Le réseau d'aires protégées de l'Éthiopie couvre environ 10 % de son territoire. L'Autorité éthiopienne de conservation de la faune sauvage (EWCA) gère 14 parcs nationaux et sanctuaires, et réglemente l'utilisation de la faune sauvage dans tout le pays. D'autres aires protégées, dont un certain nombre de parcs nationaux, de réserves naturelles, d'aires de chasse réglementée et de zones forestières prioritaires, sont gérées par diverses autorités régionales dans les différents États de la fédération.
La biogéographie de l’Éthiopie est principalement caractérisée par la région montagneuse des hauts plateaux abyssins et par la région aride de la Corne de l'Afrique. Ces deux zones sont considérées comme des points chauds de biodiversité d'importance mondiale en raison de leurs niveaux élevés d'endémisme. Les aires protégées servent de refuges aux espèces et aux processus écologiques qui ne peuvent survivre dans des milieux gérés de manière intensive. Dans les hautes terres, elles abritent en outre les principaux bassins versants des basses terres arides, ce qui rend ces dernières dépendantes de la bonne gestion et de la protection de ces ressources hydriques. Les aires protégées font ainsi partie intégrante du développement durable de l'Éthiopie et fournissent des avantages essentiels aux communautés locales ainsi qu'à l'économie nationale dans son ensemble.
L'efficacité globale de la gestion de la plupart des aires protégées est cependant faible, car beaucoup d'entre elles ne sont pas légalement enregistrées, reçoivent un financement insuffisant, manquent de personnel ou sont mal équipées. Par conséquent, elles n'assurent souvent qu'un faible niveau de conservation de la riche biodiversité éthiopienne.
Histoire et législation
Selon la tradition, l'un des tout premiers efforts de conservation de la nature en Éthiopie aurait eu lieu sous le règne de l'empereur Zara Yaqob (1434-1468). Ayant constaté que la forêt des monts Menagesha, à l'ouest de l'actuelle Addis-Abeba, avait été dévastée dans les temps anciens, ce dernier aurait ordonné qu'elle soit reboisée. Des graines de tidh (Juniperus procera) auraient ainsi été collectées dans la forêt de Wof-Washa et semées en parcelles préparées, puis un édit de l'empereur aurait ensuite interdit l'abattage des arbres dans ce qui constitue aujourd'hui la forêt nationale de Menagesha[1].
En 1908, Menelik II émet un décret comportant neuf articles et interdisant strictement la chasse aux jeunes éléphants. Ce premier acte législatif stipulait notamment que le poids total des deux défenses obtenues en trophée ne devait pas être inférieur à 17 kg[2]. Enfin, un règlement sur la préservation du gibier est proclamé le , visant à garantir que certaines espèces ne soient pas chassées outre mesure[3].
La nécessité d'établir des aires protégées en Éthiopie n'émerge cependant que dans les années 1960. La création des premiers parcs nationaux, ceux du Simien et de parc national de l'Awash, survient après une visite de l'UNESCO en 1964-1965, dont c'est la principale recommandation. L'ordonnance sur la conservation de la faune sauvage no 65 de 1970 fonde l'Ethiopian Wildlife Conservation Organization (Organisation éthiopienne de conservation de la faune sauvage, EWCO), responsable de la création et de la gestion des aires protégées[3]. Celle-ci établit 9 parcs nationaux, 4 sanctuaires, 7 réserves de faune sauvage et 18 aires de chasse réglementée, entre 1965 et 1980[4]. Elle est ensuite remplacée sous le régime du Derg par la Forest and Wildlife Conservation and Development Authority (Autorité de conservation et de développement des forêts et de la faune sauvage, FWCDA), proclamée en 1980 et dirigée par un conseil réunissant cinq ministères, la commission du tourisme et l'association nationale des paysans[5]. En comparaison, l'Ethiopian Wildlife Conservation Authority (Autorité éthiopienne de conservation de la faune sauvage, EWCA), fondée en 2007, est relativement peu puissante. D'abord placée sous le ministère de l'Agriculture, elle est transférée l'année suivante au ministère de la Culture et du Tourisme[6], puis, en 2018, à une commission de l'environnement, des forêts et du changement climatique. Son effort de conservation est limité à la gestion de quelques parcs nationaux, sans droit d'en établir de nouveaux, alors que plusieurs parcs, forêts communautaires, sanctuaires et réserves naturelles ont été transférés aux gouvernements régionaux. La plupart des parcs ont été établis pour les grand mammifères iconiques, et l'Autorité ne mentionne jamais la flore dans ses textes fondateurs. Une approche écosystémique de la conservation fait ainsi défaut pour relever les défis des aires protégées éthiopiennes[3].
Types de protection
Les aires protégées en Éthiopie représentent environ 8 % de la superficie du pays, avec de nombreuses variations de typologie, de niveau de gestion et de statut de protection effective.
D'après la legislation éthiopienne, le parc naturel est défini comme une zone désignée pour conserver la faune et les ressources naturelles associées afin d'en préserver la valeur pittoresque et scientifique, alors que le sanctuaire est plus spécifiquement destiné à la protection d'une ou plusieurs espèces d'animaux sauvages dont la conservation est hautement prioritaire. Le gouvernement fédéral est chargé de désigner et d'administrer les parcs et sanctuaires d'importance nationale ou mondiale, connus pour leur riche biodiversité, ou abritant des espèces endémiques ou menacées, ainsi que les aires protégées situées entre deux régions ou en zone transfrontalière. En 2021, l'EWCA était ainsi chargé de la gestion de 12 parcs nationaux et 2 sanctuaires. Une dizaine d'autres parcs nationaux sont quant à eux administrés par les autorités régionales[7].
Les réserves de biosphère sont des zones d'écosystèmes qui sont reconnues au niveau international dans le cadre du programme de l'UNESCO sur l'homme et la biosphère (MAB) et établies pour promouvoir et démontrer une relation équilibrée entre les humains et la biosphère. Elles sont désignées par le conseil international de coordination du programme MAB à la demande de l'État concerné, et restent sous la juridiction souveraine de ce dernier. En d'autres termes, il incombe à chaque pays de fixer ses propres critères et d'appliquer la législation qu'il juge nécessaire pour que ses réserves fonctionnent de manière satisfaisante[10].
Les réserves de biosphère sont organisées en trois zones interdépendantes[10] :
une ou plusieurs aires centrales légalement constituées et vouées à une protection à long terme ;
une ou plusieurs zones tampons clairement identifiées contiguës à l'aire centrale, où seules les activités compatibles avec les objectifs de conservation peuvent avoir lieu ;
une aire de transition extérieure où les pratiques de gestion durable des ressources sont encouragées et développées.
Dans le contexte éthiopien, les réserves de biosphère sont proclamées et administrées au niveau régional. Les aires centrales sont exclues de toute utilisation, sauf à des fins de recherche et de surveillance. Les zones tampons sont gérées par les membres de la communauté locale pour la récolte de produits forestiers non ligneux tels que le café, les épices ou le miel. Les aires de transition représentent des zones où les activités humaines intensives sont exercées pour améliorer les moyens de subsistance des communautés vivant à proximité : terres agricoles, pâturages, zones de peuplement, jardins, petites plantations et exploitations de café semi-forestières[11].
Les réserves de faune sauvage (Wildlife reserves) se distinguent des parcs nationaux et des sanctuaires en ce qu'elles sont toutes administrées au niveau régional, et qu'elles admettent les établissements et les activités humaines[7]. Plus précisément, la législation en vigueur stipule que les personnes qui résidaient dans la réserve avant la date de sa création, peuvent y rester, et que les autres peuvent s'y établir moyennant une autorisation spéciale. Les habitants ont par ailleurs le droit de cultiver leurs parcelles (sans pour autant les étendre), de laisser leurs animaux domestiques paître et s'abreuver, et de pratiquer l'apiculture. Ils peuvent cependant être réinstallés ailleurs si l'organe qui administre la réserve souhaite développer la zone[12].
Les aires de chasse réglementée sont des zones désignées pour la conservation de la faune et pour la pratique d'une chasse légale et contrôlée[14]. Celle-ci est régie par l'EWCA, qui délivre les permis et fixe les quotas annuels, en collaboration avec les gouvernements régionaux. La législation distingue les aires de chasse réglementée, pour lesquelles les sociétés de safari peuvent obtenir des concessions de cinq ans, et les aires de chasse ouverte où les quotas sont partagés entre plusieurs pourvoyeurs. Les droits de trophée sont payés à l'avance et ne sont pas remboursables, même si l'animal n'est pas abattu[15]. Les quotas de prélèvements annuels sont déterminés tous les trois ans et tiennent compte des recensements réalisés sur le terrain pour une liste de 54 animaux sauvages et de 49 oiseaux. Le prix des trophées est fixé par la législation et va de 50 dollars américains (USD) pour un Porc-épic commun à 15 000 USD pour un Nyala de montagne[16]. Cette espèce endémique est, avec le Guib de Ménélik, le principal objectif pour les chasseurs étrangers en Éthiopie, et jusqu'à 40 permis sont alloués chaque année. Parmi les big five, le Léopard, le Lion et le Buffle d'Afrique peuvent être chassés, mais les quotas sont très limités (respectivement 5, 2 et 18 par année)[15]. L'Éléphant de savane et le Rhinocéros noir font quant à eux partie des 47 espèces protégées dont la chasse est interdite sur tout le territoire. La chasse des femelles et des juvéniles est elle aussi prohibée[17]. Le tourisme cynégétique a rapporté 2 555 883 USD en 2018 et 2 687 112 USD en 2019, ce qui représentait respectivement 83 % et 66 % du total des recettes liées à la faune sauvage. Ces revenus sont partagés entre le Trésor fédéral (15 %) et les régions (85 %), dans des proportions de 15% pour le Trésor fédéral et 85% pour les régions, lesquelles en font bénéficier les communautés locales par le biais de projets de développement[18].
Liste des aires de chasse réglementée (ACR) et des aires de chasse ouverte (ACO)[19],[20]
Les aires naturelles protégées par les communautés (Community Conservation areas, CCA) fonctionnent selon un modèle de gouvernance impliquant les communautés qui vivent dans, ou à proximité de l'aire protégée. La législation indique que les communautés locales peuvent posséder des aires protégées et les gérer pour une utilisation durable, sur autorisation des régions concernées[21]. Elles s'engagent en contrepartie à entreprendre des activités de développement qui ne nuisent pas aux ressources naturelles de la zone et à former le personnel nécessaire à la conservation de la faune[22]. L'utilisation durable des ressources comprend également la chasse réglementée sur la base de quotas et cette option est appliquée par la plupart des CCA[23]. Seule l'aire de Menz Guassa n'y a pas recours et tire plutôt ses revenus de l'écotourisme : randonnée, escalade, observation ornithologique, etc.[24]
Liste des aires naturelles protégées par les communautés[19],[8]
Les changements dans l'utilisation des terres, principalement pour l'agriculture, le surpâturage, la dépendance des communautés vis-à-vis de la forêt pour l'énergie et les moyens de subsistance, les pratiques d'exploitation inappropriées, le changement climatique et de nombreux autres facteurs ont entraîné une déforestation massive en Éthiopie. En réponse à cette situation alarmante, le ministère de l'Agriculture a proposé en 1980 une liste de 58 zones forestières nationales prioritaires (National Forest Priority Areas, NFPA), destinées à la gestion durable. Les terres couvertes par ces zones comprenaient des futaies et des plantations, ainsi que des terres non boisées[25]. Lors du passage au système fédéral, la responsabilité de l'établissement légal, de l'administration et de la gestion des NFPA a été transférée aux bureaux régionaux de l'agriculture. Un nombre restreint de ces forêts ont effectivement été inventoriées, délimitées et légalement proclamées, et très peu d'entre elles disposent de plans de gestion. La majorité sont fortement déboisées et fragmentées en raison du défrichement et de la conversion de l'occupation du sol pour l'expansion de la petite agriculture, de la promotion d'investissements commerciaux à grande échelle, de l'extraction et de la collecte illégales de produits forestiers, de l'installation humaine dans les zones forestières, des feux de forêt et du développement des réseaux routiers et des infrastructures[26].
Liste des zones forestières nationales prioritaires[27],[28]
↑ a et bLe nombre et la superficie totale de certains types d'aires protégées varient en fonction des sources, notamment en raison du statut peu clair de certaines zones. Les chiffres présentés ici ne prennent en compte que les aires protégées présentées dans l'article.
↑ abcde et fÀ la suite de deux référendums tenus respectivement en 2019 et en 2021, deux nouvelles régions ont été séparées de la Région des nations, nationalités et peuples du Sud (RNNPS) : Sidama et Éthiopie du Sud-Ouest. Les modalités de transfert ou de partage des aires protégées situées dans ces nouvelles entités n'ayant pas été discutées ou résolues, seule la RNNPS est citée ici, en accord avec les sources disponibles.
↑ a et bLa réserve de faune sauvage d'Alledeghi a été érigée en parc national en 2014, avec des délimitations revues. Le nouveau parc n'a cependant pas encore été officiellement proclamé[9].
↑(en) Richard Pankhurst, « The History of Deforestation and Afforestation in Ethiopia Prior to World War I », Northeast African Studies, vol. 2, no 1, , p. 119–33 (JSTOR41931194).
↑(en) Tesfaye Hundessa, « Utilization of wildlife in Ethiopia », Walia, no 17, , p. 3-10 (lire en ligne).
↑ ab et c(en) Habte Jebessa Debella, « “Command and Control”: 75 Years of Quasi Wildlife Policy Analysis of Ethiopia », Journal of International Wildlife Law & Policy, vol. 22, no 1, , p. 33–54 (DOI10.1080/13880292.2019.1611217).
↑(en) Michael J. Jacobs et Catherine A. Schloeder, Impacts of
Conflict on Biodiversity and Protected Areas in Ethiopia, Washington, D.C., WWF, (lire en ligne)
↑(en) Daniel Worku, « Ecotourism Potentials of the Proposed Hallaideghe Asebot National Park, Northern Rift Valley of Ethiopia », Journal of Tourism, Hospitality and Sports, vol. 46, , p. 16-23 (DOI10.7176/JTHS/46-02).
↑(en) Endalkachew Teshome, Fikadu Shita et Firdyiwok Abebe, « Current community based ecotourism practices in Menz Guassa community conservation area, Ethiopia », GeoJournal, vol. 86, no 5, , p. 2135–2147 (DOI10.1007/s10708-020-10179-3).
(en) Yilma D. Abebe, A glimpse at biodiversity hotspots of Ethiopia : the essential directory for environment and development, Addis-Abeba, Ethiopian Wildlife and Natural History Society, , 94 p.
(en) Mekbeb E. Tessema, Robert J. Lilieholm, Zelealem T. Ashenafi et Nigel Leader-Williams, « Community Attitudes Toward Wildlife and Protected Areas in Ethiopia », Society & Natural Resources, vol. 23, no 6, , p. 489–506 (DOI10.1080/08941920903177867).
(en) Anke Fischer, Yitbarek Tibebe Weldesemaet, Mikołaj Czajkowski, Degu Tadie et Nick Hanley, « Trophy hunters’ willingness to pay for wildlife conservation and community benefits », Conservation Biology, vol. 29, no 4, , p. 1111–1121 (DOI10.1111/cobi.12467).
(en) Mengist Wondimagegn, « Challenges of Protected Area Management and Conservation Strategies in Ethiopia: : A Review Paper », Advances in Environmental Studies, vol. 4, no 1, , p. 277-285 (DOI10.36959/742/224).
(en) Namaga Simeneh Admasu, Tadele Hadis, Tessema Mekbeb et Tefera Zelealem, « Underfunding, the Challenge of Federally Managed Protected Areas of Ethiopia », Advances in Environmental Studies, vol. 4, no 2, , p. 307-317 (DOI10.36959/742/227).
Rapports
(en) Matthias Reusing, Monitoring of Forest Resources in Ethiopia, Addis-Abeba, Département de gestion et de réglementation des ressources naturelles du ministère de l'Agriculture de l'Éthiopie, en coopération avec l'Agence allemande de coopération technique (GTZ), , 61 p. (lire en ligne).
(en) James Young, Ethiopian Protected Areas : a ‘snapshot’, Addis-Abeba, , 46 p.
(en) Daan Vreugdenhil, Astrid M. Vreugdenhil, Tamirat Tilahun, Anteneh Shimelis et Zelealem Tefera, Gap analysis of the protected areas system of Ethiopia, Addis-Abeba, Ethiopian Wildlife Conservation Authority, , 188 p.
Autorité éthiopienne de conservation des espèces sauvages (EWCA), Examen du quota du léopard (Panthera pardus) d’Éthiopie fixé en application de la résolution Conf. 10.14 (Rev. CoP16), et des avis de commerce non-préjudiciable en application de la décision CITES 18.165, Addis-Abeba, , 22 p. (lire en ligne).
(en) Ministère de l'environnement, des forêts et du changement climatique de la république démocratique fédérale d'Éthiopie, Cadre de processus pour la mise en œuvre du programme national REDD+ en Éthiopie [« Process Framework for the Implementation of the National REDD + Program in Ethiopia »], Addis-Abeba, , 84 p. (lire en ligne [PDF]).
(en) Ministère de l'environnement, des forêts et du changement climatique de la république démocratique fédérale d'Éthiopie, Programme national de développement du secteur forestier, 2016-2025 [« National Forest Sector Development Program »] (3 volumes), Addis-Abeba, (présentation en ligne).
Législation
(en) Gouvernement militaire provisoire de l'Éthiopie socialiste. « Forest and Wildlife Conservation and Development Proclamation No. 192/1980 », [lire en ligne].
(en) République démocratique fédérale d'Éthiopie. « Development Conservation and Utilization of Wildlife Proclamation No. 541/2007 », [lire en ligne].
(en) République démocratique fédérale d'Éthiopie. « Ethiopian Wildlife Development and Conservation Authority Establishment Proclamation No. 575/2008 », [lire en ligne].
(en) République démocratique fédérale d'Éthiopie. « Wildlife Development, Conservation and Utilization Council of Ministers Regulations No. 163/2008 », [lire en ligne].