L'abbaye Sainte-Marie de Lagrasse est une abbaye située dans la commune de Lagrasse dans le département de l'Aude en région Occitanie.
Monastère bénédictin du VIIIe siècle au XVIIIe siècle, l'abbaye est vendue comme bien national à la Révolution française et coupée en deux lots. Ses bâtiments sont presque laissés à l'abandon et très dégradés au cours du XIXe siècle, mais l'abbaye fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le [1]. Les premières campagnes de restauration commencent en 1932, d'autres sont entreprises par les chanoines, et deux tentatives de retour à la vie religieuse sont faites mais ne perdurent pas.
Sa « grande partie » est rendue à la vie religieuse en 2004 lors du rachat par la communauté des chanoines réguliers de la Mère de Dieu, tandis que la part médiévale du monastère, la « petite partie », devient propriété du département.
Histoire
Le monastère primitif, fondé à une date inconnue, est reconstruit par l’abbéNimphibius en 779 en un lieu nommé alors « Novalius ». La nouvelle abbaye reçoit la protection de Charlemagne à partir de cette date. Son allégeance jouera un grand rôle dans le rayonnement temporel et spirituel de l'abbaye du IXe siècle au XIe siècle. Ses possessions s’étendent de l’Albigeois jusqu’à Saragosse. Le texte de la charte de fondation daté du est conservé aux archives départementales de l'Aude[2]. Un manuscrit intitulé « La légende de Philomena » de la première moitié du XIIIe siècle, dont deux exemplaires en latin et deux en langue d'oc, existe encore aujourd'hui, décrit la fondation du monastère, les miracles et la consécration miraculeuse de l'église[3],[4].
Au cours des XIIe et XIIIe siècles, pendant la répression contre les cathares, les abbés de Sainte-Marie jouent un rôle d’apaisement. C’est grâce à eux que les cités de Béziers et de Carcassonne retrouvent la paix avec le roi et l’Église. Saint Louis leur en sera reconnaissant.
En 1226, Guillaume de l'Isle, abbé de l'abbaye Saint-Pons de Thomières, fut nommé avec les abbés de l'abbaye de Lagrasse et de l'abbaye de Saint-Hilaire pour présider au chapitre général des moines noirs de la province de Narbonne, qui fut tenu dans l'abbaye de Saint-Thibéry du diocèse d'Agde. C'est pourquoi la Bulle qui est datée de Péruse le 1er juillet, dans laquelle le pape Grégoire IX confirme les statuts qui y furent faits fut adressée à ces trois abbés[5],[6].
À partir du XIIIe siècle jusqu'au XVe siècle, l'abbaye connaît une période de déclin à cause de son excès de richesses puis de la guerre de Cent Ans. Une première réforme spirituelle est alors introduite au XIIIe siècle par l'abbé Auger de Gogenx L'église abbatiale actuelle est profondément remaniée et transformée pour se protéger des pillards et des attaques venus de l'extérieur. Des fortifications sont bâties au XIVe siècle.
Puis, au XVIIIe siècle, l’évêque de Carcassonne, Armand Bazin de Bezons, devient abbé de Lagrasse. Sous son impulsion, les monuments monastiques sont rénovés et enrichis d’une cour d’honneur, d’un bâtiment conventuel et d’un cloître de style classique dans un beau grès ocre flammé. Ce chantier offre à Lagrasse l’originalité d’être aujourd’hui une des rares abbayes de la région juxtaposant des parties médiévales et classiques. À la veille de la Révolution, l'abbaye jouit des services d'un organiste[7] et d'un serpent chargé d'accompagner le plain-chant des moines[8].
En 1789, toutes les possessions de l'Église sont déclarées biens nationaux. Les derniers moines sont expulsés le , malgré l’opposition des Lagrassiens. Mais cette action engendre une dégradation de l'abbaye. L’édifice est pillé et puis vendu en deux lots séparés. Ces lots sont achetés par la famille Berlioz pour la petite partie, et les familles Sarrail puis Gout de Bize pour la grande partie[9]. Cette séparation subsiste encore de nos jours et les bâtiments ont deux entrées distinctes. Depuis 2004, la partie la plus ancienne, ou petite partie, est propriété du département de l'Aude et la grande partie celle de la communauté des chanoines réguliers de la Mère de Dieu[10],[11].
En 2014, l'abbaye remporte le « grand trophée de la plus belle restauration », organisé par Propriétés de France, Le Figaro Magazine, la Fondation pour les monuments historiques et La Demeure historique pour la restauration du cloître[12]. Cette restauration soutenue par « l'Association pour la Sauvegarde et la Mise en Valeur de l'Abbaye de Lagrasse » et la région Languedoc-Roussillon a permis le sauvetage et la rénovation du cloître du XVIIIe siècle[13]. Dans la partie rendue à sa vocation religieuse, le chantier suivant doit être consacré à l'église et au clocher. Dans la partie publique, a débuté en 2014 la restauration des vestibules des chapelles haute et basse de la chapelle privée de l'abbé Auger de Gogenx, datant de 1296[14].
Cette partie du bâtiment sert d'hôpital militaire de 1793 à 1795 puis est transformée en fermage et en casernement de gendarmes de 1822 à 1880[16]. En 1894, quatre religieuses de la congrégation des Filles de Notre-Dame des Sept Douleurs s’y installent[17]. Après deux ans de travaux, une maison de retraite y fut inaugurée en 1896 et parallèlement une cérémonie marqua la réouverture de l'église au culte en présence de l'évêque de Carcassonne, Félix Arsène Billard. Faute de vocations, l'hospice des religieuses à Lagrasse ferme en 1976.
En 1979, la communauté de la Théophanie rachète la grande partie. Elle réalise d'importants travaux d'aménagement pour loger la communauté. L'association est dissoute en 1991 et l'abbaye mise en vente.
Après quelques années d'abandon, la famille Pregizer rachète les bâtiments en 1995 et entreprend, sous la direction des monuments historiques, d'importants travaux de réhabilitation. Toutes les cloisons érigées au fil des siècles sont abattues et laissent à nouveau apparaître la splendide architecture d'origine au sein du palais abbatial. Parallèlement, l'étude préalable réalisée avec la DRAC, est l'occasion d'un travail de relevé sans précédent qui permet d'examiner la vue d'ensemble du monument et pose les bases d'un plan de restauration[18]. Les enfants Pregizer vendent le bien en 2004 après l'arrestation de leur père pour malversations financières[11].
En 2017, l'église, dont le transept nord n'a plus de toit, est en restauration et une partie du chantier fait l'objet d'un financement participatif[20]. La première étape de la restauration du clocher octogonal est entreprise en 2019[21].
La petite partie
Il s'agit de la partie médiévale en cours de restauration. Donnée à la Société nationale d’entraide de la Médaille militaire[22] en 1928 et transformée en orphelinat, elle est acquise par la mairie de Lagrasse en 1981. Depuis 2004 elle est propriété du conseil départemental de l'Aude qui participe à sa valorisation architecturale et l'a ouverte à la visite en 2007. Depuis le printemps 2008 un centre culturel, en partenariat avec l’association « Le Marque-Page », propose un programme annuel d'activités autour du livre, de la lecture, la littérature et la pensée[23].
La communauté des chanoines réguliers de la Mère de Dieu est fondée par le père Wladimir de Saint-Jean (Roger Péquigney à l'état civil) en 1971, premier père abbé de la communauté, à Gap. Elle est reconnue de droit pontifical en 1997. Elle célèbre selon le rite tridentin. En 2004, elle déménage vers Lagrasse[24]. Le , le second abbé de la communauté, le père Emmanuel-Marie de Saint-Jean, 60e abbé de l'abbaye de Lagrasse, reçoit des mains d'André Fort, évêque d'Orléans, les insignes de sa charge : la crosse, la mitre et l'anneau.
La communauté des chanoines réguliers de la Mère de Dieu est composée de religieux, en majorité des prêtres, vivant en communauté sous la règle de saint Augustin, attachés à un monastère ou à une église.
Selon le quotidien La Croix, des défis sont posés par l'intégration des chanoines au niveau local : « Ils prennent à partir de l’abbaye des initiatives qui rayonnent sur le territoire et nécessitent donc d’être coordonnées avec le diocèse » selon son évêque Bruno Valentin[24].
En mai 2023, les chanoines lancent leur bière d’abbaye. Après la bière de l’abbaye Saint-Wandrille en Normandie, Lagrasse devient ainsi la seconde abbaye française ayant sa propre bière produite par des religieux[29],[30].
En mai 2024, la communauté s'exprime sur les abus de son fondateur. En 2006, plusieurs frères font appel à Alain Planet, évêque de Carcassonne, qui demande au père Wladimir de démissionner en raison de sa double vie, de ses nombreux abus d’autorité, et de ses comportements manipulateurs. Deux frères rapportent des sollicitations sexuelles qui conduisent en 2009 à un procès canonique, où l’abbaye se porte tierce partie, et propose à chaque membre de témoigner. À l'issue du procès, le père Wladimir est reconnu coupable d’abus d’autorité et de fautes contre la chasteté, et est renvoyé de la communauté. Il est assigné dans un monastère de stricte clôture où il meurt en 2023[33].
La communauté fait savoir par un communiqué du 20 mai 2024 qu'elle fait l'objet d'une visite apostolique qui se déroulera en juin[34].
↑Elle est rapportée par dom Luc d'Achery, Spicil, tome 6.
↑F. B. T. L. G., prêtre et chanoine de l'église Saint-Pons de Thomières, Chronologie des abbez du monastère et des evesques de l'églisede S. Pons de Thomières, Saint-Pons, 1873, p. 27.
Collectif, L'Abbaye de Lagrasse - Mille ans de sculptures, Sètes, Nouvelles Presses du Languedoc,
Collectif, Auger de Gogenx (1279-1309), Sètes, Nouvelles Presses du Languedoc, coll. « Les Cahiers de Lagrasse », .
Collectif, L'Abbaye de Lagrasse : Art, histoire, archéologie, Carcassonne, Archives départementales de l'Aude, (ISBN978-2-86011-045-7).
Philippe Cordez, Les richesses de Charlemagne et le poids du pain à l’abbaye de Lagrasse, d’après les Gesta Karoli Magni ad Carcassonam et Narbonam (XIIIe siècle), Cahiers de Fanjeaux, 53, 2018 (= Corps saints et reliques dans le Midi), p. 91-115
Jean Blanc, « Une abbaye en réforme : La Grasse, de la fin du XIIIe à la fin du XIVe siècle », dans Les Moines Noirs (XIIIe-XIVe s.), Toulouse, Édouard Privat éditeur, coll. « Cahiers de Fanjeaux 19 », (ISBN2-7089-3418-X), p. 91-115
Bénédicte Bousquet, « Rôle et fonctions d’une abbaye (Lagrasse) : une vision de fidèles », dans L'église, le clergé et les fidèles en Languedoc et en Pays catalan, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, (ISBN978-2-35412186-0, lire en ligne), p. 95-106
Bénédicte Bousquet, « La bibliothèque de l’abbaye de Lagrasse (1663-1792) », Bulletin de la Société d'études scientifiques de l'Aude, vol. CXIV, , p. 95-102 (ISSN0153-9175).
Hélène Débax, « Les réseaux aristocratiques autour de Lagrasse du IXe au XIe siècle. Contribution à l’histoire des origines de l’abbaye », dans dans Sylvie Caucanas, Nelly Pousthomis-Dalle, L'abbaye de Lagrasse. Art, archéologie et histoire, Archives départementales de l'Aude, (ISBN978-2-86011-045-7, lire en ligne)
Marcel Durliat et Daniel Drocourt, « L'Abbaye de Lagrasse », dans Congrès archéologique de France. 131e session. Pays de l'Aude. 1973, Paris, Société Française d'Archéologie, , p. 102-124.
Julien Foltran, Les monastères et l’espace urbain médiéval en Pays d’Aude : Lagrasse, Alet, Caunes. Thèse de doctorat d’histoire sous la direction de N. Pousthomis-Dalle et J.-L. Abbé, Toulouse, Université Toulouse-Jean-Jaurès,
Gauthier Langlois, « Petits établissements monastiques masculins des Corbières : un encadrement religieux dense (IXe – XIIIe siècle) », dans Bulletin de la Société d’études Scientifiques de l'Aude, t. CXIII, (ISSN0153-9175, lire en ligne), p. 51-68
Jacques Lugand, Jean Nougaret, Robert Saint-Jean et André Burgos, Languedoc roman, La Pierre-qui-Vire, Zodiaque, coll. « la nuit des temps », , chap. 43, p. 32-33, 359-360, 382, planches 140, 141, 144.
Claudine Pailhès, Recueil des chartes de l'abbaye de la Grasse, t. II : 1117-1279 (Publication augmenté de sa thèse pour le diplôme d'archiviste paléographe, inédite. Résumée dans Position des thèses de l'Ecole Nationale des Chartes, 1976, p. 131-136. Un exemplaire est déposé aux AN), Paris, Pailhès / Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Collection de documents inédits sur l'histoire de France, section d'histoire médiévale et de philologie / in-8° » (no 26), (BNF37185828, lire en ligne).
Claudine Pailhès, « Le rayonnement de l'abbaye de Lagrasse de 1100 à 1270 », dans Les Moines Noirs (XIIIe-XIVe s.), Toulouse, Édouard Privat éditeur, coll. « Cahiers de Fanjeaux 19 », (ISBN2-7089-3418-X), p. 65-89
(it + la) Philomena, Gesta Caroli Magni ad Carcassonam et Narbonam et de aedificatione Monasterii Crassensis, ex Typografia Magheri, Florentiae, 1823 (lire en ligne), (compte-rendu et critique par François Raynouard, dans Journal des Savans, 1824, p. 668-675)
Bruno Tollon, « L'Abbaye de Lagrasse aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Congrès archéologique de France. 131e session. Pays de l'Aude. 1973, Paris, Société Française d'Archéologie, , p. 123-129.
(la) Dom Jean Trichaud, Chronicon seu historia regalis abattiæ beatæ Mariæ de Crassa, ordinis Sancti Benedicti, Congregationis Sancti Mauri, ad sanctam Romanam ecclesiam, 1677, manuscrit BNF Latin 12857 (lire en ligne)