De type barrage poids en béton, sa construction a duré sept ans (de 1923 à 1930). Placé sur le cours du Blavet, il mesure 45 m de haut au-dessus du talweg (au total 54,6 m sur fondation), 206 m de longueur de crête, 1,50 m d'épaisseur en crête, 33,50 m d'épaisseur à la base (soit un volume de 110 000 m3) et retient un volume de 55 millions de m3 d'eau sur une étendue de 304 hectares, formant ainsi le lac de Guerlédan, un des plus grands lacs bretons.
Sa mise en eau a englouti plus de 12 km de la vallée du Haut Blavet. Lors des vidanges du lac, on peut découvrir quelques murs de maisons (notamment éclusières), des arbres engloutis de l'ancienne vallée ainsi que son halage, ses jardinets, ses écluses et ses déversoirs.
La construction
Après la Première Guerre mondiale, les besoins d’électrification conduisent à rechercher des sources d’énergie hydraulique afin d'assurer le développement économique des régions[1]. Les côtes bretonnes sont électrifiées grâce à de petites centrales thermiques mais pas le pays du Centre-Bretagne. Auguste Leson, ingénieur en électricité (promotion 1909 de l'École supérieure d'électricité) en poste après la guerre à Laon décide en 1921 de revenir dans son pays natal de Pontivy. Il y rencontre Joseph Ratier, sous-préfet de Pontivy qui a l'idée d'un grand barrage à Guerlédan (l’écluse no 119 de Guerlédan du canal de Nantes à Brest comportait déjà une chute d’eau de quelques mètres et une petite usine hydraulique créée par Picquet au début du XXe siècle[2]), sur le Blavet canalisé, pour y installer une grande usine électrique alors qu'il n'existe à cette époque que quatre barrages de cette importance en France mais ces derniers ne produisent pas d’électricité. Le choix de ce site par Ratier s'explique en raison de sa géographie (Blavet seul fleuve de la région à avoir un débit important toute l'année, présence d'un méandre qui permet de réduire la pression qui arrive sur le barrage), sa géologie (cluse entre deux collines de schiste sur la rive nord, de grès armoricain sur la rive sud, roche dure sur laquelle peuvent se poser les fondations du barrage et ses deux appuis d'extrémités) mais aussi parce que de nombreuses maisons de la vallée sont déjà en ruines ce qui entraîne de faibles coûts d’expropriation pour les pouvoirs publics. Grâce à la foi des deux hommes en ce projet, au soutien politique du breton Yves Le Trocquer, ministre des Travaux publics qui obtient les premières subventions pour financer le projet et à la SGE qui se charge des travaux, l’ouverture du chantier a lieu le [3].
Faute d'argent, le chantier est arrêté de l'automne 1925 au printemps 1927. Le directeur de l'exploitation Leson obtient un financement de la Royal Bank of Canada pour poursuivre les travaux mais à condition de terminer l'ouvrage en deux ans, ce qui fait abandonner le projet de construire une route sur le haut du barrage et de rétablir la navigation (projet d'ascenseur à péniche comme à Saint-Louis-Arzviller). L'inauguration du premier barrage construit en béton en France a lieu le , par le sénateur morbihannais Alfred Brard[4].
Le , est signé l'arrêté préfectoral autorisant la mise en service de l'usine qui produit 15 MW (alimentation en électricité de 15 000 personnes), puis la mise en exploitation officielle de l’usine hydroélectrique le .
Projet inachevé : les écluses englouties
Écluse n° 119 (1895).
Écluse n° 127 de Trégnanton (engloutie).
Écluses n° 135 de Granges et n° 136 de Longeau en 1883 (englouties).
À l'origine, le projet prévoyait la construction d'une échelle d'écluses en parallèle au barrage afin de maintenir le trafic fluvial sur le canal de Nantes à Brest. Cette initiative n'a jamais abouti, divisant ainsi le canal de Nantes à Brest en deux tronçons de navigation : à l'ouest, la branche finistérienne et à l'est, la branche Loire Atlantique et morbihannaise. De fait, il accéléra l'abandon progressif du canal déjà mis à mal par l'arrivée du chemin de fer dans le centre Bretagne.
Le barrage a également englouti 17 écluses qui faisaient partie du canal de Nantes à Brest[5].
La SGE était tenue par la concession du de rétablir la navigation au moyen d'une échelle d'écluses, recevant pour cela une subvention importante de l'État[Note 1].
En 1946, Électricité de France, deviendra concessionnaire de l'usine, lors de nationalisation de l'électricité. En 1953, EDF remboursera la subvention accordée en 1930. La concession a été renouvelée en 2008, pour une nouvelle période de 40 ans, avec un nouveau cahier des charges.
Entre 1951 et 1985, le lac est asséché 4 fois (assec), afin de vérifier l’état du barrage, et de permettre la réalisation de travaux sur les parties habituellement immergées du barrage.
En 2005, les opérations de vérification, réalisées lors d'un ETC (Examen Technique Complet)[Note 2], au moyen d’un robot subaquatique téléguidé[27], ont révélé la nécessité d’une vidange totale du lac pour réaliser d’importants travaux de rénovation sur l’ouvrage[28]. À l'occasion de la vidange de la retenue au printemps 2015, un nouvel ETC décennal a été effectué[29],[30].
Le , un nouvel assec de la retenue est autorisé, par les préfets du Morbihan et des Côtes-d'Armor[31],[32], afin que des travaux puissent être réalisés sur le site pendant 6 mois[Note 3]. Ils représentent un investissement de 4 millions d’euros[33], avec pour objectifs, la remise aux normes de l’infrastructure et la vérification de l'état des bandes d’étanchéité[Note 4],[34].
Le barrage de Guerlédan, assec de 2015
20 septembre 2015 , le Blavet doit impérativement continuer à traverser la retenue, pendant les travaux
20 septembre 2015
Pendant l'assec, un suivi continu de la qualité de l’eau (oxygène dissous, taux de matière en suspension, etc) est réalisé en temps réel par EDF, avant et pendant l’opération de vidange. Pour cela, un laboratoire temporaire est installé au pied du barrage, compte tenu que le Blavet continue à traverser la retenue. La remise en eau de la retenue a été réalisée le , pour une remise en service de la centrale le [35]. Compte tenu de la pluviométrie fin 2015, la retenue a été, le , presque à nouveau remplie, soit 2,30 mètres en dessous de la cote maximale hivernale.
Le réempoissonnement après l'assec
En 2016, 13 tonnes de poissons devraient être réintroduites, par la Fédération de pêche des Côtes-d’Armor, avec le soutien financier d’EDF. Une première opération de réempoissonnement, a été organisée le , juste avant le début de la période de reproduction des poissons, pour un total prévu, en janvier, de 9 tonnes : un mélange de poissons, jeunes et adultes, pêchés dans des étangs de la Brenne, dans l'Indre : des carnassiers tels que brochets et sandres, et des poissons fourrage, tels que gardons et rotengles, qui seront complétés par une autre opération de peuplement, de 4 tonnes, en [36]. La pêche devrait ainsi pouvoir reprendre fin 2017[37].
Pendant un assec, il existe un risque important de voir certaines usines de production d'eau du secteur, cesser de fonctionner avec la vidange de 51 millions de m3 d'eau. La solution existe dans l'interconnexion des différentes usines qui a été anticipée et réalisée, par le syndicat départemental d'eau Eau du Morbihan (56 usines). L'interconnexion représente 7 300 kilomètres de canalisations enterrées[38],[39].
La gestion des crues
En période de crues[Note 5], il est nécessaire de vérifier que les entrées d'eaux dans la retenue, soient égales aux sorties d'eaux relâchées par le barrage. Cependant, si les conditions le permettent, un stockage temporaire supplémentaire, permet d'assurer un effet retardant, de l'impact d'une crue. Le Groupe d'Exploitation Hydraulique Ouest, qui assure la gestion permanente de la retenue, l'exploite depuis 2001, avec une hauteur hivernale (du au ), inférieure de 2,5 mètres par rapport au niveau normal, ceci afin de protéger les communes situées en aval du barrage, des crues du Blavet[40],[Note 6].
En cas de sécheresse, ou de manque d'eau, le soutien d’étiage permet, d'ajouter un débit d’eau complémentaire au débit naturel du Blavet pour permettre d'assurer les prélèvements d’eau réalisés en aval, pour la production d'eau et de favoriser la vie aquatique du Blavet en aval du barrage[41].
Un niveau élevé du lac en période estivale pour favoriser le tourisme
Afin de permettre le fonctionnement des activités qui se sont développées grâce au lac, un niveau élevé est assuré en début de saison touristique puis maintenu au mieux, en fonction des débits entrants et du soutien d’étiage[42].
La production d'électricité
Une centrale de lac
Les centrales hydroélectriques de lac sont associées à une retenue artificielle. L’eau stockée dans la retenue provient soit d'une rivière ou d'un fleuve existant à l'origine (c'est le cas du Blavet, qui traverse la retenue), et de l'eau captée dans les bassins versants en amont de la retenue. Celle-ci est ensuite acheminée jusqu’aux turbines de la centrale en contrebas. Ces centrales sont activables rapidement, et capables de fournir d’importantes quantités d’énergie, appelées durant les heures de plus forte consommation et produisent une électricité à très forte valeur ajoutée. Elles sont un facteur d’ajustement pour répondre aux brusques variations de la demande, comme au moment des pics de consommation, le matin et le soir et dans les périodes de grand froid.
L'équipement de production
L'usine hydroélectrique[43]. est équipée de 4 turbines Francis, représentant au total, une puissance installée de 15 MW, pour une production de 30 GWh/an[44],[45]
La turbine Francis tire son nom de l'ingénieur américain James Bicheno Francis, (1815-1892), qui l'a développée en 1848, aux États-Unis. L'eau arrive radialement par la volute en forme de spirale, sur le pourtour de la roue, pousse les aubes, puis sort axialement en s'écoulant ensuite, par le canal de fuite.
À Guerlédan, compte tenu de l'installation verticale des turbines, l'eau entre verticalement et en sort horizontalement. Chaque turbine est couplée à un alternateurtriphasé, via un volant d'inertie[46].
Turbine Francis
Plan de coupe.
Exemples de roues (runners).
Exemple de turbine Francis, couplée à un alternateur.
Plan de coupe : circulation du fluide, entrée radiale, sortie axiale.
La régulation
Le volant d’inertie joue un rôle de stockage tampon d'énergie cinétique entre la production intermittente de la turbine et le réseau électrique, via l'alternateur. Dans une installation hydroélectrique, comprenant une turbine et un alternateur, celle-ci est soumise à une régulation automatique, la grandeur de sortie (grandeur réglée) doit être la plus proche possible de la valeur demandée (grandeur de consigne) soit une fréquence du courant de 50 Hz en France, et ceci malgré les diverses perturbations qui peuvent s'exercer sur elle.
Le rôle de la régulation est de maintenir la fréquence du réseau constante. Pour cela, le système de régulation agit sur le débit d'eau admis dans la turbine pour équilibrer la puissance fournie par la turbine et la puissance absorbée par le réseau, via l'alternateur. Ainsi, la régulation doit commander, les directrices (ou guide vanes), un organe de la machine capable de contrôler le débit d'eau entrant dans la turbine et ainsi de contrôler l'énergie transférée par l'eau à la turbine (processus d'asservissement).
Le bilan énergétique
Le barrage est la quatrième source d'électricité de Bretagne et contribue ainsi à réduire le déficit énergétique de cette région. Un projet de STEP (station de transfert d'énergie par pompage) d'une puissance de 700 MW n'a pu aboutir, car le pompage journalier remontant l'eau dans un bassin supérieur de 60 mètres d'altitude aurait créé un marnage de 5 mètres dans le lac, sans compter que le barrage joue un rôle important en tant qu'écrêteur de crue[47].
Bibliographie
A. Leson, Guerlédan, LaBretagne touristique n°12 du 15 mars 1923, pp.52-54
Auguste Leson, Mémoires du constructeur du barrage et de l'usine (1921-1937), Éditions des Montagnes Noires, 2002, 144 pages (ISBN978-2-913953-32-1)
Ernest et Gilles Blat, Guerlédan 1927-1931, un barrage s'élève, Éditions La Truite de Quénécan, 2015, 36 pages (ISBN978-2-9530086-9-2)[49]
Barrage de Guerlédan. Extraordinaire aventure. Saint-Aignan (Morbihan), Électrothèque de Guerlédan, s.d.
Gilles de Janzé, Guerlédan à sec, les écluses englouties, Éditions La Truite de Quénécan, 2015, 36 pages (ISBN979-10-94826-02-7)
Notes et références
Notes
↑« le concessionnaire sera tenu d’assurer à travers la chute de Guerlédan, à ses frais et sous sa responsabilité le passage des bateaux fréquentant le canal de Nantes à Brest et des marchandises qu’ils transportent ».
↑La réglementation française fixe l'obligation, aux exploitants de barrages de plus de 20 mètres de haut, de réaliser une inspection complète tous les dix ans (le précédent ETC avait été réalisé en 1995).
↑Afin de réaliser les travaux en toute sécurité et ne pas noyer les zones de chantier, la période de vidange a été définie en fonction des opérations à effectuer, en favorisant les périodes d'hydraulicité les plus faibles, situées entre mai et novembre, indique EDF. Entre mai et novembre, le débit naturel du Blavet est statistiquement assez faible pour pouvoir passer l'eau par un seul des deux conduits de fond, car l'eau doit impérativement continuer à traverser le barrage pendant les travaux, c'est à ce moment-là qu'il faut intervenir. Les travaux sur les deux conduits de fond sont réalisés successivement et demandent six mois d'intervention au total.
↑Entretien de la surface habituellement immergée, rénovation de deux vannes de fond, réfection de peintures, création d'un batardeau pérenne, permettant l'entretien, sans avoir l'obligation de vidanger la retenue.
↑Evacuation d'une crue au moyen de deux vannes permettant d’extraire jusqu’à 465 m3/s.