. À l’aube de l’informatisation et de sa diffusion généralisée, il constate que ce qu’il nomme les objets-plus, à l’instar de la bicyclette chez Marcel Duchamp, la reprographie chez Andy Warhol ou la compression de César, se situent désormais dans le vaste champ de l’informationnel et du calculé[1]. Questionnant la manière dont l’information est mise en mémoire, et ce, suivant un processus de binarisation, c’est en 1980 et avec une exposition collective au Grand Palais à Paris que Bernard Demiaux présente les travaux de son collectif Digital Art nouvellement créé, en compagnie d’artistes canadiens, belges, suédois et français.
Le binaire et l’informel, du numérique à la toile (1980-1990)
Au cours des années 1980, Bernard Demiaux continue d’explorer les enjeux liés à l’informatisation, notamment avec l’installation Yes/No (1989), où une rangée de dix ordinateurs Macintosh recomposent à l’aide de programmes génératifs les objets-plus des grands artistes contemporains, objets-totems ou objets-symboles retranscrits sous la forme d’une succession de signes binaires. Quelques années avant le réseauinternet et la consécration du digital, c’est le statut de l’objet – en l’occurrence la machine d’information –, qui est questionné par l’artiste. Mais Bernard Demiaux explore également les multiples aspects de la binarité qui, entre hasard et calcul, unit le programme à l’écran et la pensée rationnelle (dont l’informatique constitue une mise en pratique) à l’expression artistique.
Au-delà de l’opposition entre ce qui est programmé et ce qui est exprimé par l’artiste, il est aussi question de faire émerger, par le biais du binaire, une infinité de formes et de figures. Cette problématique, située au cœur des enjeux liés à la numérisation et aux nouvelles technologies, Bernard Demiaux continuera de l’explorer sous un angle plus graphique et pictural.
Code, nature et paysage (2000-)
Depuis les années 2000, le travail de Bernard Demiaux évolue peu à peu vers une plasticité dans laquelle le binaire occupe toujours une place prépondérante, notamment dans la manière dont l’artiste relie les formes aux processus génératifs et à la combinaison mathématique des programmes. Résolument orientés vers la peinture, ces travaux témoignent d’une lecture spécifique de l’œuvre d’art où le procédural tient lieu de geste artistique et où, d’une logique faite de 0 et de 1, se déploient les esquisses vibrantes de paysages, sortes d’échos visuels venus des confins de l’ordinateur[2].
Ainsi, au-delà des ressorts du programme, des calculs qu’opère la machine, les œuvres de Bernard Demiaux sont les révélateurs d’une rencontre entre des hasards, des possibles, lesquels finissent par questionner le rôle de l’encodage et de la mise en mémoire des signes dans l’art et, plus généralement, dans le vivant. Cette réflexion sur les formes naturelles, rappelant Galilée et son rêve d’une nature mathématisée[3], ou avant lui Lucrèce et son poème scientifique De la nature, Bernard Demiaux l’inscrit dans une trajectoire où le binaire, sorte d’état primitif du langage informatique, constitue le rythme non moins élémentaire qui est à la base de l’expression graphique. Dans le même ordre idée, l’anthropologueAndré Leroi-Gourhan perçoit déjà dans les rythmes élémentaires (comme la dynamique de la marche et l’animation motrice du bras) "...l’inscription de l’individu dans un dispositif créateur non plus d’espace et de temps, mais de formes."[4] Ainsi les rythmes binaires, loin de tout mimétisme entre le vivant et l’artificiel, nous rappellent le rôle de la main et des gestes dans l’acte de création. La main et le programme ne semblent donc pas, à ce stade, si étrangers l’un de l’autre, et à l’art numérique de continuer à questionner, à sa manière, la nature et les enjeux de l’expression artistique.
↑L'émergence de la technologie dans l'art, déjà initiée au début des années 1960 avec des œuvres pionnières comme celle de Nam June Paik, sera désormais au cœur des préoccupations de nombreux artistes et théoriciens. Cf. Edmond Couchot , Norbert Hillaire. L’Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art. Paris : Flammarion (coll. Champs), 2005 (ISBN2-08-080111-2)
↑Pierre Francastel évoquait en son temps le rapport entre l'expression artistique et les multiples domaines de l'expérience, dont le numérique fait aujourd'hui incontestablement partie : "Objet figuratif ou image, l’art est le domaine d’œuvres élaborées à partir des données communes et suggestives de nouvelles expériences." Pierre Francastel. Art et technique aux XIXe et XXe siècles. Paris : éd. de Minuit, 1956 (ISBN2-282-30016-5), p. 272.