En mathématique, un anneau noethérien est un cas particulier d'anneau, c'est-à-dire d'un ensemble muni d'une addition et d'une multiplication compatible avec l'addition, au sens de la distributivité.
L'approche consistant à étudier une question uniquement sous l'angle des propriétés spécifiques d'une structure d'anneau particulière s'est révélée fructueuse. Richard Dedekind l'a utilisée avec succès en arithmétique et David Hilbert en géométrie algébrique. En 1920-1921, Emmy Noether choisit un nombre plus limité de propriétés vérifiées par certains anneaux et démontre de nombreux résultats sur ceux-ci.
Le terme d'« anneau noethérien » apparait en 1943 sous la plume de Claude Chevalley[1].
En arithmétique, il est fréquent d'utiliser des anneaux d'entiers algébriques, comme l'anneau , qui est un exemple d'anneau d'entiers quadratiques non factoriel[2] donc non principal. Cependant, dans , tous les idéaux sont engendrés par un ou deux éléments. Plus généralement, dans tout anneau d'entiers algébriques d'un corps de nombres, les idéaux, à défaut d'être engendrés par un unique élément, le sont par un nombre fini d'éléments. Un anneau vérifiant cette propriété sera dit noethérien.
Cette configuration se retrouve en théorie des groupes. Si un groupe abélien (vu comme ℤ-module) est de type fini (c'est-à-dire admet une partie génératrice finie), tous ses sous-groupes sont des sous-modules de type fini. La propriété est la même, même si elle s'applique à un module et non plus à un anneau. Plus généralement, un module de type fini dans lequel tout sous-module est de type fini est dit noethérien. Cette propriété est un bon substitut de l'hypothèse de la dimension finie en algèbre linéaire.
De même qu'un corps commutatif est un espace vectoriel sur lui-même, il est possible de considérer un anneau A comme un A-module. Si l'anneau n'est pas commutatif, il existe alors deux produits externes différents. Soient λ un élément de A vu comme un scalaire et a un élément de A vu comme un vecteur, les deux produits externes associent respectivement à (λ, a) les vecteurs λ.a et a.λ. L'anneau A possède ainsi deux structures de A-module, l'une à gauche et l'autre à droite, qui coïncident si A est commutatif.
Une deuxième différence réside dans les sous-espaces vectoriels. Un corps n'en contient que deux : l'espace nul et le corps lui-même. Pour un anneau A, considéré comme A-module à gauche (resp. à droite), la notion de sous-module coïncide avec celle d'idéal à gauche (resp. à droite).
Un anneau A étant toujours supposé unitaire dans cet article, le A-module A possède une famille génératrice constituée d'un seul élément : l'unité (ou un élément inversible quelconque).
Noethérianité
La noethérianité se définit aussi simplement sur un module. La définition d'anneau noethérien devient alors un cas particulier, celui où l'anneau est considéré comme un module sur lui-même (à gauche ou à droite).
Un A-moduleM est dit noethérien si tout sous-module de M est de type fini
L'anneauA est dit
noethérien à gauche si tous ses idéaux à gauche sont de type fini ;
noethérien à droite si tous les idéaux à droite sont de type fini ;
noethérien s'il est noethérien à droite et à gauche.
Soit P un sous-module de M, le module M est noethérien si et seulement si P et M/P le sont.
Démonstration
Si le module M est noethérien, tout sous-module P l'est aussi : En effet, tout sous-module de P est un sous-module de M donc est de type fini.
Si le module M est noethérien, tout module quotient M / P l'est aussi : Soient Q un sous-module du quotient M / P, et R l'image réciproque de Q par la projection canonique de M dans M / P. Alors R est un sous-module de M donc possède une famille génératrice finie. L'image de cette famille par la projection canonique engendre Q, ce qui montre que le quotient est aussi noethérien.
Si le sous-module P et le module quotient M / P sont noethériens alors le module M l'est aussi : Soient R un sous-module de M, F une famille finie engendrant R∩P et G une famille finie engendrant l'image de R par la projection canonique de M dans M / P. Choisissons une famille finie H de vecteurs de R dont les projetés soient les éléments de G. Alors R est engendré par la famille finie F∪H.
On en déduit aussitôt :
tout produit fini de modules noethériens à gauche est noethérien à gauche ;
tout anneau quotient (par un idéal bilatère) d'un anneau noethérien à gauche est noethérien à gauche ;
tout module de type fini sur un anneau noethérien est noethérien[4],[5].
On dispose de quatre définitions alternatives et équivalentes de la notion de module noethérien (qui se traduisent immédiatement pour les anneaux)[6] :
Soit M un A-module. Les trois propriétés suivantes sont équivalentes :
1. M est noethérien ;
2. toute suite croissante de sous-modules de M est stationnaire ;
2 bis. toute suite croissante de sous-modules de type fini de M est stationnaire ;
3 bis. tout ensemble non vide de sous-modules de type fini de M admet un élément maximal pour l'inclusion.
Démonstration
1 ⇒ 2
Soit ( Mn ) une suite croissante de sous-modules de M. Notons N l'union de tous les modules Mn. Comme ils sont emboîtés, N est un sous-module. Par l'hypothèse 1, N admet une famille génératrice finie ( mj ). Chacun de ces vecteurs mj appartient à N, donc à l'un des Mn (et à tous les suivants) : il existe donc un indice nj tel que ce vecteur mj appartienne à tous les Mi pour i supérieur ou égal à nj. Soit n le maximum de la famille finie des indices nj, si i est plus grand que n alors Mi contient la famille ( mj ) et donc N. Ceci montre que la suite de sous-modules est constante à partir du rang n, donc stationnaire.
2 ⇒ 3
On raisonne par contraposée, on suppose donc qu'un ensemble non vide F de sous-modules ne possède pas d'élément maximal. On va définir une suite ( Mn ) strictement croissante d'éléments de F. Soit M0 un élément quelconque de F. On suppose la suite définie à l'ordre n, Mn n'est pas un élément maximal de F, on peut donc choisir dans F un élément Mn+1 contenant strictement Mn. Il existe alors une suite strictement croissante pour l'inclusion. Par contraposée, la proposition est démontrée.
2 bis ⇒ 3 bis
Même raisonnement, en remplaçant « sous-modules » par « sous-modules de type fini ».
3 bis ⇒ 1
La propriété 3 bis étant héréditaire (c.-à-d. vérifiée par tout sous-module de M dès qu'elle est vérifiée par M), il suffit de montrer que tout module M qui la vérifie est de type fini. Considérons l'ensemble F des sous-modules de type fini de M. Par l'hypothèse 3, F admet un élément maximal N. Montrons que M = N. Par construction, N est de type fini : il existe une famille finie (fi) qui l'engendre. Soit m un élément quelconque de M, considérons le sous-module P engendré par la famille constituée de m et des fi : P est de type fini donc appartient à F. Comme N est maximal et que P le contient, N est égal à P. En conséquence N contient le vecteur m. Comme m est un vecteur quelconque de M, N est égal à M, ce qui montre que le module M est de type fini.
Les propriétés 2 et 3 constituent la condition de chaîne ascendante sur les sous-modules de M. Elles permettent de démontrer le théorème de Krull dans le cas noethérien par une forme de l'axiome du choix moins élaborée que pour une démonstration dans le cas général d'un anneau commutatif : d'après la propriété 3 ci-dessus,
tout idéal propre est inclus dans un idéal maximal.
La décomposition des idéaux est plus délicate. Dans l'anneau commutatif principal ℤ par exemple, l'idéal 12ℤ est égal à la fois au produit des idéaux 2ℤ, 2ℤ et 3ℤ, et à l'intersection des idéaux 22ℤ et 3ℤ (qui est aussi leur produit). Dans un anneau commutatif seulement noethérien, trois propriétés s'en rapprochent (la première est utilisée dans l'article « Anneau de valuation discrète », la quatrième est le théorème de Lasker-Noether) :
Soit A un anneau commutatif noethérien.
Tout idéal de A contient un produit d'idéaux premiers, ou plus précisément, tout idéal I de A contient un produit d'idéaux premiers qui contiennent I[7].
Pour tout idéal de A, il existe un nombre fini d'idéaux premiers minimaux contenant cet idéal.
Tout idéal radiciel de A est intersection finie d'idéaux premiers.
Tout idéal de A est décomposable, c'est-à-dire intersection finie d'idéaux primaires.
Si A est de plus intègre alors il est atomique, c'est-à-dire que tout élément de A non nul et non inversible est produit d'un nombre fini d'éléments irréductibles[8].
Démonstrations
Tout idéal de A contient un produit d'idéaux premiers, ou plus précisément, tout idéal I de A contient un produit d'idéaux premiers qui contiennent I : Montrons la première assertion, par l'absurde. Soit F l'ensemble, supposé non vide, des idéaux de A qui ne contiennent aucun produit d'idéaux premiers (en particulier aucun produit indexé par un singleton, donc les éléments de F ne sont pas premiers, et aucun produit indexé par le vide, donc A n'appartient pas à F). Soit I un élément maximal de F. L'idéal I est propre et non premier. D'après une propriété caractéristique des idéaux non premiers, il existe donc deux idéaux J et K tels que I contienne le produit J.K mais soit strictement contenu dans J et K. Alors (par maximalité de I) les idéaux J et K n'appartiennent pas à F, donc chacun d'eux contient un produit d'idéaux premiers. Comme I contient leur produit, on aboutit à une contradiction, ce qui termine la démonstration du premier point. En raison de la correspondance biunivoque entre les idéaux premiers de l'anneau quotient A/I et ceux de l'anneau A contenant I, on déduit le second point du premier appliqué à l'idéal (0) de l'anneau A/I. Une preuve plus compliquée, mais instructive, est d'utiliser la décomposition primaire (énoncée dessous), en remarquant que le radical de tout idéal primaire est premier, et que dans un anneau noethérien, tout idéal contient une puissance de son radical.
Existence et finitude des idéaux premiers minimaux contenant un idéal I : On sait qu'il existe des idéaux premiers dont le produit est inclus dans I. Un idéal premier quelconque Q de A contenant I contient en particulier le produit des . Une propriété caractéristique des idéaux premiers indique que l'idéal premier Q contient l'un des . Ainsi, les éléments minimaux parmi les idéaux sont les idéaux minimaux contenant I.
Tout idéal radiciel de A est intersection finie d'idéaux premiers : Soit I un idéal radiciel de A. On sait qu'il existe des idéaux premiers tels que . Mais si alors , donc (radiciel), d'où l'égalité .
Tout idéal est intersection finie d'idéaux primaires : On montre en fait un peu mieux : dans un anneau noethérien, tout idéal est intersection finie d'idéaux irréductibles, et tout idéal irréductible est primaire.
Pour le premier point, on raisonne par l'absurde comme précédemment : soient F l'ensemble, supposé non vide, des idéaux de A qui ne sont pas intersection finie d'irréductibles, et I un élément maximal de F. Alors I est réductible donc égal à l'intersection de deux idéaux J et K dans lesquels il est strictement inclus. Par maximalité, J et K n'appartiennent pas à F, donc chacun d'eux est intersection finie d'irréductibles, d'où la contradiction.
Pour le second point, cf. Le défi algébrique, tome 2, de Claude Mutafian, p. 239, ou Bourbaki AC, chapitre II, § 2, exercice 22, ou encore (en) Oscar Zariski et Pierre Samuel, Commutative algebra, vol. 1, chap. IV, p. 209. (On pourra aussi consulter l'article Décomposition primaire, qui étend ce théorème aux modules de type fini sur un anneau noethérien, et la plupart des ouvrages de référence comme Lang 1965, ou Bourbaki AC chapitre IV, qui généralisent cela aux modules noethériens sur un anneau commutatif quelconque.)
Tout endomorphisme surjectif d'un module noethérien est un automorphisme[9].
Exemples
Premiers cas
Tout corps commutatif est manifestement noethérien, par absence d'idéaux non triviaux. Tout anneau principal est aussi noethérien car chaque idéal est engendré par un unique élément, ainsi ℤ, K[X] l'anneau des polynômes à coefficients dans un corps est noethérien. En revanche, lorsque c'est possible, il est plus simple de les étudier à l'aide d'une division euclidienne ou, ce qui est toujours possible, d'utiliser le théorème fondamental de l'arithmétique dans le cadre d'un anneau factoriel.
Tout anneau fini est noethérien, on trouve leur présence, par exemple dans le cadre de la géométrie algébrique ou de la théorie algébrique des nombres.
Soit A un anneau commutatif noethérien, l'anneau de polynômes A[X] est noethérien.
Elle se généralise aisément (par récurrence) au cas d'un nombre fini d'indéterminées :
Soient A un anneau commutatif noethérien et n un entier naturel, l'anneau de polynômes A[X1, … , Xn] est noethérien.
En revanche, un anneau de polynômes sur un nombre infini d'indéterminées n'est jamais noethérien (quel que soit l'anneau de coefficients) : la suite d'idéaux dont le n-ième est engendré par (X1, … , Xn) est croissante mais non stationnaire.
Comme exemple d'utilisation, on peut imaginer en géométrie une surface algébrique S définie comme l'ensemble des racines d'une famille infinie de polynômes à plusieurs indéterminées et sur un anneau noethérien. Le théorème de la base de Hilbert indique qu'il suffit de considérer une famille finie de polynômes pour définir S. En effet, l'ensemble des polynômes s'annulant sur S forme un idéal.
Par un argument similaire (portant sur les coefficients non nuls de plus bas degré au lieu des coefficients dominants), on démontre le théorème suivant (qui se généralise de même à plusieurs indéterminées)[11] :
Soit A un anneau commutatif noethérien, l'anneau de séries formellesA[[X]] est noethérien.
Si A est noethérien et intégralement clos alors B est un A-module de type fini.
(L'article « Élément entier » montre que B est un anneau. Clairement, il contient A et il est commutatif unitaire et intègre.) Remarquons que d'après cet énoncé, B est noethérien en tant que A-module, mais aussi en tant qu'anneau, puisque c'est un quotient d'un anneau de polynômes en un nombre fini d'indéterminées à coefficients dans A.
Théorème de Krull-Akizuki[14] — Soient A un anneau commutatif intègre noethérien dont tout idéal premier non nul est maximal, K son corps des fractions, L une extension finie de K, et B un sous-anneau de L contenant A. Alors B est noethérien, et tout idéal premier non nul de B est maximal. En outre, pour tout idéal non nul J de B, le A-module B/J est de type fini.
Classe des anneaux noethériens
La plupart des opérations algébriques conservent la noethérianité. Rappelons et complétons les exemples ci-dessus :
les corps et les anneaux principaux sont noethériens ;
tout quotient et produit direct fini d'anneaux noethériens est noethérien ;
tout anneau de polynômes à un nombre fini d'indéterminées sur un anneau noethérien est noethérien. Ainsi toute algèbre de type fini sur un anneau noethérien est noethérienne ;
tout localisé d'un anneau noethérien est noethérien ; plus généralement, si M est un A-module noethérien, tout localisé S−1M est un S−1A-module noethérien. (En effet, pour tout sous-module N de S−1M, on a N = (S−1A)(N ∩ M) ; on en déduit que toute suite croissante (Nn) de sous-modules de S−1M est stationnaire, puisque la suite (Nn ∩ M) l'est.)
le complété formel(en) d'un anneau commutatif noethérien pour la topologique I-adique (I un idéal de A) est noethérien ;
si un anneau noethérien est fini sur un sous-anneau (c'est-à-dire qu'il est de type fini comme module sur le sous-anneau), alors ce dernier est noethérien (théorème d'Eakin-Nagata(en)) ;
tout anneau est réunion croissante de sous-anneaux noethériens.
Par contre, en général,
un sous-anneau d'un anneau noethérien n'est pas noethérien (par exemple l'anneau de polynômes en une infinité d'indéterminées à coefficients dans un corps n'est pas noethérien, mais c'est un sous-anneau de son corps des fractions qui est noethérien) ;
un produit tensoriel d'anneaux noethériens n'est pas noethérien (prendre L le corps des fractions rationnelles à une infinité d'indéterminées à coefficients dans un corps K et considérer le produit tensoriel . Ce dernier n'est pas noethérien, alors que K et L le sont).
Notes et références
↑(en) Claude Chevalley, « On the Theory of Local Rings », The Annals of Mathematics, Second Series, Vol. 44, No. 4 (Oct., 1943), pp. 690-708.
↑L'équivalence entre 1, 2 et 3 est démontrée par exemple dans (en) Keith Conrad, « Noetherian modules », sur math.uconn.edu, Th. 1.7 (pour les modules) et Th. 3.2 (pour les anneaux commutatifs).
↑Dans ces deux énoncés on autorise bien sûr les répétitions d'un même idéal premier dans le produit (contre-exemple sinon, pour le second : l'idéal des multiples de 4, dans l'anneau des entiers).
↑Cette factorisation n'est en général pas unique même à multiplication près par des inversibles. Ainsi l'anneau noethérien A est factoriel si et seulement si ses éléments irréductibles sont premiers.
↑(en) Alberto Facchini, Module Theory : Endomorphism Rings and Direct Sum Decompositions in Some Classes of Modules, Birkhäuser, coll. « Progress in Mathematics » (no 167), , 288 p. (ISBN978-3-7643-5908-9, présentation en ligne), p. 46.
↑La preuve de Hilbert provoqua une vaste polémique à son époque. La preuve n'est en effet pas constructive. Gordan, spécialiste de la question, s'exclama : Ce n'est pas des mathématiques, c'est de la théologie, il finit quelques années plus tard par admettre cette preuve et indiqua : J'ai acquis la conviction que la théologie a aussi ses avantages (J. Boniface, Hilbert et la notion d'existence en mathématiques, Librairie Philosophique Vrin, 2004, chap. 2 p. 53 et chap. 1 p. 15 (ISBN2711616061)).