Sa poésie comprend des réécritures de poèmes antiques, des élégies personnelles, des poèmes philosophiques et des poèmes politiques marqués par le contexte révolutionnaire. L'œuvre inachevée de ce jeune poète du XVIIIe siècle, publiée progressivement à partir de 1819, a fait de lui une figure majeure de l'hellénisme en France[1] et un inspirateur du romantisme.
Durant la période révolutionnaire, il prend part aux polémiques politiques. Héritier des Lumières, il est membre du parti constitutionnel, admire la Révolution de 1789 mais prend violemment position contre le jacobinisme mené par Robespierre, tout en méprisant les royalistes.
Biographie
Enfance et adolescence
André Chénier est né à Galata, quartier de Constantinople (aujourd'hui Istanbul en Turquie), d’une mère grecque (Elisabeth Lhomaca)[2],[3] et d’un négociant français, Louis de Chénier. Sa famille rentre en France en 1765, mais son père repart bientôt seul pour être consul au Maroc[4] (ville de Safi). André fut élevé par sa tante Marie et son époux André Béraud, à Carcassonne[5],[6] où une cloche « l'Andréne » fut baptisée en son honneur à l'église Saint-Vincent. Il est admis en 1773 au Collège de Navarre, qui est ouvert aux idées nouvelles : l'histoire et la géographie sont inspirées de L'Essai sur les mœurs de Voltaire, et la philosophie s'inspire du sensualisme de Condillac[7]. Il se lie avec des fils de grandes familles, notamment Charles et Michel de Trudaine, ainsi que Louis et François de Pange, grâce auxquels il fréquente les milieux littéraires et aristocratiques. Plusieurs de ses poèmes sont dédiés à ces amis. Les Trudaine et les Pange sont par ailleurs proches de Turgot, des Lumières et des encyclopédistes. Tous ces amis ont Condorcet pour maître à penser[8].
Élisabeth Santi-Lomaca-Chénier.
La famille Chénier en 1783 à Paris.
André Chénier en 1773 (à 11 ans).
Activités poétiques
Pour l'arracher à un amour malheureux pour une chanteuse de l'Opéra (sa Lycoris), on lui propose un stage d'élève officier à Strasbourg en 1782. Mais il se voit fermer la carrière militaire comme roturier. Reportant désormais son ambition vers la poésie, quoique sans publier, il conçut de grands projets, avec l'espoir de devenir « l’Homère des modernes »[2]. Cependant, après un voyage en Suisse en 1784, il compose surtout des Élégies et des Bucoliques. L'imitation des modèles antiques[9] sert l'expression esthétique d'une inspiration orientée par sa passion pour la mondaine Michelle Guesnon de Bonneuil (appelée D'Azan ou Camille), puis par son amitié amoureuse pour la peintre italo-anglaise Maria Cosway, née Hadfield, épouse de Richard Cosway et courtisée par l'ambassadeur américain Thomas Jefferson.
À partir de , au retour d'un rapide et mystérieux voyage en Italie, il se consacre plus activement à une poésie philosophique et satirique, qui porte la marque du climat idéologique pré-révolutionnaire. Mais sa situation financière l'oblige à contenir sa combattivité. Engagé comme ambassadeur privé du marquis de la Luzerne, ambassadeur de France en Angleterre, il part pour Londres le en compagnie de Maria Cosway. Il y reste en service jusqu'en 1790, tout en prenant chaque été un congé à Paris.
Journalisme
Il contribue au Journal de la Société de 1789 qui édite une quinzaine de numéros[2]. À partir de 1791, il collabore, aux côtés de Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély et de François de Pange, au Journal de Paris, l'organe du parti constitutionnel. Il condamne la Terreur dans des articles critiques visant Jacques Pierre Brissot, et dans d'autres textes plus véhéments contre les Jacobins, notamment Robespierre et Marat[2]. Inquiété pour ces prises de position, il réussit à quitter Paris après le , partant du quartier du Sentier où il résidait chez ses parents. Au moment des massacres de septembre, il se rend à Rouen, puis au Havre, d'où il pourrait embarquer. Il refuse néanmoins d'émigrer et revient à Paris pour participer aux tentatives faites pour sauver Louis XVI de l'échafaud. Au printemps 1793, il se replie sur Versailles, d'où il se rend souvent à Louveciennes dans la propriété de ses amis Lecouteulx[2]. Discrètement amoureux de Françoise Lecouteulx, il compose pour elle la mélancolique série des Odes à Fanny[10].
Arrestation et condamnation
André Chénier est arrêté à Passy (dans l'actuelle rue Bois-Le-Vent[11]) le , alors qu’il rend visite à son amie Adélaïde Piscatory, marquise de Pastoret. Venant de Versailles, il est accompagné d'Émilie-Lucrèce d'Estat qui, comme lui, a participé à des achats de votes de conventionnels pendant le procès de Louis XVI[12]. Mlle d'Estat, maîtresse puis épouse de José Ocariz, l’ancien chargé d’affaires ayant rang d’ambassadeur espagnol à Paris avant la déclaration de guerre, et qui a supervisé cette vaste opération de corruption[Note 1], a conservé des papiers relatifs à cette affaire. Ce dossier très important qu'André Chénier a eu entre les mains est activement recherché par les comités de l’an II.
Sachant que Mlle d'Estat, dont le frère et la sœur viennent d’être guillotinés, est elle-même en danger, Chénier se met courageusement en avant, créant une situation confuse pendant laquelle Mlle d'Estat peut s’esquiver tandis qu’on l’emmène, lui, à la prison Saint-Lazare. Impliqué dans une affaire qui permet d’exécuter les suspects sans les entendre, il est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire pour avoir « recelé les papiers de l'ambassadeur d'Espagne ». Il est également accusé, comme « ex-adjudant-chef et chef-de-brigade » sous les ordres de Charles François Dumouriez, d'avoir écrit « un mémoire contre des habitants de la commune de Breteuil », alors qu'en réalité c'est son frère Sauveur Chénier qui en est l'auteur et qui est emprisonné à Beauvais[13].
À l'instar de Jean-Baptiste Coffinhal qui avait déclaré à Antoine Lavoisier lors de son procès : « La République n’a pas besoin de savants, ni de chimistes »[14], Fouquier-Tinville adresse à André Chénier la phrase suivante : « La République n'a pas besoin de poètes »[15]
S'adressant à Jean Antoine Roucher, il prononce ces paroles[16] avant de monter sur l’échafaud : « Je n'ai rien fait pour la postérité », ajoutant en désignant sa tête : « Pourtant, j’avais quelque chose là ! » ou : « C'est dommage, il y avait quelque chose là ! »[Note 2]. Son corps, parmi mille trois cents autres victimes de la Terreur et de la guillotine, est jeté place de la Nation, dans une fosse commune du couvent des chanoinesses, qui devendra plus tard le cimetière de Picpus[17].
On raconte qu'en attendant son tour devant l'échafaud, il lit une pièce de Sophocle. Lorsque le bourreau l'appelle pour lui attacher les mains, Chénier remet son livre en poche, non sans avoir corné la page[18],[19].
Son frère cadet, Marie-Joseph Chénier, écrivain et dramaturge, mène de pair une carrière politique. Après la mort d'André, les royalistes se livrent à une violente campagne diffamatoire contre Marie-Joseph, le traitant de Caïn et l’accusant faussement d’avoir laissé exécuter son frère, pour discréditer les républicains.
La Jeune Tarentine par René Iché, sculpture en marbre, 1932-34, L. 85 cm. Coll. privée, New-York (États-Unis).
Dans ses Poèmes de Fresnes écrits en prison d'où il attend son jugement en 1945, le collaborateurRobert Brasillach compare sa situation à celle d'André Chénier.
Les Poèmes d'André Chénier ont fait l'objet d'une édition enrichie de huit lithographies et d'illustrations à la sanguine par Berthold Mahn (sans nom d'éditeur, Paris, 1955).
Le souffle de la liberté (1955) (Titre original italien : Andrea Chénier), film franco-italien de Clemente Fracassi. Film romancé autour d'une histoire d'amour entre Chénier et une aristocrate au moment de la révolution française.
La glorieuse imposture (2021), roman de Christophe Gaillard, dont André Chénier est le personnage principal et vecteur permettant de se plonger dans le système révolutionnaire français.
Hommages
À Paris, dans le 2e arrondissement, une rue Chénier existe depuis 1864, à quelques pas du 97 rue de Cléry où est apposée une plaque commémorative.
À Versailles, une rue André Chénier existe dans le centre-ville. Elle est l'une des quatre rues périphériques de la place du marché Notre-Dame. Sur un plan de 1854, elle s'appelait rue des Fripiers[24], elle apparaît sous son nom actuel sur un plan de 1889[25].
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Des fonds débloqués par la cour d’Espagne, avaient été transférés de la Banque de Saint-Charles vers celle, à Paris, des Le Couteulx à Paris qui les mirent à la disposition de Chénier, Richer de Sérisy, Michel Regnaud de Saint-Jean d’Angély, Félix Le Peletier et autres distributeurs d’argent aux Conventionnels. Parmi ces derniers, Tallien.
↑« Tout le monde connait le mot d'André Chénier sur l'échafaud : “C'est dommage, dit-il en se frappant le front, il y avait quelque chose là !” » (Notes de Contre la peine de mort, Méditations Poétiques, Lamartine.)
Références
↑Émile Egger, L'Hellénisme en France, leçons sur l'influence des études grecques dans le développement de la langue et de la littérature françaises, Paris, Didier, , 2 vol. in-8° (BNF30395567), Tome II, p. 386 L'hellénisme en France, Tome II sur Google Livres
↑ abcd et eAndré Chénier, Georges Buisson (Éditeur scientifique) et Édouard Guitton (Éditeur scientifique), Œuvres poétiques, Orléans, Paradigme, coll. « Hologrammes », , 21 cm (ISSN1773-7036, BNF39982759), Tome I, Chronologie
↑André Chénier (préf. Henri de Latouche), Poésies de André Chénier, Paris, Charpentier et Cie, , XLVIII-283 p. ; 18 cm (BNF30232716)
↑ Louis Becq de Fourières, André Chénier. Sa vie et ses œuvres, introduction aux Poésies d'André Chénier, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », Paris, p. XIII-XIV.
↑ Jean Fabre, Chénier, l'homme et l’œuvre, Hatier, 1955, p. 13.
↑René Descadeillas, Bulletin n°91-92 de la Société des bibliophiles de Guyenne. La bibliothèque municipale de Carcassonne, le fond Chénier, Imprimerie Taffard, , p.36 à 41
↑Jean Fabre, Chénier, l'homme et l’œuvre, Hatier, 1955, p. 15-16
↑Jean Fabre, Chénier, l'homme et l’œuvre, Hatier, 1955, p. 16-17
↑Émile Egger, L'Hellénisme en France, leçons sur l'influence des études grecques dans le développement de la langue et de la littérature françaises, Paris, Didier, , 2 vol. in-8° (BNF30395567), Tome I, p. 7 L'hellénisme en France, Tome I sur Google Livres
↑Gustave Planche, « Poètes et romanciers modernes de la France », période initiale, , p. 218–235 (lire en ligne, consulté le )
↑André Chénier et Paul Lacroix (Éditeur scientifique), Œuvres en prose de André Chénier, augmentées d'un grand nombre de morceaux inédits et précédées d'une notice littéraire par Eugène Hugo et d'une notice historique contenant toutes les pièces relatives à son procès : Seule édition complète publiée sur les manuscrits autographes de l'auteur, Paris, C. Gosselin, , In-18, LVIII-332 p. (BNF30232746)
↑A. Demazière, Encyclopédie des mots historiques vrais et faux, Genève, Famot, 1980, p. 285.
« André Chénier et la dynamique constituante des affects », dans Jean-Noël Pascal (éd.), Lectures de Chénier : Imitations et préludes poétiques, Art d’aimer, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 31-46.
« André Chénier entre l’abeille et la harpe éolienne : enjeux poétiques et politiques de l’imitation inventrice » (Lire en ligne [PDF]).
« Le dilemme du peintre affligé. André Chénier et la cartographie de l’élégiaque », Cahiers Roucher-André Chénier, no 25 spécial sur l’Élégie, 2006, p. 91-118.
« Gémir en silence. Puissance des engagements hétérogènes d’André Chénier », Laurent Loty (éd), Littérature et engagement sous la Révolution française, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 163-191.
« La propriété poétique, c’est le vol de l’abeille. Éloge du copillage chez André Chénier », in Martial Poirson, Christian Biet et Yves Citton, Les Frontières littéraires de l’économie XVIIe-XIXe siècles, Desjonqueres, 2008, (ISBN2843211085).
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Catriona Seth, « J’écris ton nom », Lectures d’André Chénier. Imitations et préludes poétiques, Art d’aimer, Élégies, sous la direction de J.-N. Pascal, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 93-101.
Catriona Seth, « Les cheveux épars de la Muse », Europe no 921-922, janvier-, p. 219-236.
Catriona Seth, « André Chénier et Marceline Desbordes-Valmore : l’écho d’une voix fraternelle » in Cahiers Roucher - André Chénier no 9 (1989).
Émile Egger, L'hellénisme en France : leçons sur l'influence des études grecques dans le développement de la langue et de la littérature françaises, Paris, Librairie académique Didier, 1869 (deux articles sur A. Chénier, pages 331 à 385) lire en ligne
Robert Brasillach, Chénier, Fresnes 1945, La Pensée française 1947.