Le narrateur raconte qu'il y a « seize ou dix-sept ans » (ce qui renvoie aux alentours de l'année 1848), après avoir passé quinze jours à lire de la littérature à la mode, il avait ressenti le besoin de prendre l'air, « car le goût des mauvaises lectures engendre un besoin proportionnel du grand air et des rafraîchissants. »
Devant l'entrée du cabaret où il se rend, il rencontre un vieux mendiant qui demande l'aumône. Le « bon Démon » du narrateur (l'équivalent du Démon de Socrate, explique-t-il) lui enjoint alors de battre ce mendiant. Ce qu'il s'emploie alors à faire, jusqu'à ce que le mendiant se rebiffe et administre à son tour une correction à son agresseur. Ce dernier reconnaît alors que le vieillard est son « égal », partage avec lui la moitié de sa bourse et l'encourage à agir avec ses « confrères » de la même manière que le narrateur vient de le faire avec lui.
Une dernière phrase, supprimée lors de l'édition du poème à cause de la mort de Proudhon en 1865, portait : « Qu'en dis-tu, citoyen Proudhon ? »
Interprétation
Ce poème a donné lieu a de nombreuses interprétations divergentes, voire contradictoires : Benjamin Fondane, dans Baudelaire et l'expérience du gouffre (1947) y a vu l'expression d'une philosophie nietzschéenne, tandis que Charles Mauron en a donné une interprétation psychanalytique dans Le Dernier Baudelaire (1966). Plusieurs interprétations politiques ont également été avancées, qui varient considérablement suivant les convictions politiques que les critiques prêtent à Baudelaire, et qui les conduisent à voir dans « Assommons les Pauvres ! » tantôt une « réfutation sarcastique du socialisme de Proudhon » (Charles Mauron[2]), tantôt une incitation à la lutte des classes (Dolf Oehler[3]).
Benjamin Fondane, Baudelaire et l'expérience du gouffre, Seghers, 1947 (rééd. Éditions Complexe, 1995)
Charles Mauron, Le Dernier Baudelaire, Corti, 1966.
Steve Murphy, Logiques du dernier Baudelaire, Champion, coll. Essais, Paris, 2007.
Dolf Oehler, Le Spleen contre l'oubli. , Payot, coll. Critique de la politique, Paris, 1996.
Gretchen van Slyke, « Dans l'intertexte de Baudelaire et de Proudhon : pourquoi faut-il assommer les pauvres ? », in Romantisme, vol.14, no 45, 1984, p. 45-57. [lire en ligne]
Notes et références
↑Le titre du poème porte une majuscule à « pauvres », sans que l'on puisse véritablement dire si celle-ci est intentionnelle (elle insisterait alors sur la généralisation à l'ensemble des pauvres de l'anecdote contée dans la poème) ou si elle résulte de l'usage parfois aléatoire que Baudelaire faisait des majuscules (cf. Steve Murphy, Logiques du dernier Baudelaire, p.397, note 36.)
↑Cité par Steve Murphy, op. cit., p.406. C'est également le point de vue d'Henri Lemaitre dans son édition des Petits poèmes en prose pour les éditions Garnier Frères (1958).
↑Dans un article de 1975 (cf. Steve Murphy, op. cit., p.405. Les thèses de Dolf Oehler seront reprises dans son ouvrage Le spleen contre l'oubli, Juin 1848.)