André Lebon, né le à Dieppe et mort le à Paris 6e, est un professeur, ministre et homme d’affaires français.
Enseignant en histoire et sciences politiques renommé en son temps, il a fait de la politique, avant de faire carrière dans les affaires. Certaines de ses publications sont signées « André Daniel[1] ».
Biographie
Jeunesse et études
Seul enfant du second mariage de Charles Lebon, fondateur de la Compagnie centrale d'éclairage par le gaz, franc-maçon et républicain, il doit se contenter d'un modeste héritage[2].
André Lebon est d'abord professeur de droit constitutionnel à l’École libre des sciences politiques[4], en 1884[7]. Il crée une conférence sur le fonctionnement du Parlement français au sein de l'école[8]. Il enseigne notamment à Austen Chamberlain[9].
Impliqué dans la vie de l'établissement, il est membre du comité de rédaction des Annales de l'École libre des sciences politiques, aux côtés d'Émile Boutmy, Léon Say, René Stourm et Alexandre Ribot[10].
Parcours politique
En 1882, il est nommé chef de cabinet du président du Sénat. Il conserve ce poste jusqu'en 1893[7]. Cette année-là, cet ardent partisan de la revanche, ce patriote républicain, devient député des Deux-Sèvres. Il conserve cette fonction jusqu'en 1898.
Durant cette période, il est nommé deux fois ministre. Il est d'abord ministre du Commerce, de l'Industrie, des Postes et Télégraphes du au dans le gouvernement Alexandre Ribot (3), puis ministre des Colonies du au dans le gouvernement Jules Méline.
Alors qu’il est ministre des Colonies, en 1896, il se retrouve sur le devant de la scène et devient la cible des dreyfusards qui lui reprochent d'être le « bourreau » du capitaine Dreyfus par les renforcements successifs du régime appliqué à son plus célèbre prisonnier (palissade, mise aux fers, correspondance arrêtée, etc.)[11]. La dureté de son attitude envers le capitaine Dreyfus lui vaut d’être traité de tortionnaire[12]. De tous ceux qui l’avaient fait souffrir, Lebon était le seul auquel Dreyfus conservait tout son mépris[13]. L’inhumanité du traitement infligé au capitaine au capitaine seront la cause de ses défaites électorales en 1898 et 1902[2]:411.
Franc-maçon, André Lebon appartenait à la Loge « Cosmos » de Paris.
Dérive affairiste de la colonisation française
Ministre des Colonies entre 1896 et 1898 et premier à y avoir effectué une visite, ce républicain ardent instaure en Afrique équatoriale, contre l'avis de son découvreur Brazza, un régime de concession qui se révèle sévère, rompant avec la tradition française d'administration directe.
En poste du au , juste avant l'affaire de Fachoda, ce ministre qui a été un des plus jeunes de la Troisième République confie en 1897 à une quarantaine de sociétés concessionnaires l'exploitation économique des 650 000 km2 du « Congo français », regroupant le Gabon, le Congo et l'Oubangui-Chari dont l'exploration et la conquête viennent d'être achevées.
Brazza s'oppose à sa décision, redoutant les conséquences pour les populations et, en , André Lebon l'écarte, le plaçant « dans la situation de mise en disponibilité », mais la suite va donner raison à l'explorateur : l'action des sociétés qui se partagent le territoire va décimer les populations, soumises au portage et aux travaux forcés, victimes de réquisitions violentes et de représailles à la moindre désobéissance[a].
Alors que l'Afrique-Occidentale française est soumise à l'administration directe des autorités officielles françaises, la décision d'André Lebon inaugure pour l'Afrique-Équatoriale française un régime de concession, proche de celui en vigueur au Congo belge voisin. Livrées aux appétits des sociétés capitalistes, véritables maîtresses de ces territoires, ces contrées et leurs populations connaîtront une exploitation féroce dont les premiers abus seront dénoncés peu de temps après son départ du ministère[réf. nécessaire].
Revenu en 1898 à la vie prive, Lebon entame une nouvelle carrière comme administrateur de diverses sociétés importantes, devenant un des premiers politiques à s'investir dans le monde de l'entreprise privée et un des dirigeants majeurs du capitalisme français. Il met son sens de l'organisation et des relations à étendre et développer l'influence des entreprises qu'il dirige.
Il est d'abord président du conseil d'administration du Crédit foncier d'Algérie et de Tunisie (qu'il préside pendant plus de trente ans) et des Messageries maritimes, de 1902 à 1914. Les Messageries Maritimes honoreront leur président en baptisant André Lebon un paquebot (lancé en 1913) qui aura une carrière aussi longue que mouvementée, (transport de troupe en 14-18, coulé puis renfloué à Singapour en 1919, réchappant au tremblement de terre de Yokohama en 1923, en sauvant 1500 réfugiés, réquisitionné par les Allemands en 39-45, coulé par l'aviation américaine puis renfloué en 1944, échoué en 1948 et remis à flot, et finalement démoli en 1952 [14]
Il administre d'autres établissements bancaires : le Crédit foncier de France, le Crédit foncier d'Orient, le Crédit foncier de Syrie, la Banque française de Syrie (vice-président). Il siège aussi au conseil d'administration d'autres entreprises dans le domaine des transports : la prestigieuse Compagnie du canal de Suez à partir de 1906 (vice-président en 1928), la Compagnie du PLM, qu'il préside à partir de 1934, Air France, à partir de 1933[15]. Il est également administrateur de la Compagnie générale des colonies et de L'Industrielle foncière[16]. Soucieux des intérêts économiques de son pays, il s'emploie cette fois à en développer l'influence en particulier dans la zone méditerranéenne. Il démissionne de la plupart de ses mandats en 1937[15].
Parallèlement, il entreprend une œuvre d’écrivain abondante et solide, dans laquelle les problèmes de politique extérieure occupent un rôle de premier plan. De nombreuses collaborations à des revues ont été ainsi appuyées par des ouvrages très différents[17].
André Lebon est un précurseur du syndicalisme patronal : il fonde en 1902 le Comité central des armateurs de France et en 1903 la Fédération des industriels et des commerçants français (FICF), première organisation visant à regrouper l'ensemble du patronat français. Il préside la FICF jusqu'en 1932[15].
Mort d’une congestion cérébrale[18], il a laissé à ses cinq enfants un portefeuille mobilier d'une vingtaine de millions de francs[15]. Il repose au cimetière de Clairefontaine-en-Yvelines, avec son épouse, née Zoe (« Zinka ») Paléologue (1857-1924), épousée en 1885, sœur de l'ambassadeur Maurice Paléologue, issue d'une famille fortunée de grands propriétaires roumains et d'industriels belges[2].
Le musée municipal Georges-Turpin de Parthenay conserve une reproduction en bronze du célèbre groupe sculpté Gloria Victis d'Antonin Mercié, offert à Lebon « par ses amis républicains ».
Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution (1648-1789), vol. VII Bavière, Palatinat, Deux-Ponts, 1889.
Voyage au Sénégal et au Soudan de M. André Lebon, Ministre des Colonies, Saint-Louis, Imp. Générale du gouvernement, , 219 p. (lire en ligne sur Gallica).
Problèmes économiques nés de la guerre, Paris, Librairie Payot & Cie, 1918, 274 p.
Notes et références
Notes
↑Armand Megglé, dans son ouvrage Afrique Équatoriale française, Société Française d'Éditions, 1931, professe un tel mépris à l'encontre de Lebon qu'il se refuse même à citer son nom :
« Dans le même temps [...], Brazza était rappelé en France et mis en disponibilité par un Ministre des Colonies que les hasards de la politique placèrent au Gouvernement de la France d'outre-mer. Quelques rares coloniaux seulement connaissent le nom de ce parlementaire qui a marqué son court passage au Pavillon de Flore, par la mesure odieuse qui plaçait en disponibilité à la date du 2 janvier 1898 cet homme admirable qui donna à la France l'immense empire centre-africain ».
Références
↑ a et bJean-Denis Bredin, L'Affaire, nouvelle édition refondue, Paris, Fayard/Julliard, 1993, p. 784, n. 10.
↑ ab et cJoël Dubos et Hervé Joly, « Famille Lebon », dans Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, , p. 410-1.
↑Qui êtes-vous?: Annuaire des contemporains; notices biographiques, C. Delagrave, (lire en ligne).
↑ a et bJoël Dubos, Aux origines du syndicalisme d'union patronale : André Lebon et la Fédération des industriels et des commerçants français, de la création en 1903 à la première Guerre mondiale, Atelier reprod. th. Univ. Lille 3, (lire en ligne).
↑Dominique Barjot, Industrie et politique en Europe occidentale et aux États-Unis : XIXe et XXe siècles, Paris, Presses Paris Sorbonne, (ISBN978-2-84050-422-1, lire en ligne).
↑Annales de l'École libre des sciences politiques, vol. 1, Félix Alcan, (lire en ligne).
↑Philippe Oriol, L'Histoire de l'affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, les Belles Lettres, 2014, p. 169-170, 192-193, 248-263.
↑« Le Tortionnaire André Lebon », La Tribune juive, Paris, vol. 20, no 9, , p. 139 (ISSN2419-5766, lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
↑Armand Charpentier, Les Côtés mystérieux de l’Affaire Dreyfus : les véritables origines de l’affaire, Paris, Rieder, , 3e éd., 335 p., in-16 (OCLC220436489, lire en ligne), p. 328.
↑« M. André Lebon est mort », La France extérieure et coloniale, Paris, vol. 2, no 7, , p. 3 (ISSN2778-0066, lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
Joël Dubos, André Lebon : un homme d’affaires en République (1859-1938), Presses universitaires de Rennes, coll. « Carnot », 2001, 400 p. (ISBN978-2-86847-586-2), (OCLC48182766).
Joël Dubos et Hervé Joly, « Famille Lebon », dans le Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion, 2010, p. 410-412.
« André Lebon (homme d'affaires) », dans le Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940), sous la direction de Jean Jolly, PUF, 1960 [détail de l’édition]