Il reste aujourd'hui le titulaire du plus grand nombre de mandats de président du Sénat (huit, soit 24 ans) et le seul président du Sénat à avoir assumé l'intérim de la présidence de la République.
Biographie
Origines et formation
Alain Poher, fils unique d'Ernest Poher, ingénieur des chemins de fer (1875-1936), et de Louise Souriau (1872-1960), est issu d'une famille originaire du Morbihan (Bretagne).
Alain Poher se marie à La Baule-Escoublac en 1938[5] à Jeanne Marie Rose Henriette Tugler (née le 26 février 1907 à Cahors et décédée le 20 avril 2004 à Ablon-sur-Seine)[6], fille d'un inspecteur principal de l'exploitation des chemins de fer, chevalier de la Légion d'honneur. Le couple a deux filles : Marie-Agnès Poher (1940), veuve de Jean-Pierre Joussain, et Marie-Thérèse Poher (1944-2002). Ils ont trois petits-enfants, qui ont relevé le nom de famille de leur grand-père Poher.
Alain Poher est un cousin éloigné de la chanteuse Berthe Sylva.
Durant la guerre, il est mobilisé, participant aux combats de la bataille de France du printemps 1940. Blessé et ayant échappé à l'opération Dynamo à Dunkerque, il rejoint dès 1941 le groupe Libération-Nord, qu'il anime au sein du ministère des Finances.
Chef des services sociaux du ministère de l'Économie à la Libération, il rejoint Robert Schuman, dont il devient le directeur du cabinet. Il travaille dès lors sur les questions européennes. De 1948 à 1952, il est commissaire général aux affaires allemandes et autrichiennes. De 1950 à 1952, il préside également l'Autorité internationale de la Ruhr. À partir de 1952, il siège à l'Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il devient également responsable de la commission préparatoire du Marché commun.
Premiers mandats locaux
En 1945, Alain Poher est élu maire de sa ville natale, Ablon-sur-Seine, située dans le département de Seine-et-Oise puis dans le Val-de-Marne après la réforme de 1964. Dans ce nouveau département contrasté, il incarne le Val-de-Marne d'essence provinciale, « versaillaise », comme il dit[7], par opposition à l'« autre Val-de-Marne », le Val-de-Marne « parisien », qui se situe dans une dynamique d'intégration métropolitaine.
Président du groupe sénatorial centriste
En 1946, Alain Poher est élu au Conseil de la République. Hormis un intermède entre 1948 – lorsqu'il entre au gouvernement – et 1952, il siège sans discontinuer à la haute assemblée jusqu'en 1995.
Le , bien qu'il ne se soit pas initialement porté candidat, Alain Poher est élu président du Sénat — chambre haute du Parlement français — à l'issue du troisième tour de scrutin, par 135 voix contre 107 à Pierre Garet et 22 à Georges Cogniot. Il devient ainsi le troisième personnage de l'État dans l'ordre constitutionnel. De 1972 à 1989, son directeur de cabinet est Bernard Guyomard[8].
Président de la République à titre intérimaire
En 1969, il fait activement campagne pour le « non » au référendum constitutionnel proposant notamment d’attribuer au Sénat un simple rôle consultatif. Le « non » l’ayant emporté, le président de Gaulle démissionne de l’Élysée au lendemain du scrutin, le . En vertu de l’article 7 de la Constitution, Alain Poher est ainsi chargé d'exercer la fonction de président de la République à titre intérimaire. Il décide alors de se porter candidat à la succession du fondateur de la Cinquième République avec le soutien de la droite non gaulliste et de nombreux centristes[9].
Au premier tour de l'élection présidentielle anticipée, il arrive en deuxième position avec 23,3 % des suffrages exprimés, derrière l'ancien Premier ministre du général de Gaulle Georges Pompidou. Dans l'entre-deux-tours, il reçoit le soutien de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO)[10]. Le candidat du Parti communiste français, Jacques Duclos, arrivé seulement deux points derrière le président du Sénat, refuse de choisir entre « bonnet blanc et blanc bonnet ». Le , dans un contexte d’abstention inhabituelle en France, Alain Poher est nettement battu par Pompidou, recueillant 41,8 % des voix. Le suivant, il transmet le pouvoir au nouveau président de la République.
Le , il est de nouveau appelé à assumer l'intérim présidentiel, après la mort du président Pompidou. Il ne se présente pas à l’élection présidentielle anticipée et assure l’intérim jusqu'à l'élection du centriste Valéry Giscard d'Estaing à l'Élysée. Au total, Alain Poher a assuré la fonction de chef de l’État intérimaire pendant 108 jours (53 jours en 1969 et 55 en 1974).
Record de longévité au « plateau » et influence sur le Conseil constitutionnel
Entre 1971 et 1992, à l'issue des renouvellements sénatoriaux par tiers — qui reconduisent systématiquement la majorité de la droite et du centre —, Alain Poher est réélu président de la haute assemblée.
En 1971, il saisit le Conseil constitutionnel, qui annule la loi sur la liberté d'association de Raymond Marcellin et René Pleven. Si cet événement marque « la seconde naissance » de l’institution, selon les termes du professeur Pierre Avril, il est également à comprendre dans la propension d'Alain Poher d'intégrer le Conseil constitutionnel aux rouages du calcul politique[11]. Cette propension s'est également manifestée lors de sa nomination de Gaston Monnerville au Conseil constitutionnel, en février 1974 : pour François Goguel, autre membre du Conseil constitutionnel, la décision d'Alain Poher de nommer son prédécesseur ne pouvait être interprétée que « comme liée à son désir d’obtenir en octobre prochain, pour le renouvellement de son mandat, le soutien des radicaux de gauches et des socialistes »[11].
Sous les présidences Pompidou et Giscard d’Estaing, il loue la modération du Sénat. Mais à partir de 1981, avec l’arrivée au pouvoir des socialistes conduits par François Mitterrand, les échanges à la chambre haute sont plus conflictuels, principalement en raison de l’accroissement du groupe gaulliste du RPR, alors présidé par Charles Pasqua. C’est notamment le cas lors des débats autour du projet de loi Savary et du projet d'extension du champ du référendum. D’une façon générale, la majorité sénatoriale s’oppose de façon quasi-systématique aux propositions émanant de la gauche[12].
En vue de l’élection à la présidence du Sénat de 1989, une majorité de sénateurs UDF votent contre une nouvelle candidature d’Alain Poher, âgé de 80 ans et physiquement affaibli. Le groupe du RDE refuse également de lui apporter son soutien[a]. Cependant, Charles Pasqua, qui souhaite maintenir son influence sur le « plateau » mais se pense trop clivant pour y être élu avant 1992, fait pression pour que le président sortant se représente ; celui-ci se défend alors des accusations selon lesquelles il serait « l'homme de Pasqua »[13]. Pour la première fois, Alain Poher est ainsi mis en difficulté : s’il reçoit l’appui de quelques sénateurs centristes[b], il n’est officiellement soutenu que par le groupe RPR. Au premier tour de scrutin, il recueille 115 suffrages, loin des 159 requis pour la majorité absolue. Au second tour, alors que les centristes ont décidé de soutenir René Monory (UDF-CDS, comme lui), il perd sept voix. À l'issue du troisième vote, il parvient finalement à être réélu, avec une majorité relative de 127 voix, contre 111 à Pierre-Christian Taittinger (UDF-PR)[14].
Le huitième et dernier mandat d’Alain Poher, lors duquel il tombe malade, est considéré comme étant celui de trop. Le journaliste Renaud Dély estime ainsi qu’il « laissa le Sénat s'assoupir avec lui »[12]. À la suite du renouvellement de 1992, René Monory est élu à la présidence du Sénat après être parvenu à devancer Charles Pasqua au premier tour. Alain Poher lui cède alors son siège, qu’il détenait depuis vingt-quatre années. Il quitte le Sénat en 1995, ne briguant pas un nouveau mandat parlementaire. Alain Poher a été sénateur durant 45 ans, un record pour la chambre haute du Parlement français. Il meurt l'année suivante des suites d'un cancer, à 87 ans.
Prises de position
Durant toute sa carrière, Alain Poher défend vigoureusement le Sénat, dont l’intérêt est souvent discuté dans le débat public. Il présente cette assemblée comme une « chambre de réflexion et de dialogue » par opposition à l'Assemblée nationale[12].
Dès le début de son parcours, Alain Poher manifeste de très fortes convictions européennes. Il tente de convaincre de Gaulle de renoncer au référendum sur la réforme du Sénat en 1969[réf. nécessaire].
Alain Poher profite de son second intérim à la présidence de la République pour déposer les instruments de ratification de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette convention signée par la France en 1950 n'avait jamais été ratifiée à cause du pouvoir gaulliste. C'est avec en mémoire la conviction de son mentor, Robert Schuman, qu'Alain Poher a ratifié, en qualité de président du Sénat chargé d'exercer provisoirement les fonctions de président de la République, la convention. Il vient symboliquement en témoigner lors des 25 ans du Conseil de l'Europe le . Il veille à la régularité des opérations électorales de 1974 dans la France d'outre-mer qui pouvait jouer un rôle décisif pour départager Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand lors de l'élection présidentielle. Il préside les cérémonies marquant le centenaire du Sénat en 1975. Avec la gauche au pouvoir dès 1981, il s'efforce au dialogue mais en 1984, il rejette la révision constitutionnelle sur les libertés proposée par Laurent Fabius.
Détail des mandats et fonctions
À la présidence de la République
Chargé des fonctions de président de la République par intérim du au et du au .
↑Alors que seul Louis Brives, sénateur du Tarn, se prononce en faveur d’Alain Poher, le RDE choisit de présenter Étienne Dailly à la présidence du Sénat[13].
↑Alain Poher bénéficie notamment du soutien public de Jean Cluzel, sénateur de l’Allier, et d’André Fosset, élu dans les Hauts-de-Seine[13].
↑Film documentaire en ligne, sur le Val-de-Marne, réalisé à l'occasion de la parution du livre Val-de-Marne : Anthologie 1964 - 2014 paru aux éditions de l'Atelier en 2014 et dirigé par Emmanuel Bellanger (chercheur CNRS) et Julia Moro (Archives départementales du Val-de-Marne). La personnalité d'Alain Poher, qui incarne le Val-de-Marne d'essence provinciale y est cité à plusieurs reprises.